La
terre magnétique : les errances de Rapa Nui,
l'île de
Pâques / Edouard ; en collaboration avec Sylvie
Séma.
- Paris : Seuil, 2007. - 117 p. :
ill. ;
21 cm. - (Peuples de l'eau).
ISBN
978-2-02-089903-1
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Le
beau mélange actuel de Rapa Nui l'errante n'a rien
égaré de son imaginaire primordial, et la
quasi-extinction est vaincue.
☐ p. 100 |
Edouard Glissant ne pouvant aller en personne sur
l'île, c'est une démarche
rare qui préside à l'écriture
— ici conçue comme une rencontre, de près et
de loin à la fois : Sylvie
Séma présente sur ce qu'il fallait bien
appeler le terrain, Edouard Glissant commentant
à distance ce
qu'elle rapporterait, notes, impressions, dessins, films et photos.
Ce dialogue fait
surgir un relief saisissant : au sentiment …
abruptement saisi par Sylvie Séma fait
écho l'ordre
ou le désordre de littérature
proposé par Edouard Glissant. Présence et retrait
s'enrichissent mutuellement, au bénéfice d'une
approche
inédite d'une île, rafraîchissant et
déroutant l'abondance des commentaires antérieurs
(qu'ils
soient érudits, envoûtés ou oiseux).
À rebours
des images imposées qui accentuent l'isolement, le tressage
des
deux voix accrédite l'image d'une île
reliée au
monde par un réseau d'affinités actives, entremêlements de
lignes, comme aux jeux
des fils des Kaï Kaï :
« chacune de ces lignes est une trace de
mémoire qui
constitue le fondement même de l'imaginaire, chaque ligne est
remplie du cheminement de l'esprit qui rêve son
existence » (p. 79).
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EXTRAIT |
Les
lieux de l'île sont reliés par un
réseau souterrain
de canaux creusés par la lave, où passe
l'énergie
qui emporte avec elle les rêves des hommes et des femmes.
C'est
leur espace réel, ils vivent et revivent dans la roche.
Parfois
on sent les vapeurs transparentes soulever cette roche et lui rendre sa
respiration. Elles nous rappellent, c'est l'idée de Betty Rapu 1,
que toute l'île flotte sur une nappe d'eau douce au long des
plaques terrestres, elle est un bateau errant, dont seuls les oiseaux
migrateurs connaissent la course.
Cette science
cachée est à la source du culte des hommes
oiseaux,
lesquels se rassemblent à Orongo, énorme
concentration de
pétroglyphes entremêlés qui se jettent
dans la mer,
où sont enfouies dans la terre et les roches les maisons des
prêtres, pas loin du volcan Rano Kau. Ce sont les
maîtres
de tous les courants d'en haut et d'en bas, ils soulèvent
les
courants marins sauveurs des pêcheurs quand ceux-ci ont perdu
l'île de vue, ce qu'il ne faut jamais tenter. Toute
l'île
est un homme oiseau, et un bateau, et une maison errante, pour celui
qui serait divagant dans l'immense Pacifique et aurait perdu de vue la
route des courants et des étoiles. L'oiseau migrant vous
apporte
l'ailleurs, il se refait en vous, mais s'en va
bientôt :
l'île est éphémère, et
perdure. Voilà
pourquoi vous accumulez si sèchement les informations, et il
y
en a tant, vous ne pouvez pas choisir entre elles, vous hasardez
d'entasser et de laisser mûrir, vous ne décidez
pas du
vrai et du faux, ni de ce qui figure ou de ce qui cache, et vous vous
trompez à tout coup, vous confondez les noms les uns dans
les
autres, et sur les courbes et le rebours de l'herbe la terre est un
grand damier d'ondes tracé de lignes toutes de biais.
☐ pp. 41-42
1. |
“ Betty
[…] montre l'île aux voyageurs de passage,
étant à elle seule une
agence de voyage, une spécialiste de la botanique, une
experte en vents
et oiseaux marins, avec une manière bien à elle
de distinguer entre les
retroussis dédaigneux des lèvres des statues
géantes, peut-être pour
inquiéter un peu ses clients qui voyaient peu les
différences. Elle ne
manquait pas une arrivée de l'avion hebdomadaire en
provenance de
Santiago et qui repartait presque aussitôt. Sa
façon discrète et
souriante de se tenir à l'écart de la piste lui
attirait beaucoup de
clients. Par la suite ils découvraient que le plus grand des
bonheurs
désirables était de prendre en sa compagnie un
petit déjeuner au
minuscule marché de l'endroit, Hanga Roa, face à
l'église, là où tout
le monde se réunissait pour échanger les
nouvelles, le plus souvent
debout contre la barrière d'un comptoir
rudimentaire. ”
— pp. 26-28 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « La
terre magnétique :
les errances de Rapa Nui, l'île de
Pâques » avec
une préface inédite de Patrick Chamoiseau,
Paris :
Points (Points - Aventure, P5062), 2019
|
- « La
Lézarde », Paris :
Seuil, 1958, 1984, 1995 ; Gallimard, 1997
- « Tout-monde »,
Paris : Gallimard, 1993 ; Gallimard (Folio, 2744),
1995
- « Sartorius, le roman des
Batoutos », Paris : Gallimard,
1999
- « Iguanes,
busards, totems fous : l'art primordial de Wifredo
Lam » in Christiane Falgayrettes-Leveau (et al.) Lam métis,
Paris : Dapper, 2001
- « Ormerod »,
Paris : Gallimard, 2003
- « Les Indes, Lézenn »
éd. bilingue, texte créole de Rodolf Etienne,
Paris : Le Serpent à plumes, 2005
- « Une
nouvelle région du monde (Esthétique,
I) », Paris : Gallimard, 2006
- « Philosophie de la
relation : poésie en étendue »,
Paris : Gallimard, 2009
- « L'entretien
du monde » entretiens avec
François Noudelmann, Saint-Denis : Presses
universitaires de Vincennes, 2018
- « Manifestes » avec Patrick Chamoiseau, Paris : La Découverte, Institut du Tout-Monde, 2021
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- Romuald
Fonkoua, « Essai
sur une mesure du monde au XXe siècle :
Édouard Glissant »,
Éd. Honoré Champion, Paris, 2002
- François
Noudelmann, Françoise Simasotchi-Bronès (et al.),
« Édouard
Glissant, la pensée du détour »,
Paris : Larousse, Armand Colin (Littérature, 174),
2014
- François
Noudelmann, « Edouard
Glissant, l'identité
généreuse », Paris :
Flammarion (Grandes
biographies), 2018
- Aliocha
Wald Lasowski, « Edouard Glissant :
déchiffrer le monde », Montrouge :
Bayard, 2021
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Sur le site « île en
île » : dossier Edouard Glissant
Centre
international d'études Edouard Glissant |
l'île
de Pâques : autres références sur le
site
d'information des « littératures insulaires
» |
- Lorena
Bettocchi, « La
parole perdue - Rongo O'ono »,
Papeete : chez l'auteur, 1998
- « Rapa Nui - île de
Pâques », n°
spécial du Bulletin de la Sté des
Études Océaniennes, Papeete, 1999
- Pierrette
Fleutiaux, « L'expédition »,
Paris : Gallimard, 1999
- Pierre Loti,
« L'île
de Pâques : Journal d'un aspirant de La
Flore », Saint
Cyr-sur-Loire : Christian Pirot, 2006
- Pierre Loti,
« L'île
de Pâques », Paris : Magellan et Cie (Heureux qui
comme Ulysse …, 83), 2013
- Martin
d'Orgeval, « Pâques »,
Göttingen : Steidl, 2006
- Daniel
Pardon, « Guide
de l'île de Pâques »,
Papeete : Au Vent des îles, 2004
- Marie-Françoise
Peteuil, « Les
évadés de l'île de Pâques »,
Paris : L'Harmattan, 2004
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mise-à-jour : 12 juillet 2021 |
Né à Sainte-Marie
(Martinique) en 1928,
Edouard
Glissant est décédé
à
Paris le 3 février 2011. |
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