La matière de
l'absence / Patrick Chamoiseau. - Paris : Seuil, 2016. -
364 p. ; 21 cm.
ISBN 978-2-02-110588-9
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Tous les
manques initient.
☐ p. 158 |
NOTE DE L'ÉDITEUR :
Man Ninotte, la mère de l'auteur, meurt le 31
décembre
1999. Cet événement emporte l'écrivain
dans une
vaste réflexion poétique sur la Martinique, les
origines
de l'homme, l'évolution contemporaine du monde. La vie de
cette
femme énergique et lyrique lui permet d'évoquer
le destin
du peuple antillais, depuis la cale des bateaux négriers
jusqu'au cauchemar des plantations où les victimes durent
inventer de nouvelles formes de résistance.
Le livre se
structure à partir d'évocations de la vieillesse,
de la
mort, des obsèques de Man Ninotte, qui permettent des
explorations de la petite enfance de l'auteur, associée
à
de multiples origines, celles de la Caraïbe, celles des
Amériques, celles de l'humanité. Le
défi qu'il se
lance — de mener de front un récit
très
intimiste, souvent bouleversant, sur sa famille, dominée non
seulement par la mère, mais aussi par la sœur
aînée surnommée « la
Baronne », et une analyse qui remonte au temps
préhistorique de l'Homo sapiens, jusqu'à une
géopolitique de l'urbanisme, du paysage, du rapport entre
les
cultures — est parfaitement relevé, avec
tendresse,
humour et légèreté.
Parfois intervient
« la Baronne » à
laquelle le narrateur
s'adresse et qui apporte une touche de dérision à
l'intellectualisme de son frère. Mais il n'en est pas
perturbé et poursuit ses réflexions sur
différents
sujets : la mort, mais aussi les marchés, les
petits
magasins, les repas, les vêtements, les carnavals,
l'école, l'église, la danse et la musique. Avec
en
arrière-plan cette origine tragique (appelée
« digenèse » par
Edouard Glissant) qui
n'est autre que le ventre du bateau négrier : lieu
terrible
d'une initiation à une autre poétique de
l'existence au
monde.
« Ce que les poètes écrivent
ne
constitue que les décombres de ce qu'ils ont su vivre. Et ce
qu'ils ont su vivre n'est que l'écume de ce qu'ils ont pu
deviner et dont le manque leur reste à vie, comme le sillage
d'une lumière. » Celle sans doute d'un
très
grand livre.
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EXTRAIT |
Dans Germinal
(au bout du gris de l'hiver, du noir charbonneux des corons, des
clartés douloureuses de la grève), le printemps
de la
nature rejoint un essor de conscience chez le peuple des mineurs. Une
sorte d'avancée linéaire. Chez nous, en revanche,
de
l'habitation esclavagiste jusqu'à l'univers de Man Ninotte,
c'est une germination chaotique qui scintillait jour après
jour
dans les fibres mêmes de la déveine. Je dis
à la
Baronne : Pour comprendre ce scintillement, pense à
cette
scène que Glissant éleva en archétype.
Le
nègre, né en Afrique,
déporté aux
Amériques, qui dès son débarquement
s'enfuit vers
les grands-bois. Il nourrit l'espoir de retrouver un chemin vers le
pays perdu. Sa course butera sur l'instant quasi fatal où
l'inconcevable, déchiquetant ses illusions, va installer une
limite indépassable aussi violente qu'un mur. Il n'y a pas
de
retour. Il n'y a pas de chemin. Il n'y a que de possible à
inventer. Que du possible à vivre.
Et c'est là que commence notre affaire.
Contre
le mur, notre pauvre héros se desséchera sur
place.
Restera immobile. Ou alors, par un élan de son esprit, il
remplira le mur de scintillements. Notre
banc de lucioles. Galvanisé
par ces graines de lumière, il reprendra une course infinie,
transmise de siècle en siècle jusqu'à
nous et
au-delà de nous, en
emportant avec lui le mur scintillant.
Sans avoir eu courir dans les bois, le conteur des origines investira
d'emblée ce mur singulier où le scintillement
déclenche de petits horizons dans les mailles de ce qui n'a
pas
d'horizon. Alejo Carpentier y a vu du réel merveilleux, ce
cher
García Márquez aussi, et ils avaient raison. Mais
on peut
aussi y voir de l'émerveille :
cette diffraction faite de lucidité, qui est folle mais qui
veille, comme un désenchantement qui enchante
malgré
tout, qui pleure et qui sourit, qui ferme les yeux et qui voit tout.
Qui sait tout hors d'atteinte mais ne renonce à rient. C'est
ainsi que vivait Man Ninotte.
Voici les temps
nouveaux :
Les beaux matins de pommes-cannelle
Quelque rosée adamantine en offrande
sur tes mains
☐ pp. 140-141 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « La
matière de l'absence » avec une
préface
inédite de Chantal Thomas, Paris : Points
(Signatures), 2018
|
- « Manman
Dlo contre la fée Carabosse »,
Paris : Ed. Caribéennes, 1982
- « Chronique
des sept misères », Paris :
Gallimard, 1986 ; Gallimard (Folio, 1965), 1988
- « Solibo
magnifique », Paris : Gallimard,
1988 ; Gallimard (Folio, 2277), 1991
- « Antan d'enfance »,
Paris : Hatier, 1990 ; Gallimard (Haute enfance),
1994 ; Gallimard (Folio, 2843), 1996
- « Texaco »,
Paris : Gallimard, 1992 ; Gallimard (Folio, 2634),
1994
- « Chemin-d'école »,
Paris : Gallimard (Haute enfance), 1994 ; Gallimard (Folio, 2844), 1996
- « Le
dernier coup de dent d'un voleur de banane » et
« Que faire de la parole ? Dans la
tracée
mystérieuse de l'oral à
l'écrit » in
Ralph Ludwig (éd.), Ecrire la
« parole de nuit », Paris :
Gallimard (Folio essais, 239), 1994
- « Ecrire
en pays dominé », Paris :
Gallimard, 1997 ; Gallimard (Folio, 3677), 2002
- « L'esclave
vieil homme et le molosse » avec un entre-dire
d'Edouard Glissant, Paris : Gallimard, 1997 ;
Gallimard (Folio, 3184), 1999
- « Livret
des villes du deuxième monde »,
Paris : Ed. du
Patrimoine (La Ville entière), 2002
- « Bibliques des derniers
gestes », Paris : Gallimard,
2001 ; Gallimard (Folio, 3942), 2003
- « A
bout d'enfance », Paris : Gallimard (Haute
enfance), 2005 ;
Gallimard (Folio, 4430), 2006
- « Un
dimanche au cachot », Paris : Gallimard,
2007 ; Gallimard (Folio, 4899), 2009
- « Les
neuf consciences du Malfini », Paris :
Gallimard, 2009 ; Gallimard (Folio, 5160), 2010
- « Le papillon et la lumière »,
Paris : Philippe Rey, 2011
- « L'empreinte à
Crusoé », Paris :
Galliard, 2012 ; Gallimard
(Folio, 5644), 2013
- « Frères migrants »,
Paris : Seuil, 2017
- « J'ai toujours
aimé la nuit », Paris :
Sonatine, 2017
- « Contes des sages
créoles », Paris : Seuil, 2018
|
- « Eloge
de la créolité » avec Jean Bernabé
et Raphaël Confiant, Paris : Gallimard, 1989
- « Guyane :
traces-mémoires du bagne » photographies
de Rodolphe
Hammadi, Paris : CNMHS (Monuments en paroles), 1994
- « Elmire
des sept bonheurs : confidences d'un vieux travailleur de la
distillerie Saint-Etienne » photographies de
Jean-Luc de Laguarigue, Paris : Gallimard, 1998
- « Lettres
créoles : tracées antillaises et
continentales de la littérature 1635-1975 »
avec Raphaël Confiant, Paris : Hatier
(Brèves, Littérature), 1991 ;
Paris : Gallimard (Folio-essais, 352), 1999
- « Cases en
Pays-mêlés »
photographies de Jean-Luc de Laguarigue, Gros-Morne (Martinique), 2000
- « Tracées de
mélancolie » photographies de
Jean-Luc de Laguarigue, Gros-Morne (Martinique) : Traces HSE,
1999 ; Paris : Hazan, 2001
- « Trésors
cachés et patrimoine naturel de la Martinique vue du
ciel » photographies d'Anne Chopin, Paris :
HC
éditions, 2007
|
- Paola
Ghinelli, « Entretien avec Patrick
Chamoiseau », in Archipels
littéraires, Montréal :
Mémoire d'encrier, 2005
- Dominique
Chancé, « Patrick Chamoiseau,
écrivain
postcolonial et baroque », Paris :
Honoré
Chamion (Bibliothèque de littérature
générale et comparée,
82), 2010
- Samia
Kassab-Charfi, « Patrick Chamoiseau »,
Paris : Institut français, Gallimard, 2012
- Isabelle
Constant, « Le Robinson antillais : de
Daniel Defoe
à Patrick Chamoiseau », Paris :
L'Harmattan
(Espaces littéraires), 2015
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mise-à-jour : 3
septembre 2021 |
Patrick Chamoiseau, « Enrayer la violence en Corse »,
Libération, 27-28 novembre 1999 |
Patrick Chamoiseau et Edouard Glissant, « Dean est
passé, il faut renaître.
Aprézan ! »,
Le Monde, 26-27 août 2007 |
Patrick Chamoiseau, « J'ai
vu un peuple s'ébrouer … »,
Le Monde, 14 mars 2009 |
Patrick Chamoiseau, « Frantz Fanon,
côté sève »,
Le Monde, 11-12 décembre 2011 |
Patrick Chamoiseau, « Aucune excuse,
aucune sanction, soutien total à M. Letchimy
», 10 février 2012 |
Patrick Chamoiseau, « Le devenir, c'est
être ensemble, debout, face à l'impensable »,
Le Monde, 16 novembre 2013 |
Patrick Chamoiseau, « Frères
migrants … Les poètes
déclarent »,
janvier 2017 |
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