La
partition / Felipe Hernández ; traduit de
l'espagnol par
Dominique Blanc. - Lagrasse : Verdier, 2008. -
379 p. ;
22 cm. - (Otra memoria).
ISBN
978-2-86432-541-3
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la
partition nous a dévorés, nous sommes
à l'intérieur d'elle,
et c'est pourquoi nous ne pouvons pas la voir …
☐ p. 326 |
Au-delà
ou en-deçà du beau, l'œuvre d'art tend
à
déranger. Et le parcours de la création
s'accomplit au
risque d'un suprême dérangement. Telle est
l'expérience que doit affronter le jeune compositeur
José
Medir quand, au hasard d'une rencontre avec Ricardon Nubla l'un de ses
maîtres, il se voit proposer une commande hautement exigeante
— dont l'originalité confine à la
perversité.
Entre
le commanditaire et le compositeur s'amorce un dialogue rude
où
chacun s'arme de ses faiblesses pour transcender l'affrontement au
bénéfice d'une création dont en cas de
succès ils pourront seuls mesurer la pertinence.
Tendu
vers cet improbable accomplissement, le face à face entre
José Medir et Ricardo Nubla se développe sans
ménagement pour leurs proches, tous emportés dans
un
élan qui sème le doute, la confusion et la
tourmente.
Cette « partition »
répond à
l'injonction initiale — elle dérange, au
meilleur sens, protagonistes et … lecteurs.
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JEAN-LOUIS
ARAGON : Sans que l'île soit
citée, c'est dans ces paysages (Majorque) que se
déroule La
Partition, roman délicat de Felipe
Hernández peuplé de protagonistes en proie au
tourment. (…)
« Dans des
paysages aussi magnifiques, il est facile de se perdre », reconnaît
Felipe Hernández. Mais aussi de se retrouver. Depuis le
balcon
de l'imposante demeure que l'archiduc Louis Salvador d'Autriche acquit
à Son Marroig, sur la commune de Deia, l'écrivain
tend le
bras vers la mer et le ciel. « C'est
ça qui donne la paix, explique-t-il avant
d'éclater de rire. Lorsqu'on
nage vers la côte, avoir devant soi cette façade
dressée, faite de roches abruptes et plantées
d'oliviers
aux troncs torturés, donne vraiment des sensations bizarres.
Et
quand cette mer est démontée, alors viennent les
angoisses, et elles peuvent être fortes ».
Ici,
les oliviers, dont certains sont millénaires, ont de quoi
bouleverser. Felipe Hernández se souvient d'un soir
où,
en fait d'arbres chargés de rameaux de paix, il vit
plutôt
des fantômes terrifiants en quittant la maison que son ami
peintre Abdul Mati Klarwein — connu par des
pochettes de
disques de Miles Davis ou Carlos Santana —
possédait
près de Deia. Ces arbres aux troncs énormes
parfois
dressés sur leurs propres racines et que George Sand
qualifiait de « monstres
fantastiques », se
laissent bien sûr approcher, notamment en parcourant les
chemins
de randonnée qui sillonnent le nord de l'île. Mais
peut-être vaut-il mieux être en paix avec
soi-même
pour les côtoyer sans dommage, de jour comme de nuit.
☐ Le Monde, 30
septembre 2010 — Supplément Mémoires d'Espagne
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EXTRAIT |
Et tandis qu'il travaillait de nouveau à la
partition,
José croyait percevoir l'écho de toutes les
pensées que Nubla avait exprimées au cours des
derniers
mois, si puissantes qu'elles l'avaient conduit jusqu'à
l'hôpital. Il ne voulait pas traduire en mots ces
pensées
si sombres et si abondantes car il pressentait que leur seule mention
équivaudrait à se précipiter dans une
spirale sans
fin de questions sans réponses. Il pressentait que depuis la
nuit des temps les hommes avaient éprouvé cette
même angoisse et avaient tenté de
l'éviter à
l'aide d'images, d'idoles, de toutes sortes d'arguties et de mensonges,
y compris des fantaisies politiques, religieuses et artistiques. Tout
ceci pour ne pas affronter l'incertitude que Nubla
prétendait
maintenant enfermer dans une forme musicale invisible et fuyante.
Cette idée trop ambitieuse provoquait chez lui une
réticence instinctive, néammoins il sentait que
c'était cette angoisse, cette proximité avec le
néant et l'inconcevable qui nourrissait les grandes
œuvres
d'art. Et il ne pouvait renoncer à respirer cet air glacial
et
pur auquel la beauté et la mort donnaient corps car il ne
pouvait concevoir un chef-d'œuvre avec seulement du travail,
de
la réflexion et de l'expérience. Un
chef-d'œuvre ne
pouvait naître que d'un miracle de la sensibilité
et,
même si c'était douloureux, Nubla
étalait sous ses
yeux un microcosme sensible dans lequel il devait
pénétrer sans se laisser fléchir par
les menaces
ou les épreuves comme celle qu'il avait subies dans le bois
d'Arcángel. Nubla, d'une certaine façon, lui
avait
proposé une clé et il ne pouvait la refuser pour
la
simple raison qu'il avait trébuché sur un
obstacle
collatéral. Même si Nubla était bien
indirectement
responsable de l'agression du garde forestier, il ne l'était
pas
au sens strict, de telle sorte qu'abandonner sa commande ne serait rien
d'autre qu'un acte de couardise.
Il devait se
persuader qu'écrire une œuvre réussie
ne
signifierait pas simplement voir des choses qu'il n'aurait pas
souhaité voir, comme l'avait dit Nubla une fois, mais aussi
vivre et ressentir des expériences qu'il aurait
préféré ignorer. Était-il
possible, en
fait, qu'un homme sans l'expérience de certains
états
extrêmes de solitude et de souffrance puisse exprimer le
degré de compassion nécessaire à la
construction
d'une œuvre d'art vivante ?
☐ pp. 208-209 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « La
partitura », Barcelona : Seix Barral (Biblioteca breve), 1999
|
♫ LA MUSIQUE SUR LE SITE DES LITTÉRATURES
INSULAIRES ♫
La
musique est encore insuffisamment représentée sur
le site
des
littératures insulaires. Ne sont
rappelés ici que les
références d'ouvrages déjà
présentés (ou qui le seront prochainement).
|
- Mimi
Barthélémy, « Dis-moi des chansons
d'Haïti », Paris :
Kanjil, 2007, 2010
- François
Bensignor (dir.), « Kaneka, musique en
mouvement », Nouméa : Poemart,
ADCK, 2013
- Philippe
Blay, « L'opéra de Loti, L'île du rêve
de
Reynaldo Hahn », in Supplément au
Mariage de Loti,
Papeete : Sté
des Études Océaniennes
(Bulletin, 185-287), 2000
- Etienne
Bours, « La musique irlandaise »,
Paris : Fayard (Les Chemins de la musique), 2015
- Alejo
Carpentier, « Chasse
à l'homme », Paris :
Gallimard (La Croix du sud, 19), 1958
- Philippe-Jean
Catinchi, « Polyphonies corses »,
Arles : Actes sud, 1999
- Antoine
Ciosi, « Chants
d'une terre - Canti di una terra : 40
ans de chanson corse », Ajaccio :
DCL éditions,
2002
- Jean-Yves Clément, « Le retour de Majorque, Journal de Frédéric Chopin », Paris : Le Passeur, 2022
- Christophe Corbier, Vassiliki Mavroidakou-Castellana et
Panagiota Anagnostou (dir.), « Le voyage des musiciens : deux siècles
d'échanges franco-grecs », Paris : In Fine, 2021
- Jude
Duranty, « Zouki : d'ici
danse », Matoury (Guyane) : Ibis rouge, 2007
- Laurent
Feneyrou (dir.), « Silences de l'oracle :
autour de
l'œuvre de Salvatore Sciarrino »,
Paris : Centre
de documentation de la musique contemporaine, 2013
- Jean-Louis
Florentz, « Enchantements
et merveilles, aux sources de mon
œuvre », Lyon :
Symétrie, 2008
- Emmanuel
Genvrin, « Séga
Tremblad », Paris :
L'Harmattan (Théâtre des 5 continents), 2000
- Stéphane
Héaume, « Dernière valse
à Venise », Paris :
Serge Safran, 2017
- Adrien
Le Bihan, « George
Sand, Chopin et le crime de la
chartreuse », Espelette : Cherche
bruit, 2006
- Isabelle
Leymarie, « Cuba
et la musique cubaine », Paris :
Ed. du Chêne (Notes de voyage), 1999
- Yu
Sion Live, « Instruments de musique communs aux
îles
de l'océan Indien : Madagascar, Maurice, La
Réunion,
Seychelles et Comores », Sainte Marie (La
Réunion) : Azalées, 2006
- Eduardo
Manet, « Maestro ! »,
Paris : Robert Laffont, 2002
- Catherine Marceline, « Christiane Eda-Pierre : une vie d'excellence », Le Lamentin (Martinique) : Caraib ediprint, 2019
- Mervyn
McLean, « An annotated bibliography of Oceanic music and
dance », Auckland (NZ) : Polynesian Society
(Memoir,
41), 1977
- Vladimir
Monteiro, « Les musiques du
Cap-Vert », Paris : Chandeigne
(Série lusitane), 1998
- Evariste
de Parny, « Chansons
madécasses » in
Océan
Indien, textes réunis et
présentés
par Serge Meitinger et Carpanin Marimoutou, Paris : Omnibus,
1998
- Stanley
Péan, « Jazzman :
chroniques et anecdotes autour
d'une passion »,
Montréal : Mémoire
d'encrier (En bref), 2006
- Patrick
Révol, « Influence de la musique
indonésienne
sur la musique française du XXe siècle »,
Paris : L'Harmattan (Univers musical), 2000
- Jacqueline
Rosemain, « La danse aux Antilles, des rythmes
sacrés
au zouk », Paris : L'Harmattan 1990
- Tiziano
Scarpa, « Stabat
mater », Paris : Christian
Bourgois, 2011
- Corinne
Schneider, « La
musique des voyages »,
Paris : Fayard, 2019
- Michèle
Teysseyre, « Loin de Venise : Vivaldi,
Rosalba,
Casanova », Paris : Serge Safran, 2016
- Fernando
Trueba, « Chico & Rita »
ill. de Javier Mariscal, Paris : Denoël
graphic, 2011
- Richard Wagner, « Ma vie » vol. III — 1850-1864, Paris : Plon, 1912
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mise-à-jour : 6 octobre 2022 |
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