Fenua / Patrick Deville. -
Paris : Seuil, 2021. - 361 p. :
cartes ; 21 cm. - (Fiction & Cie).
ISBN 978-2-02-143402-6
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| La
Polynésie se décline en un poudroiement d'îles,
atolls et archipels, sur des milliers de kilomètres, mais en fin
de compte un ensemble de terres émergées assez
réduit : toutes réunies, elles ne feraient pas
même la surface de la Corse. Et ce territoire, c'est le Fenua. | Écrivain-voyageur
né en 1957 près de Saint-Nazaire, face à
l'océan Atlantique, Patrick Deville ajoute, en Polynésie,
une nouvelle escale à un cycle de récits (romans ?) qui courent le monde d'est en ouest, du nord au sud.
Fenua
convie les lecteurs à suivre un parcours insulaire marqué
de rencontres fortuites ou préparées
— enchantées souvent, dérangeantes quand
l'auteur évoque la colonisation ou les essais nucléaires
français, désabusées à l'évocation
des perspectives politiques d'un “ Pays sans
État ”.
En écho au recueil de ses
propres expériences et de ses impressions, Patrick Deville
évoque les récits de ses prédécesseurs dont
certains ont influencé le tracé de sa route —
prestige des lectures d'enfance et de jeunesse : Bougainville,
Loti, Melville, Stevenson, London, Reverzy, … “ petite
bande de glorieux vagabonds ” au milieu desquels Gauguin 1 figure en bonne place.
Cette
rétrospective, qui éclaire la fascination de l'occident
pour Tahiti et ses îles, n'a pas empêché Patrick
Deville de se tenir à l'écoute des écrivains
insulaires. Bonne occasion de lire ou relire, parmi d'autres, Moetai
Brotherson 2, Titaua Peu ou Chantal Spitz. 1. | Les
pages que Patrick Deville consacre aux séjours tahitien et
marquisien de Gauguin sont, pour l'essentiel, étroitement
tributaires de la vision de Segalen. On note cependant que l'auteur
s'est particulièrement intéressé à Ky Dong
lettré vietnamien exilé à Hiva Oa qui fut l'un des
compagnons des derniers jours du peintre ; le portrait est
attachant et bien documenté. | 2. | Auteur en 2007 d'un roman remarqué — Le roi absent —,
Moetai Brotherson s'est engagé en politique et siège
depuis 2017 à l'Assemblée Nationale. |
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EXTRAIT |
Avant
de m'installer (…) à Punaauia, j'avais loué la
Dacia, acheté un téléphone, avec ce numéro
local et cette adresse avais obtenu la carte Marama offrant aux
résidents des tarifs préférentiels sur Air Tahiti
au nom de la continuité territoriale. Je revenais de loin en
loin à Papeete le matin, pour m'approvisionner et me rendre
à l'agence afin d'organiser mes vadrouilles dans les archipels,
menais des entreprises inconnues en Europe : patienter au volant
sur la voie express au milieu des embouteillages, tourner en rond pour
trouver une place de stationnement, pousser un chariot dans les rayons
de l'hypermarché où je cherchais les produits
estampillés “ Made in Fenua ”, et parmi
eux l'eau de mer en bouteille.
Dans la boutique où
j'achetais les journaux et du tabac néo-zélandais,
après que je lui avais demandé aussi des filtres
biodégradables, la buraliste avait ri, m'avait affirmé
que le produit n'existait pas ici : “ Là tu es
sur l'île Pollution. ” Cette femme était comme
la plupart des Tahitiens d'une telle chaleur et d'une telle
gentillesse, d'une telle spontanéité, qu'on voyait bien
que ces gens malgré leur nationalité n'étaient pas
vraiment français, si un siècle et demi d'occupation
n'était pas encore parvenu à les rendre moroses et
grincheux, qui utilisaient en permanence le tutoiement auquel
j'étais habitué partout en Amérique latine mais
qui me semblait ne pas convenir au français, et que je devais
faire un effort pour utiliser.
☐ p. 153 |
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Importante
composante du roman
de Patrick Deville, la “ bibliothèque
tahitienne ” (pp. 359-362) est richement
pourvue.
On n'en retient ici que les titres déjà
présentés sur le site d'information des
littératures insulaires
(les éditions sont parfois différentes de celles
proposées par l'auteur). |
- Louis
Antoine de Bougainville, « Voyage autour du monde »,
Paris, 2002
- Rupert
Brooke, « Poèmes
des Mers du Sud 1913-1914 »,
Papeete, 2017
- Moetai
Brotherson, « Le
roi absent », Papeete, 2007
- Jean-Luc
Coatalem, « Je
suis dans les mers du Sud », Paris, 2001
- Jean-Luc
Coatalem, « Mes pas vont ailleurs »,
Paris, 2017
- Charles
Darwin, « Journal
de bord [Diary] du voyage du Beagle (1831-1836) »,
Paris, 2012
- Denis
Diderot, « Supplément
au voyage de Bougainville », Paris, 2002
- Marie
Dollé et Christian Doumet (dir.), « Victor Segalen »,
Paris, 1998
- Robert James
Fletcher, « Lettres
des mers du sud », Paris, 1989
- Romain Gary,
« La
tête coupable », Paris, 1968
- Paul
Gauguin, « Oviri,
écrits d'un sauvage », Paris,
1974
- Alain
Gerbault, « Iles
de beauté », Paris, 1941
- Charmian
London, « Journal
de bord du Snark », Paris, 2015
- Jack London,
« La
croisière du Snark », Rennes,
2002
- Herman
Melville, « Moby
Dick », Paris, 2006
- Herman
Melville, « Omou »,
Paris, 2012
- Herman
Melville, « Taïpi »,
Paris, 1952, 1997
- Bernard
Moitessier, « Vagabond des mers du Sud »,
Paris, 2004
- Jean
Reverzy, « Le
Passage », Papeete, 2002
- Jean-Jo
Scemla (éd.), « Le Voyage en
Polynésie : Anthologie des voyageurs occidentaux de
Cook à Segalen », Paris, 1994
- Victor
Segalen, « Correspondance »,
Paris, 2004
- Georges
Simenon, « Touriste
de bananes », Paris, 1998
- Karl von den
Steinen, « Les Marquisiens et leur
art » — vol. 1
— vol. 2
— vol. 3,
Papeete, 2016
- Robert Louis
Stevenson, « Dans
les mers du Sud », Paris, 1995
- Elsa
Triolet, « À
Tahiti », Paris, 2011
- Mario Vargas
Llosa, « Le
Paradis - un peu plus loin »,
Paris, 2003
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Patrick Deville
introduit, dans Fenua,
d'autres titres et d'autres auteurs : François Bellec, Paul
Chack, David Collin, Eric Conte, James Cook, Amandine Dabat, Claude
Farrère, Viviane Forrester, Pierre Loti, Patrick Modiano,
Titaua Peu, Chantal Spitz, Vincent van Gogh, Eric Vibart, …
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mise-à-jour : 18 août 2021 |
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