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EXTRAIT

Thérèse a vingt-six ans. Elle n'a pas encore toute sa tête parce qu'il lui manque des éléments pour habiter sa vie. Ses pieds, eux, pensent très vite. Ils tiennent leur revanche. La vie ne piétine plus sur le pas de la porte. Libre à elle de compter au-delà de vingt. Libre à elle de ne pas compter. Chaque pas foule une racine, chaque pas tourne sur lui-même. Certains sont des ratures, ils rebroussent chemin, font la grosse tête, changent de cap comme les cerfs-volants. Thérèse a enlevé ses chaussures. Elle construit, les pieds nus, ses marques et son errance. Chacun devrait pouvoir bâtir ainsi sa ville. Quand elle sera partie, dans un musée ou un motel, quelqu'un l'interrogera sur sa fleur d'origine ou sa première blessure, s'attendant à ce qu'elle lui parle de Carénage, ce quartie qui longe la mer et où les jeunes voyous vivant d'amours et de bagarres se racontent le monde avec des mots et des objets qui ne pensent qu'au vent : vagues, toupies, cerfs-volants. Oui, quelqu'un de bien intentionné, plus bête que méchant, un touriste par procuration, s'attendra à ce qu'elle lui parle du dôme de l'église ou de la piste du night-club, qu'elle décrive le Feu-Vert où l'on danse des musiques qui prétendent mal à la gaieté. Thérèse a vingt-six ans et n'aime pas les descriptions. Elle écrit un journal, pas un guide touristique. Elle n'a pas d'images à vendre. Sa ville ne sera jamais son commerce. Sa révolte n'est pas un reniement, sa fidélité n'est pas une clôture. La ville d'où je viens n'est ni enfer ni paradis. Seulement mon port. Ni ma tombe, ni mon exil. Seulement ma rive. Encore un mot qu'elle n'aime pas : exil. Il lui faut des mots vrais, sans faire-valoir. ☐ pp. 91-92