Parlons
de l’idéal. Et pour ce faire, il y a la coopération
culturelle. Non pas celle ouverte aux élites. Mais celle qui
peut aller vers les masses. Celle qui peut amener les voix du monde aux
enfants d’Haïti et aider à faire entendre hors
d’Haïti cette culture populaire qui reste la mère
nourricière des quelques artistes et écrivains qui font
le tour du monde. | ACCUEIL BIBLIOTHÈQUE INSULAIRE LETTRES DES ÎLES ALBUM : IMAGES DES ÎLES ÉVÉNEMENTS OPINIONS CONTACT
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Dis, papa, est-ce qu'ils te couperont la tête ? Courrier international, 12-18 février 2004 | Les pays pauvres et l'ogre, Le Monde, 1-2 février 2009
| Les Haïtiens ne sont pas écoutés, Le Monde, 9-10 janvier 2011 | En Haïti, nous n'avons pas la maîtrise de notre pays, Libération, 23-24 janvier 2016 | Trump réduit l'autre à un présent sans passé, Le Monde, 17 janvier 2018 |
| Lyonel Trouillot, « Les fous de Saint-Antoine : traversée rythmique », Port-au-Prince, 1989 | Lyonel Trouillot, « Rue des pas perdus », Port-au-Prince, 1996 | Lyonel Trouillot, « Les dits du fou de l'île », Port-au-Prince, 1997 | Lyonel Trouillot, « Thérèse en mille morceaux », Arles, 2000 | Lyonel Trouillot, « Histoires simples », Port-au-Prince, 2001 | Lyonel Trouillot, « Les enfants des héros », Arles, 2002 | Lyonel Trouillot, « Yanvalou pour Charlie », Arles, 2009 | Lyonel Trouillot, « Eloge de la contemplation », Paris, 2009 | Louis-Philippe Dalembert et Lyonel Trouillot, « Haïti, une traversée littéraire », Paris et Port-au-Prince, 2010 | Lyonel Trouillot, « La belle amour humaine », Arles, 2011 | Lyonnel Trouillot, « Parabole du failli », Arles, 2013 |
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Contre l’élitisme, faisons vivre la culture populaire des Haïtiens !
Lyonel Trouillot
La
visite de François Hollande en Haïti rappelle que la langue
française est une arme élitiste. La coopératio
culturelle doit être ouverte à tous. Le
président français était le 12 mai en
Haïti. Nous n'étions pas nombreux à
l'écouter. Déjà qu'il existe un vieil adage en
créole, « ay, tou sa se Lafrans » (« ah, tout ça c’est la France »),
qui sert à exprimer le scepticisme après un discours que
l'on croit sans suite. Et puis, le président s'exprime dans une
langue étrangère pour la majorité des
Haïtiens, une belle langue que des élites
indifférentes au sort de cette majorité utilisent comme
outil d'exclusion et de domination.
Il est temps de mettre fin à ce partage inégal des
langues en Haïti. La France pourrait aider à faire que le
français ne soit plus le bien de quelques-uns, mais la langue de
tous, si elle intégrait ce vœu dans les priorités
de sa politique de coopération. La situation linguistique
haïtienne fait du français une arme au service de
l’injustice et de l’inégalité. Et
puis, comment convaincre cette majorité que la France sait faire
autre chose que parler, que sa politique de coopération avec
Haïti aidera à des changements structurels vers plus de
bien-être pour l’ensemble et l’établissement
enfin de cette sphère commune de citoyenneté qui manque
tant à la société haïtienne ? Quelques
signes existent bien pour rappeler l’action de la France en
Haïti, la route dite de l’Amitié, des cours à
l’Institut français, quelques actions et programmes, Total
et Air France … Il
y a bien sûr le passé colonial qui maintient le
soupçon. Un soupçon qui ne témoigne pas
forcément de la réalité. Il y a des preuves
concrètes de formes de solidarité et
d’amitié. Comment oublier ceux et celles qui nous ont
aidés après le séisme de 2010 ! Comment ne
pas entendre les voix des intellectuels qui, pendant la dictature, ont
soutenu nos élans vers la liberté ! Comment ne pas
saluer le vœu de comprendre et d’aider, montré par
des Français, fonctionnaires ou simples civils, vivant en
Haïti ! Il
reste que, aux yeux de la majorité des Haïtiens, la France
ne semble pas avoir fait la paix avec cette indépendance
haïtienne acquise de haute lutte. La victoire militaire
d’une bande d’esclaves sur l’armée
expéditionnaire levée par Bonaparte, et la
réalisation concrète des principes de liberté et
d’égalité entre les individus et les races au tout
début du XIXe siècle. TROUS DE MÉMOIRE
La
France a souvent fait passer nos héros pour des barbares. Elle a
contribué à l’isolement de l’Etat
haïtien pendant une bonne partie du XIXe siècle.
Elle s’est fait payer des sommes qui ne lui étaient dues
ni en droit ni d’un point de vue humaniste. On pourrait me
répondre que tout cela, « c’était hier ».
Mais l’amitié ne se fonde pas sur des trous de
mémoire. Il y a beaucoup à faire, sur le plan symbolique
et dans l’action concrète, pour que les classes populaires
voient dans la France une amie sincère.
Dans
notre mémoire collective, la France a contre elle Donatien de
Rochambeau (1755-1813, capitaine général de la colonie de
Saint-Domingue, il fit preuve d’une grande cruauté dans le
combat pour mater la révolte des esclaves), et d’autres
fers de lance du racisme intégral. Mais vous avez aussi Hugo,
Jaurès, Sartre. C’est avec cette France-là que
l’on voudrait causer.
Elle
semble loin, cette France, dans une mise au rancart des choses de
l’idéal au nom d’un pragmatisme dont personne ne
peut compter les effets positifs. Parlons de l’idéal. Et
pour ce faire, il y a la coopération culturelle. Non pas celle
ouverte aux élites. Mais celle qui peut aller vers les masses.
Celle qui peut amener les voix du monde aux enfants d’Haïti
et aider à faire entendre hors d’Haïti cette culture
populaire qui reste la mère nourricière des quelques
artistes et écrivains qui font le tour du monde.
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