La
belle amour humaine / Lyonel Trouillot. - Arles : Actes sud,
2011.
- 169 p. ; 22 cm. -
(Générations).
ISBN
978-2-7427-9920-6
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… la
terre qui t'appartient, c'est celle où tu plantes tes
rêves. Celle que tu aimerais léguer à
tes enfants.
☐ p. 22 |
Venue
sur une lointaine île tropicale enquêter sur la
jeunesse
d'un père mort trop tôt pour qu'elle ait pu
vraiment le
connaître, Anaïse se rend à
Anse-à-Fôleur, petit bourg au bord de la
mer
Caraïbe où son grand-père
s'était
retiré avec femme et enfant dans une maison construite
à
côté de celle de son ami le colonel ; les
deux hommes
traînaient une sinistre réputation : l'un
homme
d'affaires rapace et sans scrupule, l'autre homme
d'autorité,
brutal et cruel — figures symboliques des deux oligarchies qui
sévissent en Haïti 1.
Quand
arrive Anaïse, son grand-père et le colonel sont
morts
depuis longtemps dans des circonstances jamais
élucidées,
et qu'aucun des habitants du bourg ne semble s'être jamais
soucié d'approfondir. Mais tous font bon accueil
à la
jeune femme qui, au fil d'échanges avec les uns et les
autres,
ouvre les yeux sur un précieux art de vivre en commun
où
l'essentiel tient en quelques mots — une
question :
« Quel usage faut-il faire de sa présence
au
monde ? » et une aspiration :
« la
belle amour humaine » 2.
Justin, le Socrate
du village côtier, incarne
cette philosophie naturelle, mais s'il se plaît à
édicter des lois, il ne cherche pas à les faire
appliquer
; chacun sait, à Anse-à-Fôleur, que le
bonheur est
un partage — trop fugace pour être
encagé.
Lecteur suffoqué par le beau
roman de Lyonel Trouillot, Ernest
Pépin a précisément
évalué la
portée de la fable, l'espoir et l'exigence qu'elle
porte :
C’est
Anse-à-Fôleur ! C’est
Haïti et ça
ne l’est pas ! C’est la vie !
C’est
un rideau levé sur le sens de la ronde humaine. La
vie
n’est jamais qu’un ouvrage collectif ! Eh
oui !
Quel usage faire de ma présence ? La
réponse est
dans la question même ! « La
belle amour humaine » n’est pas seulement
un roman
haïtien c’est une fable universelle ! A
cela se mesure
l’écrivain. En cela assume t-il magnifiquement
l’héritage de Jacques Stephen Alexis. Chaque
phrase est une sentence. Chaque sentence est une philosophie. Chaque
philosophie renvoie à l’obsédante
question du
bonheur. Pour ma part, parmi tant d’autres, je prends
celle-là : toute personne devrait pouvoir
être
l’aide-bonheur d’une autre personne. Lyonel Trouillot ou
l’aide-bonheur de la littérature et des humains
que nous sommes.
Ernest
Pépin 3
1. | Lyonel Trouillot, dans une interview recueillie
par Yvan Amar,
RFI, 9 novembre 2011. | 2. | “ La
belle amour humaine ” est le titre d'un message de
vœux que Jacques Stephen Alexis a
publié en janvier 1957
dans Les
Lettres Françaises. (N.d.A) | 3. | Le texte intégral
du compte-rendu
d'Ernest Pépin peut être lu sur le site de Potomitan. |
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EXTRAIT |
L'autre
chose qu'il faut que tu saches : il y a sept heures de route
entre
le bruit et le silence. Entre ici et
Anse-à-Fôleur.
J'imagine que chez toi aussi les villes se suivent et ne se ressemblent
pas. Il est des villes qui aboient et d'autres qui chuchotent. Il est
des villes qui sourient et d'autres qui font la gueule. Des qui se
peinturlurent comme une fille condamnée à faire
le
trottoir se déguise chaque soir pour partir au combat. Et
d'autres qui ne montrent rien, ne vendent rien, ne font pas dans
le show
off ni dans
la devanture, mais sourient sans forcer quand passe un visiteur. Ma
ville sur mer, elle est comme ça. Ma vraie ville, c'est ici.
J'y
suis né et je connais ses bruits par cœur. Ses
recoins.
Ses désastres. Mais là-bas, c'est ma ville aussi.
Enfin,
mon village. J'y ai planté mes rêves. Et la terre
qui
t'appartient, c'est celle où tu plantes tes rêves.
Celle
que tu aimerais léguer à tes enfants. Lorsque
nous
arriverons là-bas tu pourras faire la différence.
Ici, il
y a ici et là-bas. Ici, c'est ville ouverte, scandale
à
profusion. Chaque jour il arrive par la route assez de familles
nombreuses pour peupler une autre ville. Là-bas, dans le
lieudit
Anse-à-Fôleur où tu souhaites que je te
conduise,
c'est peu de monde, quelques copains, une poignée de vivants
qui
s'appellent par leurs prénoms et ne cultivent pas le
vacarme.
Les enfants y ramassent encore des coquillages, les portent
à
leurs oreilles, et la mer leur y chante quelque chanson
secrète,
sans déranger les autres. Les adultes
n'élèvent
pas la voix pour un oui, pour un non. Ils se fâchent
rarement, et
quand ça leur arrive, les enfants sourient dans leur dos,
sachant que c'est un jeu de rôle, un faux orage, qui passera
vite. Même les bêtes ne crient que chacune
à son
tour, quand besoin est, d'herbe ou de soin. Là-bas, les
gens,
ils braient pas comme ici. Quand ils optent pour le silence,
même
le rire leur passe par les yeux. Et lorsqu'ils parlent, y a encore du
silence caché derrière leurs mots.
☐ pp. 22-23 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « La belle amour humaine », Port-au-Prince : Atelier jeudi soir, 2011
- « La belle amour humaine », Arles : Actes sud (Babel, 1192), 2013
|
- « Dépalé »,
Port-au-Prince : Association des écrivains
haïtiens, 1979
- « Les fous de Saint-Antoine :
traversée rythmique »,
Port-au-Prince : Éd. Henri Deschamps, 1989
- « Le
livre de Marie », Port-au-Prince :
Éd. Mémoire, 1993
- « La
petite fille au regard d'île »,
Port-au-Prince : Éd. Mémoire, 1994
- « Zanj
nan dlo », Port-au-Prince : Éd.
Mémoire, 1996
- « Les dits du fou de l'île »,
Port-au-Prince : Éd. de l'île, 1997
- « Rue des pas-perdus »,
Arles : Actes Sud, 1998
- « Thérèse
en mille morceaux », Arles :
Actes Sud, 2000
- « Haïti,
(re)penser la citoyenneté »,
Port-au-Prince :
Haïti Solidarité Internationale, 2001
- « Histoires simples »,
Port-au-Prince : Éd. Mémoire, 2001
- « Les enfants des
héros », Arles : Actes
Sud, 2002
- « Le
testament du mal de mer », Arles : Actes
Sud,
2002 ; Port-au-Prince : Presses nationales
d'Haïti, 2004
- « Bicentenaire »,
Arles : Actes Sud, 2004
- « Haïti,
écrire les pieds dans l'eau, les yeux vers
l'intérieur », in Hommage
aux lettres d'Haïti,
dossier préparé par Jean-Euphèle
Milcé, La
Nouvelle Revue Française, n° 576, janvier
2006
- « L'amour
avant que j'oublie », Arles : Actes Sud,
2007, 2009
- « Bonjour
mon frère », in Une
journée haïtienne,
textes réunis et présentés par Thomas
C. Spear,
Montréal : Mémoire d'encrier ;
Paris :
Présence africaine, 2007
- « Yanvalou pour Charlie »,
Arles : Actes Sud, 2009 — PRIX WEPLER-FONDATION LA
POSTE 2009
- « Eloge de la contemplation [suivi de] Les dits du fou de l'île [et de] Rendez-vous »,
Paris : Riveneuve, 2009, 2019
- « Chroniques
de l'après : petite histoire des
réactions à
l'horreur du séisme », in Haïti parmi les
vivants, Arles : Actes Sud,
Paris : Le Point, 2010
- « Objectif :
l'autre », Bruxelles : André
Versaille (Fragments d'une
vie), 2012
- « Parabole du failli »,
Arles : Actes Sud, 2013 — PRIX CARBET DE LA
CARAÏBE 2013
- « C'est
avec mains qu'on fait chansons : anthologie
poétique », Montreuil : Le Temps
des cerises,
2015
- « Histoires simples II », Pétion-Ville : C3 éditions, 2016
- «
Kannjawou », Arles : Actes sud, 2016 ; Actes sud
(Babel, 1562), 2018
- « Le
miroir d'Anabelle, et autres récits »,
Petit-Bourg
(Guadeloupe) : Caraïbéditions, 2016
- « Agase lesperans », Delmas : C3 éditions (Atelier jeudi soir), 2017
- « Ne m'appelle pas Capitaine »,
Arles : Actes sud, 2018
- « Antoine des Gommiers »,
Arles : Actes sud, (janvier) 2021
|
- Sophie
Boutaud de la Combe et Lyonel
Trouillot, « Lettres de loin en loin : une
correspondance haïtienne »,
Arles : Actes Sud, 2008
- Louis-Philippe
Dalembert et Lyonel Trouillot, « Haïti, une
traversée littéraire »,
Paris : Culturesfrance, Philippe Rey ;
Port-au-Prince : Presses nationales d'Haïti, 2010
- Marie-Bénédicte
Loze et Lyonel Trouillot, « Cité perdue » dessins d'Ernest
Pignon-Ernest, Genouilleux : La Passe du vent, 2017 ; Paris : Bruno
Doucey (Soleil noir), 2019
- Ernest Pignon-Ernest et Lyonel Trouillot, « Tu aurais pu vivre encore un peu … », Paris : Bruno Doucey (Passage des arts), 2020
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Sur
le site « île
en île » :
dossier Lyonel
Trouillot |
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mise-à-jour
: 11 novembre 2020 |
Trump
réduit l'autre à un présent sans
passé
Le Monde, 17 janvier 2018 |
En
Haïti, nous n'avons pas la maîtrise de notre pays
Libération, 23-24 janvier 2016 |
Contre
l'élitisme, faisons vivre la culture populaire des
Haïtiens !
Le Monde, 14 mai 2015 |
Les
Haïtiens ne sont pas écoutés
entretien recueilli par Grégoire Allix
Le Monde, 9-10 janvier 2011 |
Les pays
pauvres et l'ogre
Le Monde, 1-2 février 2009 |
Dis,
papa, est-ce qu'ils te couperont la tête ?
Courrier International, 12-18 février 2004 |
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