L'or des mers / Jean Epstein ;
postface de Jean-Pierre Gestin. - Baye : La Digitale, 1995. -
157 p. ; 22 cm.
ISBN 2-903383-46-4
|
JEAN-PIERRE
GESTIN :
(…)
Pour
Epstein, le cinéma s'avère être un
moyen
démiurgique susceptible de modifier la
réalité.
Puis
à l'occasion de congés pris en Bretagne, c'est le
choc,
l'éblouissement, l'intellectuel parisien découvre
au bout
du monde une réalité qu'il ignorait, des hommes
différents, des lumières, des formes, des
mouvements
complètement autres.
Finis Terrae
tourné en 1929 à Ouessant et sur l'îlot
de Bannec,
au-delà du Fromveur, avec des acteurs non professionnels
recrutés sur place, rendra compte de cet
éblouissement,
de façon plus sensible peut-être que tous les
films qui
suivront.
Le
scénario n'est ici que prétexte, une
histoire simple, comme il en arrive tous les jours, mais une histore
qui met en jeu la vie, la mort, la solidarité, une histoire
simple dans laquelle les îliens et les goémoniers
n'ont
pas de mal à se reconnaître, donc à se
laiser
diriger par Jean Epstein.
(…)
Epstein
est aussi l'auteur
de nombreux écrits théoriques et philosophiques
sur le
cinéma mais, à deux exceptions près,
il n'a pas
laissé d'œuvre de fiction, hors ses films.
La
première de ces exceptions s'appelle L'Or des Mers, titre
qu'il utilise aussi pour le film qu'il tourne en 1931 sur
l'île
d'Hoëdic, mais ici l'action, toute autre, se
déroule
à Ouessant, une île qu'il a appris à
bien
connaître. Il la saisit au moment même
où le grand
isolement dans lequel elle a vécu commence à se
rompre,
où les premiers touristes viennent chercher leur part
« d'authenticité »,
essayant avec un
goût souvent discutable de se fondre dans la population, mais
les
« pantalons blancs » ne trompent
pas leur monde.
(…)
☐ Postface, pp. 152-153
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CORINNE
BENAND : J. Epstein est reconnu comme
le premier cinéaste avec Flaherty, à avoir
adopté une démarche dite ethnographique, et ses
écrits sur son approche cinématographique dans
les îles bretonnes constituent des archives
précieuses pour une interrogation sur
l'insularité.
☐
« L'étude
de la production audiovisuelle consacrée aux îles
peut-elle constituer une approche de l'insularité ?
Le cas de l'île de Sein », in : Territoires
et sociétés insulaires, Actes
du
colloque organisé à Brest et Ouessant du 15 au 17
novembre 1989, Brest : Université de Bretagne
Occidentale, 1991
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FRANÇOISE
PÉRON : Jean Epstein (1897-1959)
consacra la dernière partie de sa vie et de son
activité cinématographique à la
Bretagne, et plus particulièrement à ses
îles. Il avait fait le choix de ne tourner qu'avec la
population locale — ce qui fut le cas à
Sein et à Ouessant —, si bien que le
vécu concret des habitants y est rendu avec la force de ce
qui est authentique. Les fondements de la pratique d'Epstein peuvent
être résumés par l'une de ses
phrases : « Pourquoi reconstruire
les personnages quand on ne reconstruit pas la
mer ? »
☐
« Des îles et des hommes »,
n. 30, p. 271
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EXTRAIT |
Et le temps coula
comme il ne fait qu'aux îles.
Les
vents d'été jouent. Les grands bateaux, en
passant de
jour, jettent leur nom pour que les sémaphores leur
répondent, à bout de mât, des mots de
toutes les
couleurs. Dans la nuit glissent, lointaines, des cathédrales
illuminées, tournent les hautes ailes des phares. Il y a
toujours et toujours des vagues dont le bruit se balance dans l'air.
Des pigeons voyageurs arrivent du large, volent en cercle, passent,
savent où ils vont. Un sous-marin qui paraît une
lime
flottante, débarque deux grands enseignes et un petit
panier.
Ces jeunes gens ont rêvé d'une omelette, demandent
des
œufs. Mais ils rient tant qu'ils les casseraient s'ils en
trouvaient. Ils n'en trouvent pas. La Jacqueline pêche,
tirant tantôt sa proue aiguë, tantôt sa
poupe
carrée hors de la lame courbe. Les viviers flottent dans le
port, verdissent, s'entrecognent sans mal. Des marsouins font la
course, par trois, par huit, torpilles bondissantes, fuseaux cousant
les houles. Un espadon les met en fuite. Un vieux requin, couvert de
lèpre blanche, fait frétiller de peur un petit
banc de
sardines. Sur la porte de l'Inscription maritime il y a un tableau
où sont dessinés les bélugas,
ravageurs de filets.
Mais il y a les vrais bélugas qui sont inoffensifs, et les
faux,
très dangereux, dont la prise rapporte une prime. Personne
ne
s'y retrouve parce que les pêcheurs ne sont pas d'accord avec
les
savants, et les naturalistes ne sont pas d'accord entre eux. Un
chalutier douarneniste vient en relâche, et cela fait neuf
assoiffés, vêtus d'ocre, traînant, avec
une odeur de
boette pourrie, cinquante litres à remplir de vin, sans
compter
le rhum et le plein dans les estomacs. Vers le soir, éclate
la
bagarre de tradition, mais ils sont si durs, ces gars, qu'ils
n'arrivent pas à s'assommer entre eux avant le matin. Le
patron
va de l'un à l'autre combattant, se contente de retirer des
mains les couteaux et les pierrres. Le lendemain, tous font bon
ménage, se passant le savon qui mousse dans l'eau de mer,
amis
comme frères. Ce jour-là, le médecin
brestois qui
d'habitude remplit à le faire péter de son
embonpoint une
combinaison amarante de pêcheur, juge prudent qu'on ne s'y
trompe
pas et se vêt de flanelle blanche. Depuis des mois le canot
de
sauvetage n'est pas sorti. Et personne n'a compté depuis
combien
de jours le baromètre, sur la cale, ne bouge. A force,
l'horloge
de l'église est en retard de une heure et dix-huit minutes
sur
le temps du continent. Il n'y a que l'employé de T.S.F. qui
s'en
soucie.
☐ pp. 72-73 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « L'or
des mers », Paris : Librairie Valois, 1932
|
- Jean
Epstein, « Les
recteurs et la sirène »,
Paris : Fernand Aubier,
Editions Montaigne, 1934 ; Baye : La Digitale, 1998
- Jean
Epstein, « Ecrits
sur le cinéma : 1921-1953 »,
Paris : Seghers, 1974
- Jean
Epstein, «
Ecrits complets » sous la dir. de Nicole Brenez,
Joël Daire
et Cyril Neyrat (9 vol.), Paris : Independencia,
2014-…
|
- Pierre Butin, Gilles Janin et Vincent Guigueno,
« Un film entouré d'eau :
histoire et mémoire de L'or
des mers de Jean Epstein à Hoedic
(1932-2005) », in Pierre Frustier (dir.), Les
identités insulaires face au tourisme, La
Roche-sur-Yon : Siloé, 2007
|
LE CINÉMA
SUR LE SITE DES LITTÉRATURES
INSULAIRES
En l'absence d'une sélection suffisamment
développée, la liste qui suit regroupe quelques
unes des
références dispersées sur l'ensemble
du
site. |
- Anne Akrich, « Il faut se méfier
des hommes nus », Paris :
Julliard, 2017
- Martin Barnier et Pierre Beylot,
« Analyse
d'une œuvre : Conte
d'été, Eric Rohmer, 1996 »,
Paris : Librairie Vrin (Philosophie et cinéma), 2011
- Alain Bergala,
« Monika de Ingmar
Bergman », Crisnée
(Belgique) : Yellow now (Côté films, 1),
2005
- Ingmar Bergman,
« Monika »,
Paris : L'Avant-scène Cinéma (567,
décembre 2007), 2007
- Ingmar Bergman,
« Cris et chuchotement [suivi de] Persona [et
de] Le lien », Paris : Gallimard (Folio,
2620), 1994
- Nicolas Chaudun, « L'île des
enfants perdus », Arles : Actes
sud, 2019
- Nicolas Chemla, « Murnau des ténèbres », Paris : Le Cherche midi (Cobra), 2021
- Jean-Luc
Godard, « Les
années Cahiers, 1950 à 1959 »,
Paris : Flammarion (Champs arts, 740), 2007
- Jean-Luc Godard, « Les
années Karina, 1960 à 1967 »,
Paris : Flammarion (Champs arts, 741), 2007
- Vincent Guigueno, « Jean Epstein, cinéaste des
îles : Ouessant, Sein, Hoëdic,
Belle-Île », Paris :
Éd. Jean-Michel Place, 2003
- Bernard
Judge, « Waltzing with Brando : planning a
paradise in
Tahiti », Novato (California) : Oro
editions, 2011
- Andrea de
Lauris et Pat Mullen, « Man of Aran (le
film) » in Dominique Beugras (éd.), Les îles d'Aran, le
voyage vers l'ouest, Paris : La
Bibliothèque (L'Écrivain voyageur), 2000
- Isabelle
Le Corff, « Le
cinéma breizh-îlien :
îles bretonnes et cinéma »
illustrations de
Nono, Morlaix : Skol Vreizh, 2016
- Patrick
Louguet, « Le
voyage vagabond au cœur de l’œuvre
cinématographique de Jacques Rozier
(Les Naufragés de l’île de la tortue,
Maine Océan et Adieu
Philippine) », in Francis Marcoin (éd.), Encore Robinson,
Arras :
Université d'Artois, Centre Robinson, 2017
- Marc-Emmanuel
Louvat, « Petite histoire du cinéma en
Polynésie française,
Cinematamua »,
Paris : L'Harmattan, 2016
- Delos W.
Lovelace, « King
Kong » d'après une histoire de
Edgar Wallace et Merian C. Cooper, Paris : Librio (Librio,
746), 2005
- Pat Mullen,
« Man
of Aran », Cambridge (Mass.) :
The M.I.T. press, 1970
- Friedrich Wilhelm Murnau, « Südseebilder : Texte, Fotos und der Film Tabu » ausgewählt, bearbeitet und kommentiert von Enno Patalas,
herausgegeben von der Friedrich-Wilhelm-Murnau-Stiftung, Berlin :
Bertz+Fisher, 2005
- Marie-France
Pisier, « Le bal du
gouverneur », Paris : Librairie
générale française (Le Livre de poche,
6096), 1985
- Alyssa Goldstein Sepinwall,
« Slave revolt on screen : the Haitian Revolution in film and video
games », Jackson : University press of Mississippi, 2021
- Pierre Sorlin,
« L'Avventura
(Michelangelo Antonioni, 1960) »,
Lyon : Aléas (Le Vif du sujet, 2), 2010
- Liv
Ullmann, « Devenir », Paris :
Stock, 1977
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mise-à-jour : 16 septembre 2022 |
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