EXTRAIT |
Sur Korn Here, il n'y a rien. La vue ne rencontre
rien, rien que ce château carré, posé
là comme un encrier, sur un tapis vert, et dont les
fenêtres s'ouvrent sur la vie d'en face.
Vu de là, Ouessant est presque un lieu
paradisiaque.
Au delà du bras de mer, les
pâtis ouessantins, où s'érigent sur ce
versant venteux de nombreux moulins, sont un site aimable ;
les pacages où bêlent les moutons semblent une
terre grasse, riche ; les îliennes sont comme des
fées, dans leur costume soigné, avec leur
chevelure éparpillée au vent. Les barques de
pêche qui rentrent à la fin du jour
égaient de leurs couleurs, comme de leur
mobilité, la baie de Béninou, où elles
dansent à peine sur l'eau tranquille.
Les pêcheurs qui regagnent d'un pas
égal leurs petites maisons, ne regardent pas Korn Here,
austère et rigide sur l'océan, ils pensent
à la veillée qui les réunira, dans la
bonne odeur de la pipe, autour d'une bouteille de vin dur ou d'une
tasse de café, tandis que les femmes fileront.
Et lorsque l'angélus de Lampaul
s'entend faiblement comme l'appel de la terre amie, accueillante,
heureuse, Korn Here, muette, qui assiste en spectatrice à
toutes ces joies dont elle n'a pas sa part, dont elle demeure exclue
par ce bras de mer, ne peut même pas répondre.
[…]
Terre aride, sans secours aux faibles, aveugle et
sourde aux douleurs, elle n'est un refuge que pour les forts. De ses
falaises striées, coupantes, où
l'océan se déchire, elle bave sans cesse une
écume blanche.
Séparée d'Ouessant par un
couloir traversé de courants qui rendent les communications
incertaines, Korn Here, isolée, perdue, est vivante
cependant, à la manière d'une flamme qu'une mer
d'épouvante cherche à éteindre et que
les vents du large cherchent à souffler.
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pp. 53-54
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