Le
bal du gouverneur / Marie-France Pisier. - Paris : Librairie
générale française, 1985. -
250 p. ;
17 cm. - (Le Livre de poche, 6096).
ISBN
2-253-03735-4
|
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De
petits groupes reprennent en chœur l'hymne local que le
haut-parleur diffuse, solennel :
« Nouvelle-Calédonie
petite île du Pacifique
Toi la
perle des Tropiques
Petite
île où j'ai connu
l'Amourrrrr … »
☐ p. 19 |
Avant
de prendre une part active à une belle page du
cinéma
français, Marie-France Pisier a vécu une partie
de son
enfance au Vietnam, où elle est née en 1944, puis
en
Nouvelle-Calédonie où son père
travaillait
auprès du Gouverneur du Territoire, participant à
l'exercice d'un pouvoir encore largement empreint des usages et
principes de l'époque coloniale. Dans Le bal du gouverneur,
les souvenirs des six années passées à
Nouméa dans l'entre soi d'un milieu imbu de ses
prérogatives et de sa
supériorité sont à
l'arrière-plan d'une intrigue romanesque où se
mêlent trouble de l'adolescence et tensions familiales.
Pour
Marie-France Pisier, cet exercice rétrospectif
répondait
à une nécessité vivement ressentie
— « je devais absolument me
débarasser de
mon enfance » 1
— comme en témoigne un scénario de
1978, Territoire
d'outre-mer, resté
sans suite ; le roman qui vit le jour quelques
années plus
tard (première publication chez Grasset en 1984), sera
adapté au cinéma en 1988 (sortie publique en 1990) 2.
Dans
le roman comme dans le film, le regard porté sur la vie du
Territoire et sur les rapports entre communautés ne sont
évoqués qu'à partir de la perception
que pouvait
en avoir une jeune fille vivant dans un milieu très
protégé. Théa,
l'héroïne du roman,
s'indigne parfois, mais sa révolte reste émotive,
sans
réelle prise de conscience. Plus tard Marie-France Pisier
signalera, comme à regret, « son
indifférence
envers la vie politique » 3.
Après
avoir jugé l'intrigue
« légère au
possible » et la description du mileu des
fonctionnaires
coloniaux expatriés « très
adoucie par rapport
à la réalité »,
Jean Guiart admet
que « le milieu et l'atmosphère
où
évoluent les personnages sont vrais »,
ajoutant :
« on comprend que l'actrice et romancière
s'en soit
évadée » 4.
1. |
Interview
recueillie par Gilles Médioni, L'Express, 28
février 2006 [en ligne] |
2. |
Scène
de très nombreux reportages et documentaires, la
Nouvelle-Calédonie a suscité peu de longs
métrages : Le
bal du gouverneur, le film japonais de Nobuhiko
Ohbayashi, L'île
la plus proche du paradis (Tengoku ni ichiban chikai shima,
1984) tiré du roman de Morimura Katsura (1969)
centré sur
l'île d'Ouvéa et, plus récemment, le
film de
Mathieu Kassovitz, L'ordre
et la morale (2011). |
3. |
L'Express, 28 février 2006. |
4. |
Journal
de la Société des Océanistes | 1984 | vol. 40 | numéro 78 | p. 121 [en ligne] |
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EXTRAIT |
La
haie de goyaviers cache les premières bicoques du quartier
indigène. Leurs parents leur ont interdit d'y
pénétrer et elles échangent un regard
hésitant. Le docteur continue d'avancer au milieu des cases
en
tôle ondulée, des odeurs fortes et des enfants
piailleurs
qui lui font escorte. Théa s'essouffle à le
rattraper.
« Docteur, vous allez voir les canaques
chez
eux ? Je croyais qu'ils devaient venir en consultation
à
l'hôpital ?
— Quand tu t'es
cassé un bras, je suis bien venu te voir sur la Colline aux
Oiseaux, non ?
Il
a l'air fâché, elles sont indécises,
mais tant pis,
c'est trop tard, elles le suivent quand même quand il se
baisse
pour pénétrer dans une hutte, au toit couvert de
feuilles
de bananiers.
A
l'intérieur, il fait très sombre, plus frais
aussi et des
fumées piquent un peu les yeux. Après quelques
instants,
on distingue mieux, à cause du maigre feu qu'attise une
fillette
noire, extrêmement gracieuse.
Théa
et Isabelle sont fascinées par sa beauté et
épient
chacun de ses gestes, des gestes de statuette, fine comme un Tanagra.
Son
corps est enroulé, au plus près, dans une sorte
de sari
indien, ou plutôt javanais, et sa coiffure, surtout, accuse
un
port de tête de princesse hindoue. Ses cheveux, en longues
mèches crépelées, sont
relevés sur le
sommet de sa tête, soulignant une longue nuque gracieuse.
Toute
une série de petits coquillages nacrés ornent cet
édifice. C'est magnifique ! Elle leur offre
à boire
d'un geste, et elles n'osent pas refuser. Ce n'est pas du lait de coco,
c'est chaud, ça fume. Elle porte aussi, autour du cou, un
long
collier d''hibiscus et de tiarés
entremêlés, qui
sent très bon. Elles boivent du bout des lèvres,
craintivement. Sans la quitter des yeux.
Le
docteur, lui, est toujours penché sur une natte,
à
même le sol, où gît un nourrisson aux
grands yeux
effrayés. Près de lui, sa mère, sans
doute, une
lourde popinée, l'évente avec ses jupes. Le
docteur se
relève, la rassure, lui dit que l'enfant est sorti
d'affaire. Sa
voix est gaie.
« Tu pourras me l'amener
à l'hôpital maintenant, sans
crainte. »
Il
revient vers les fillettes et boit d'un trait la boisson que
Théa et Isabelle n'arrivent pas à avaler. Il rit,
il se
moque d'elles.
« Vous
avez raison d'avoir peur, c'est une décoction de
sorcière, de ma sorcière
préférée … »
En disant cela, il caresse la joue de la jeune
fille en sari qui lève sur lui ses longs cils
frisés.
« Je ne suis pas une
sorcière, Michel. »
Michel !
Théa et Isabelle échangent un regard
stupéfait
mais elles n'ont pas fini de s'étonner. La jeune noire
s'avance
maintenant vers le docteur, se hausse sur la pointe des pieds et tente
de lui passer le collier autour du cou. Il arrête son geste.
« Tu vois bien que tu essaies
de m'ensorceler, je le connais ce collier, tu ne m'auras
pas. »
Ils
restent un moment collés l'un contre l'autre, riant,
luttant, et
la mère du nourrisson semble apprécier leur
fausse joute.
« Tu as vu comme elle a grandi,
docteur, elle aura quatorze ans cette
année …
— Notre
âge ! disent les quatre yeux ronds d'Isabelle et de
Théa. »
☐ pp. 92-94 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Le
bal du gouverneur », Paris : Grasset, 1984
|
LE CINÉMA SUR LE
SITE DES LITTÉRATURES
INSULAIRES
En l'absence d'une sélection suffisamment
développée, la liste qui suit regroupe quelques
unes des
références dispersées sur l'ensemble
du
site. |
- Anne Akrich,
« Il
faut se méfier des hommes nus »,
Paris : Julliard, 2017
- Martin Barnier et Pierre Beylot,
« Analyse
d'une œuvre : Conte
d'été, Eric Rohmer, 1996 »,
Paris : Librairie Vrin (Philosophie et cinéma), 2011
- Alain Bergala,
« Monika de Ingmar
Bergman », Crisnée
(Belgique) : Yellow now (Côté films, 1),
2005
- Ingmar Bergman,
« Monika »,
Paris : L'Avant-scène Cinéma (567,
décembre 2007), 2007
- Ingmar Bergman,
« Cris et chuchotement [suivi de] Persona [et de] Le
lien », Paris : Gallimard (Folio, 2620),
1994
- Pierre Butin, Gilles Janin et Vincent Guigueno,
« Un film entouré d'eau :
histoire et mémoire de L'or
des mers de Jean Epstein à Hoedic
(1932-2005) », in Pierre Frustier (dir.), Les identités
insulaires face au tourisme, La
Roche-sur-Yon : Siloé, 2007
- Nicolas Chaudun, « L'île des
enfants perdus », Arles : Actes
sud, 2019
- Nicolas Chemla, « Murnau des ténèbres », Paris : Le Cherche midi (Cobra), 2021
- Jean Epstein,
« L'or
des mers », Baye : La Digitale,
1995
- Jean-Luc
Godard, « Les
années Cahiers, 1950 à 1959 »,
Paris : Flammarion (Champs arts, 740), 2007
- Jean-Luc Godard, « Les années Karina, 1960 à 1967 »,
Paris : Flammarion (Champs arts, 741), 2007
- Vincent
Guigueno, « Jean
Epstein, cinéaste des îles : Ouessant,
Sein, Hoëdic, Belle-Ile »,
Paris : Jean-Michel Place, 2003
- Bernard
Judge, « Waltzing with Brando : planning a
paradise in
Tahiti », Novato (California) : Oro
editions, 2011
- Andrea de
Lauris et Pat Mullen, « Man of Aran (le
film) » in Dominique Beugras (éd.), Les îles d'Aran, le
voyage vers l'ouest, Paris : La
Bibliothèque (L'Écrivain voyageur), 2000
- Isabelle
Le Corff, « Le
cinéma breizh-îlien :
îles bretonnes et cinéma »
illustrations de
Nono, Morlaix : Skol Vreizh, 2016
- Patrick
Louguet, « Le
voyage vagabond au cœur de l’œuvre
cinématographique de Jacques Rozier
(Les Naufragés de l’île de la tortue,
Maine Océan et Adieu
Philippine) », in Francis Marcoin (éd.), Encore Robinson,
Arras :
Université d'Artois, Centre Robinson, 2017
- Marc-Emmanuel
Louvat, « Petite histoire du cinéma en
Polynésie française,
Cinematamua »,
Paris : L'Harmattan, 2016
- Delos W.
Lovelace, « King
Kong » d'après une histoire de
Edgar Wallace et Merian C. Cooper, Paris : Librio (Librio,
746), 2005
- Pat Mullen,
« Man
of Aran », Cambridge (Mass.) :
The M.I.T. press, 1970
- Friedrich Wilhelm Murnau, « Südseebilder : Texte, Fotos und der Film Tabu »
ausgewählt, bearbeitet und kommentiert von Enno Patalas, herausgegeben
von der Friedrich-Wilhelm-Murnau-Stiftung, Berlin : Bertz+Fisher, 2005
- Alyssa Goldstein Sepinwall,
« Slave revolt on screen : the Haitian Revolution in film and video
games », Jackson : University press of Mississippi, 2021
- Pierre Sorlin,
« L'Avventura
(Michelangelo Antonioni, 1960) »,
Lyon : Aléas (Le Vif du sujet, 2), 2010
- Liv
Ullmann, « Devenir », Paris :
Stock, 1977
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mise-à-jour : 16 septembre 2022 |
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