Les recteurs et la
sirène / Jean Epstein. - Baye : La Digitale, 1998.
- 135 p. ; 22 cm.
ISBN
2-903383-48-0
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NOTE
DE L'ÉDITEUR
: Epstein a vécu parmi le peuple de la mer dont
ce roman peint
quelques types. Comme il est le fruit d'une observation
singulièrement aiguë, il constitue le document le
plus
intéressant sur une poignée d'humains qui vit
dans des
conditions dont nous ne pouvons soupçonner ni la
précarité, ni le tragique.
Dans
l'esprit de ces
humains privés de tout contact réel avec le monde
qui les
entoure, les événements prennent vite l'aspect du
surnaturel.
Au lecteur
d'identifier l'île Huernn et
d'apprécier le rôle des recteurs, travailleurs de
Dieu,
autorité absolue sur l'île, régissant
le temporel
et l'intemporel avec la même fermeté sur une
population de
simples mortels.
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VINCENT
GUIGUENO
: Les médiateurs entre Epstein et
l'île ne sont pas
seulement les marins ou les sauveteurs. Le cinéaste
découvre l'influence des prêtres sur les
communautés insulaires, à Ouessant, Sein et
Hoëdic.
Loin dans le XIXe
siècle, les îles morbihannaises ont
été
dominées par leurs recteurs respectifs, qui tiraient leur
autorité spirituelle et surtout économique d'un
droit
coutumier, une charte qu'un juriste parisien vint étudier au
début du XXe
siècle. Dans ces minuscules théocraties,
l'organisation
du travail et la répartition des ressources passaient par le
curé, qui cumulait également les offices
publics :
syndic des gens de mer, agent de l'octroi, directeur des postes et
même titulaire du poste de gardien de fanal, emplois qu'il
« sous-traitait » ensuite
à sa
clientèle. Le premier agent laïc s'installa
à Houat
en 1880. Les recteurs deviendront les héros du second roman
d'Epstein. Dans Les
Recteurs et la sirène, le
fossoyeur de l'île d'Huernn, Émile Faou, dit Mimi,
se
sauve sur le continent et rencontre Élodie, une fille de
l'Assistance publique. Il l'emmène au cinéma
forain. La
présence de ce dernier déclenche la
colère du
recteur contre ces ouailles qui vont « aux
spectacles qui
dépeignent complaisamment les débordements des
plus
tristes passions ».
« Ah ! ce n'est pas chez
moi qu'il aurait eu le loisir de prendre racine, ton
cinéma ! », s'écrit
le curé.
Epstein avait pourtant noté que le recteur de Sein
« n'ignore pas certains faits du
cinématographe ». L'histoire culturelle
montre que
l'Église catholique contribua à l'implantation du
cinéma en Bretagne, dont la campagne était
sillonnée par les termajis, nom
donné aux artisans du cinéma forain.
☐
« Jean Epstein,
cinéaste des îles : Ouessant, Sein,
Hoëdic, Belle-Île »,
p. 38
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EXTRAIT |
L'abbé Porhoët avait introduit Modeste
dans la salle
de son presbytère sordide et vaste. Il porta vers
l'âtre
la chaise la moins branlante, s'en fut prendre deux verres
inégaux dans le buffet qui abritait moins de vaisselle que
du
nécessaire pour la pêche et la chasse, que de
lanternes et
de serrures hors d'usage, de lames sans manche et de mèches
sans
lampe, de résidus pharmaceutiques sans efficacité
connue,
de clous tordus et de flacons fêlés, de ciseaux
rouillés, de tronçons de limes, de scies
édentées, d'images et de livres
dépareillés, de pinceaux sans poil et de pots
sans colle
ni couleur, de débris de baromètres, de montres,
de
boussoles ; tout un héritage de Robinson. Pour
s'approcher
d'un réduit servant de cave à vin et de soute
à
une vieille voilure, le recteur se donna un air de cachottier qui
annonçait une bonne bouteille, et marcha sur la pointe des
pieds. Mais les lames pourrissantes du plancher
s'infléchirent
en gémissant sous chaque pas, firent bailler les trous des
souris. Modeste tendit la main vers le verre le plus proche.
— Non,
protesta l'abbé, ce verre, le plus grand, est celui du
recteur … Pour qu'on ne voie pas que je m'en verse
davantage … Et attention, Modeste, au mât
(maux
d'estomac) !
C'était
une plaisanterie qu'avec cinq ou six autres le recteur
répétait à l'occasion. Il restait seul
à en
sourire. Peut-être l'avait-on trop entendue ;
peut-être ne la comprenait-on pas encore.
C'est
l'avant-dernière d'un Saint-Emilion d'il y a quinze ans,
ajoutait-il après une gorgée,
— dont M. le
premier vicaire de Châteaugan m'avait envoyé une
douzaine.
Ce
n'était qu'un vin vert de n'importe où, la bonne
foi du
vicaire, pour surprise qu'elle eût été
par quelque
représentant cauteleux, n'en ayant pas moins
entraîné la conviction du recteur et, par
contre-coup,
maintenant celle de Modeste. D'ailleurs, la sage-femme
éprouvait
trop d'émoi pour déguster. Avoir
été admise
dans la salle par le recteur ; bien plus : trinquer
avec lui,
n'était pas un mince honneur dont la nouvelle,
flairée,
confirmée, transmise aussi mystérieusement que
dans les
sociétés d'insectes, devait être
déjà
connue sur la place entre les cafés. Car n'est-il pas
écrit, depuis deux siècles, dans les cahiers
où
les pasteurs solitaires de ce peuple seul comme eux, inscrivent la
chronique de leur gouvernement, leurs résolutions et leurs
critiques, cahiers qui se transmettent en secret, qui sont le code
religieux et civil de l'île ; n'y est-il pas
écrit
que le recteur ne permette à aucun indigène de
pénétrer dans le presbytère
à moins d'une
nécessité ou d'une grande occasion, et qu'en tout
cas il
ne reçoive le visiteur que dans l'entrée ou la
cuisine,
en l'obligeant à quitter les sabots, à garder une
attitude recueillie ? Mais que maintenait le recteur du
prestige
d'autrefois ?
☐
pp.
34-35 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Les
recteurs et la sirène », Paris :
Fernand Aubier, Editions Montaigne, 1934
|
- « L'or des mers
», Paris :
Librairie Valois, 1932 ;
Baye : La Digitale, 1995
- « Ecrits
sur le cinéma : 1921-1953 »,
Paris : Seghers, 1974
- «
Ecrits complets » sous la dir. de Nicole Brenez,
Joël Daire
et Cyril Neyrat (9 vol.), Paris : Independencia,
2014-…
|
- Vincent
Guigueno, « Jean
Epstein, cinéaste des îles : Ouessant,
Sein, Hoëdic, Belle-Île »,
Paris : Éd. Jean-Michel Place, 2003
- Pierre
Butin, Gilles Janin et Vincent Guigueno, « Un film
entouré d'eau : histoire et mémoire de L'or des mers de
Jean Epstein à Hoedic (1932-2005) », in
Pierre Frustier (dir.), Les identités
insulaires face au tourisme, La
Roche-sur-Yon : Siloé, 2007
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mise-à-jour : 27
juin 2014 |
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