les moments chaotiques sont
souvent des lieux de renaissance |
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|
Patrick Chamoiseau, Gérard Delver,
Edouard Glissant et Bertène Juminer,
Manifeste pour refonder les DOM,
Le Monde, 21 janvier 2000 |
Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau,
Lettre
ouverte au Ministre de l'Intérieur de la
République
française à l'occasion de son voyage en Martinique,
Libération, 7 décembre 2005 |
Edouard Glissant
Dans la
Caraïbe, le monde entier est venu,
Le Temps, 20 mars 2009 |
Ernest
Breleur, Patrick Chamoiseau, Serge Domi, Gérard Delver,
Edouard
Glissant, Guillaume Pigeard de Gurbert, Olivier Portecop, Olivier
Pulvar, Jean-Claude William
Manifeste pour les
“ produits ” de haute
nécessité
16 février 2009 |
|
Edouard Glissant, « La
Lézarde », Paris, 1958 |
Edouard Glissant,
« Tout-monde
», Paris, 1985 |
Edouard Glissant,
« Sartorius,
le roman des Batoutos », Paris, 1999 |
Edouard Glissant,
« Ormerod
», Paris, 2003 |
Edouard Glissant,
« Les
Indes, Lézenn »
éd. bilingue (trad. créole par Rodolf Etienne),
Paris, 2005 |
Edouard Glissant (dir. de la publication), « Acoma 1-5, 1971-1973 »
(rééd.), Perpignan, 2005 |
Edouard Glissant, « Philosophie de la
relation : poésie en étendue »,
Paris, 2009 |
Edouard Glissant, « L'entretien
du monde » entretiens avec
François Noudelmann, Saint-Denis, 2018 |
Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau,
« Manifestes »,
Paris, 2021 |
|
Patrick Chamoiseau, « Antan d'enfance »,
Paris, 1990, 1996 |
Patrick Chamoiseau, « Texaco »,
Paris, 1992 |
Patrick Chamoiseau, « Biblique des derniers
gestes », Paris, 2002 |
Patrick Chamoiseau, « Le papillon et la
lumière », Paris, 2011 |
Patrick Chamoiseau, « L'empreinte
à Crusoé », Paris,
2012 |
Patrick Chamoiseau, « La matière
de l'absence », Paris, 2016 |
Patrick Chamoiseau, « Frères
migrants »,
Paris, 2017 |
Patrick Chamoiseau, « Contes des sages créoles »,
Paris, 2018 |
Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant,
« Lettres
créoles, tracées antillaises et continentales de
la littérature 1635-1975 »,
Paris, 1991 |
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Dean est passé, il faut
renaître. Aprézan !
Patrick Chamoiseau
Edouard Glissant
Un
cyclone est passé. Dans
son sillage : désolation
végétale, ruptures
diverses, et l'accablement des plus
démunis … Mais les
moments chaotiques sont souvent des lieux de renaissance.
Toute
régénération surgit toujours d'une
perturbation.
Plus la perturbation est sévère, plus le
renouvellement
qui s'ensuit est profond, puissant, parfois jusqu'à la
mutation.
La nature sait utiliser ses effondrements pour expérimenter
d'inédites vivacités : les arbres
ramènent de
leur traumatisme une haute vigueur et
l'écosystème
meurtri s'ébroue pour redistribuer les possibles en des
intensités variables.
En
fait, le désastre ou la crise sont aussi, et surtout, des
opportunités. Quand tout s'effondre ou se voit
bousculé,
ce sont aussi des rigidités et des impossibles qui se voient
bousculés. Ce sont des improbables qui soudain se voient
sculptés par de nouvelles clartés. Ce sont des
interdits,
des paresses, de stériles habitudes qui lochent et appellent
à se faire soulager. Ce qui est vrai pour le monde naturel
l'est
aussi pour les cultures, les peuples, les identités ou les
civilisations.
Il
serait absurde de ne retenir de la crise que le gémissement
ou
le frisson de crainte. Il serait dommage de faire moins que le biotope
le plus élémentaire, moins que les animaux, pour
simplement restaurer l'ordre ancien que la crise a défait.
Comme
si l'arbre, plutôt que de s'offrir aux nouvelles
feuillées, aux ramures impatientes, s'échinait
à
retrouver, à regretter, celles qui ont suivi le vent. Dans
quelques jours, les jeunes pousses seront là. Les oiseaux
auront
changé leurs nids. Dès demain, l'entour sera
frémissant de germinations et de recommencements. Dans toute
crise un maintenant s'ouvre d'emblée. An aprézan.
Aprézan profiter de cette calamité pour assainir
ce qui
peut l'être. Aprézan éclaircir.
Aprézan
reconsidérer. Aprézan pérenniser une
lumière là où ruptures et brisures ont
ouvert des
possibles. Toute renaissance est précieuse, il n'en existe
pas
d'inutile ou de dérisoire. Toute refondation
émerge d'un
brouillard d'infimes reviviscences …
C'est
peut-être l'aprézan de profiter de la
quasi-disparition
des panneaux publicitaires qui offusquaient nos paysages pour envisager
une réglementation plus restrictive.
L'aprézan d'enterrer tous les fils électriques
qui
peuvent l'être. L'aprézan d'inciter aux citernes
domestiques, à l'énergie
solaire … C'est
peut-être l'aprézan de revoir notre rapport aux
grands
arbres, comprendre que l'âge les remplit de
mystère et de
magie, qu'ils font partie d'un patrimoine naturel inestimable, et que
tout arbre qui vit longtemps s'entretient, se soigne,
s'élague,
se nourrit, et qu'il ne tombe ou se démembre que lorsqu'il
est
négligé. Même aprézan pour
les bords de mer
où des réorganisations radicales peuvent
être
envisagées.
Mais l'aprézan plus déterminant concerne
l'agriculture,
singulièrement la banane. Cette production constitue
l'épine dorsale de notre étrange
économie. Une
herbe, fragile, déracinable au moindre coup de vent, qui est
à l'origine de l'infestation de nos sols et des nappes
phréatiques, bourrée de pesticides, et dont
l'équation commerciale est quasi nulle en ces temps
d'exigeantes
qualités alimentaires.
Les
champs se sont couchés et les appels de détresse
se
multiplient, se font écho pour mieux s'exagérer
et
réclamer l'aide supplémentaire, la subvention de
plus,
l'énième secours additionnel. Ces clameurs
expertes sont
bien compréhensibles car, dit-on, des milliers de personnes
dépendent de ce produit. Et nous en sommes conscients.
Mais ces milliers de personnes ne sont jamais celles qui
bénéficient le plus de la manne
déversée.
Mais ces milliers de personnes méritent plus de
considération que ne leur accordent ceux qui se contentent
de
héler à subventions. Ceux qui par
là-même
reproduisent le cycle infernal de la dépendance qui assiste
un
produit sans futur, du secours qui perpétue un
système
pernicieux. Il n'y a pas d'aprézan dans ces
compassions-là. A force de répondre à
l'urgence,
on oublie l'essentiel. On oublie surtout ce que toute politique
conséquente n'ignore pas : que rien n'est jamais
plus
urgent que l'essentiel.
C'est au nom de ces milliers d'emplois, toutes ces
désespérances, qu'il faudrait oser
l'aprézan
décisif : penser, imaginer, se projeter,
désirer un
futur. Quitte à être massivement
subventionnés,
quitte à recevoir des tombereaux de secours bienveillants,
pourquoi les affecter au seul réamorçage du cycle
de la
dépendance ? Pourquoi ne pas en faire le souffle
d'une
renaissance en les affectant à une restructuration
déterminante ? Pourquoi ne pas préciser
un
aprézan à court, à moyen et long terme
pour
s'éloigner de l'agriculture pesticide pour une agriculture
raisonnée, raisonnable, ouvrant à une agriculture
totalement biologique ?
Pourquoi ne pas définir un aprézan d'apurement
des sols
et de reconversion qui, en moins de vingt ans, rapprocherait la
Martinique de cette fameuse globalité biologique (Martinique
bleue, Martinique pure, Terre de
régénération et
de santé, Terre de nature et de beauté
…) que nous
ne cessons de proposer depuis une décennie et que d'autres
auprès de nous envisagent
déjà ?
1 000 km2 cela peut se saisir, se
ressaisir, cela peut
se nettoyer, se maîtriser, se soumettre à une
volonté claire, une intention globale qui nous ferait
renaître et surtout naître au monde.
Aprézan.
Patrick
Chamoiseau
Edouard Glissant
© Le Monde,
2007
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