Chasse
à l'homme / Alejo Carpentier ; trad. de l'espagnol
(Cuba)
et avant-propos par René L.F. Durand. - Paris :
Gallimard,
1958. - 203 p. ; 19 cm. - (La Croix du sud,
19).
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Ce
court récit — novella
pour les anglo-saxons — retrace la fin du parcours
d'un
homme pourchassé dans la capitale cubaine en proie
à la
dictature de Gerardo Machado. Stricte unité de lieu et de
temps : le fugitif a trouvé refuge dans une salle
de
concerts où l'on joue la Symphonie
héroïque de
Beethoven. S'il est provisoirement soustrait à la menace
directe
de ceux qui le traquent, le fugitif est travaillé par sa
conscience, surtout quand elle est avivée par l'entourage
— l'homme qui occupe un siège devant lui, par
exemple, qui
porte au cou des marques d'acné, « que la
vue
tâchera d'esquiver », en vain bien
sûr, car qu'y
lire sinon le rappel très précis d'une
indélébile culpabilité ?
Dans
l'obscurité de la salle de concerts, la mémoire
livre en
fragments désordonnés les étapes d'une
chute
individuelle, mais également l'époque et les
lieux
où elle se joue : les années trente du
vingtième siècle quand, face à la
tyrannie, monte
puis se pervertit l'élan
révolutionnaire ; ombres et
lumières d'une ville où les ressorts sociaux
traditionnels
peinent à s'accomoder de la tourmente ;
où
conformisme et
indifférence s'érigent en remparts
dérisoires face
au désenchantement et à la soumission.
Pour Alejo Carpentier, l'action
s'inscrit en totalité dans le temps nécessaire
à l'exécution de la Symphonie
héroïque — soit,
est-t-il précisé, quarante-six minutes 1 —,
et la construction du récit s'inspire des règles
propres
à la composition musicale (architecture, thèmes,
variations, …). Enfin, l'œuvre du
romancier et celle
de Beethoven
sont placées, de fait, sous le signe d'un espoir
révolutionnaire trahi.
1. |
Alejo Carpentier
parle en connaisseur, et il n'est pas exclu qu'il ait
songé à une interprétation
précise de la
symphonie de Beethoven : celle du chef autrichien Erich
Kleiber qui fut
régulièrement invité à
diriger l'Orchestre
philarmonique de La Havane entre 1944 et 1947. Cf. Katia Chornik,
« Musical
analogies in Alejo Carpentier’s El acoso ». |
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EXTRAIT |
D'ailleurs,
ce n'était pas seulement sa faute, à lui.
Conséquence de l'époque, des contingences, de
l'illusion
héroïque ; des paroles
éblouissantes avec
lesquelles on l'avait accueilli certain après-midi
— lui bachelier de province, honteux de son costume
mal
coupé dans la boutique paternelle —
derrière
les murs de l'édifice sur la façade duquel,
orné
de colonnes majestueuses, s'étalaient sous un nom illustre
les
caractères elzéviriens en bronze d'un Hoc
Erat In Votis …
Il regardait à présent la salle de concerts, dont
les
chapiteaux à volutes carrées lui semblaient
être
une caricature de ceux qui avaient été
associés
à son initiation aujourd'hui détestée.
Là
s'affirmait la condamnation imposée par cette ville aux
ordres
qui dégénéraient dans la chaleur et se
couvraient
de lèpre, faisant servir leurs astragales à
soutenir des
enseignes de teinturiers, de coiffeurs, de marchands de
rafraîchissements, quand la friture ne crépitait
pas
à l'ombre des piliers, entre des étalages de
pâtés, de sorbetières et de jus de
tamarin.
« J'écrirai quelque chose sur
ça »,
se disait-il, bien qu'il n'eût jamais écrit, car
il
ressentait un besoin urgent de s'assigner de nobles tâches.
Il
sortait des interminables beuveries des derniers mois, des
excès
auxquels se croient autorisés ceux qui courent des risques
ou
qui jouent leur va-tout ; et il trouvait à
présent
la première clarté au bout du tunnel. Il ne
savait
où le sort l'enverrait maintenant, car le Haut Personnage
allait
décider à sa convenance quelle était
la voie la
plus indiquée. Il ne terminerait jamais ses
études
d'achitecture abandonnées dès le début
de la
première année. Mais il acceptait par avance les
métiers les plus durs, les plus médiocres
salaires, le
soleil sur le dos, l'huile sur la figure, le grabat et
l'écuelle, comme phases d'une expiation
nécessaire.
☐ pp. 77-79 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « El
acoso », Buenos Aires : Losada, 1956
- « Chasse
à l'homme », Paris : Gallimard (L'Etrangère), 1993 ; Gallimard (L'Imaginaire, 676),
2015
- « El
acoso = Chasse à l'homme »,
Paris : Gallimard (Folio bilingue, 188), 2014
|
|
- Jean Lamore
(dir.), « Espaces
d'Alejo Carpentier »
actes du colloque international tenu à Bordeaux du 2 au 4
décembre 2004, Bordeaux : Presses universitaires de
Bordeaux (Collection de la Maison des pays ibériques), 2008
|
♫ LA MUSIQUE SUR LE SITE DES LITTÉRATURES
INSULAIRES ♫
La
musique est encore insuffisamment représentée sur
le site
des
littératures insulaires. Ne sont
rappelés ici que les
références d'ouvrages déjà
présentés (ou qui le seront prochainement).
|
- Mimi
Barthélémy, « Dis-moi des chansons
d'Haïti », Paris :
Kanjil, 2007, 2010
- François
Bensignor (dir.), « Kaneka, musique en
mouvement », Nouméa : Poemart,
ADCK, 2013
- Philippe
Blay, « L'opéra de Loti, L'île du rêve
de
Reynaldo Hahn », in Supplément au
Mariage de Loti,
Papeete : Sté
des Études Océaniennes
(Bulletin, 185-287), 2000
- Etienne
Bours, « La musique irlandaise »,
Paris : Fayard (Les Chemins de la musique), 2015
- Philippe-Jean
Catinchi, « Polyphonies corses »,
Arles : Actes sud, 1999
- Antoine
Ciosi, « Chants
d'une terre - Canti di una terra : 40
ans de chanson corse », Ajaccio :
DCL éditions,
2002
- Jean-Yves Clément, « Le retour de Majorque, Journal de Frédéric Chopin », Paris : Le Passeur, 2022
- Christophe
Corbier, Vassiliki Mavroidakou-Castellana et Panagiota Anagnostou
(dir.), « Le voyage des musiciens : deux
siècles
d'échanges franco-grecs »,
Paris : In Fine, 2021
- Jude
Duranty, « Zouki : d'ici
danse », Matoury (Guyane) : Ibis rouge, 2007
- Laurent
Feneyrou (dir.), « Silences de l'oracle :
autour de
l'œuvre de Salvatore Sciarrino »,
Paris : Centre
de documentation de la musique contemporaine, 2013
- Jean-Louis
Florentz, « Enchantements
et merveilles, aux sources de mon
œuvre », Lyon :
Symétrie, 2008
- Emmanuel
Genvrin, « Séga
Tremblad », Paris :
L'Harmattan (Théâtre des 5 continents), 2000
- Stéphane
Héaume, « Dernière valse
à Venise », Paris :
Serge Safran, 2017
- Felipe
Hernández, « La partition »,
Lagrasse : Verdier, 2008
- Adrien
Le Bihan, « George
Sand, Chopin et le crime de la
chartreuse », Espelette : Cherche
bruit, 2006
- Isabelle
Leymarie, « Cuba
et la musique cubaine », Paris :
Ed. du Chêne (Notes de voyage), 1999
- Yu
Sion Live, « Instruments de musique communs aux
îles
de l'océan Indien : Madagascar, Maurice, La
Réunion,
Seychelles et Comores », Sainte Marie (La
Réunion) : Azalées, 2006
- Eduardo
Manet, « Maestro ! »,
Paris : Robert Laffont, 2002
- Catherine
Marceline, « Christiane
Eda-Pierre : une vie d'excellence »,
Le Lamentin (Martinique) : Caraib ediprint, 2019
- Mervyn
McLean, « An annotated bibliography of Oceanic music and
dance », Auckland (NZ) : Polynesian Society
(Memoir,
41), 1977
- Vladimir
Monteiro, « Les musiques du
Cap-Vert », Paris : Chandeigne
(Série lusitane), 1998
- Evariste
de Parny, « Chansons
madécasses » in
Océan
Indien, textes réunis et
présentés
par Serge Meitinger et Carpanin Marimoutou, Paris : Omnibus,
1998
- Stanley
Péan, « Jazzman :
chroniques et anecdotes autour
d'une passion »,
Montréal : Mémoire
d'encrier (En bref), 2006
- Patrick
Révol, « Influence de la musique
indonésienne
sur la musique française du XXe siècle »,
Paris : L'Harmattan (Univers musical), 2000
- Jacqueline
Rosemain, « La danse aux Antilles, des rythmes
sacrés
au zouk », Paris : L'Harmattan 1990
- Tiziano
Scarpa, « Stabat
mater », Paris : Christian
Bourgois, 2011
- Corinne
Schneider, « La musique des
voyages », Paris : Fayard, 2019
- Michèle
Teysseyre, « Loin de Venise : Vivaldi,
Rosalba,
Casanova », Paris : Serge Safran, 2016
- Fernando
Trueba, « Chico & Rita »
ill. de Javier Mariscal, Paris : Denoël
graphic, 2011
- Richard
Wagner, « Ma
vie » vol. III
— 1850-1864, Paris : Plon, 1912
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mise-à-jour
: 6 octobre 2022 |
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