L'énigme du retour
/ Dany Laferrière. - Paris : Grasset, 2009. -
301 p. ; 21 cm.
ISBN
978-2-246-74891-5
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Dany
Laferrière a participé
au 6e Salon
du Livre Insulaire (Ouessant, 19-22 août 2004)
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Le
dictateur m'avait jeté à la porte de mon pays.
Pour y retourner, je passe par la fenêtre du roman.
☐ p. 161 |
1957, la dictature pousse à l'exil le père de
Dany Laferrière.
1976, c'est Dany Laferrière qui, pour les mêmes
raisons doit, à son tour, quitter Haïti.
2007, “ la nouvelle coupe la nuit en
deux ” : Dany
Laferrière qui vit à Montréal apprend
que son
père vient de mourir à New York. Le temps est
venu d'un
nécessaire retour, avec pour tout viatique le Cahier d'Aimé
Césaire.
L'énigme du retour retrace
et commente le périple. Une rage qu'on devine longtemps
contenue
gronde de page en page, en rupture avec le ton des livres
précédents ; comme chez
Césaire, “ cette lancinante rage tient plus du
désir de vivre
dans la dignité que de vouloir
dénoncer ”,
mais elle désigne sans concession une jeunesse
dépossédée et au-delà des
péripéties individuelles un peuple dessaisi de
présent et d'avenir. Chaque rencontre renvoie l'image et
interpelle : “ Où va donc cette
fillette
fulminante de rage ? ” sans jamais trahir
l'espoir : “ La capacité d'une
petite fille de
cet âge / d'entrer dans une pareille
colère est
peut-être / le signe palpable que ce pays a
encore /
quelque chose dans le ventre ”.
À Port-au-Prince,
Dany Laferrière retrouve sa mère, quelques amis,
dialogue
avec son neveu Dany Charles qui “ voudrait devenir
un
écrivain célèbre ”
et qui
déjà se pose l'angoissante question : “ rester ou partir ”. En guise
d'au-revoir : “ J'ai glissé dans la sacoche de mon
neveu / le vieux
recueil gondolé par la pluie / du Cahier d'un retour au pays
natal. / C'est avant de partir qu'on en a
besoin. / Pas au retour ”.
La
dernière escale est à Baradères, “ le
patelin de mon père ” : “ Mon
père est revenu / dans son village
natal. / Je l'ai
ramené. / Pas le corps que la glace /
brûlera
jusqu'à l'os. / Mais l'esprit qui lui a
permis / de
faire face / à la plus haute
solitude ”. Auparavant, dans le cimetière
noyé sous une pluie
diluvienne, l'auteur a croisé le chemin d'un
retraité heureux
d'avoir enfin le temps de relire l'Enéide …
On est en Haïti.
Aux premières pages
du roman, alors
qu'il s'apprête à prendre l'avion pour
Haïti, Dany
Laferrière passe voir son ami le poète et
éditeur Rodney
Saint-Eloi ; à Port-au-Prince il rend
visite à Gary
Victor et Frankétienne,
se souvient de son premier article consacré au “ Ficus ”, roman de Rassoul
Labuchin ;
d'autres silhouettes littéraires apparaissent ici ou
là : Jacques
Stephen Alexis, Jacques
Roumain,
Verlaine, Baudelaire
— “ Baudelaire dont / " Le Balcon " fut le poème
préféré de mon
père ”.
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EXTRAIT |
Quand
ma mère regarde les jeunes d'aujourd'hui danser dans les
rues
à cause d'un changement de régime, elle
s'attriste en
sachant qu'ils vont vite déchanter. Et qu'ils paieront
chèrement cet instant de joie. Mais comme elle dit toujours
« c'est ça de pris ».
Ma
mère cherche quelque chose dans l'armoire.
Je vois
tout au fond
une grande
photo en noir et blanc
d'un jeune
homme qui me ressemble.
C'est la
seule photo où je les vois ensemble
au moment
de leur rencontre.
Quand je
tombe sur cette photo, dit ma mère,
j'ai
l'impression d'être avec mon fils et non mon mari.
La
dernière fois qu'elle l'a vu
il
était encore dans la vingtaine.
Ma
mère me demande comment j'ai fait pour survivre
là-bas.
La question m'a surpris car c'est la première fois qu'elle
s'est
approchée si près de la falaise. J'ai l'air de
mener une
bonne vie, mais ma mère ne s'intéresse pas au
fait que
j'aie réussi ou pas. Sa question c'est comment ça
s'est
passé. Comment ? J'ai tout de suite compris qu'elle
ne
s'attend pas à ce que je lui raconte les obstacles franchis
pour
arriver à me faire une place dans mon nouveau pays, enfin
toute
la salade qu'on raconte aux journalistes. Elle veut savoir comment j'ai
vécu ça. Elle attend ma réponse. C'est
une
question que j'ai longtemps évitée, et si je suis
ici
c'est en partie pour y faire face. Il n'y a qu'une mère pour
exiger
de descendre avec toi au fond d'un tel gouffre.
☐ Le vieux vent
caraïbe, pp. 213-214 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « L'énigme
du retour », Paris : Librairie
générale
française (Le Livre de poche, 32035), 2010
- « The
return » translated by David Homel,
Vancouver : Douglas & McIntyre, 2011
- «
Das Rätsel der Rückkehr » aus dem Franz.
von Beate Thill, Heildelberg : Wunderhorn, 2013
|
- « Comment faire l'amour
avec un nègre sans se fatiguer »,
Montréal : VLB, 1985 ; Paris :
Belfond, 1989 ; Paris : J'ai lu, 1990 ; in Mythologies
américaines, Paris : Grasset,
2016
- « L'odeur du
café »,
Montréal : VLB, 1991 ; Paris : Le
Serpent à plumes, 2001 ; Paris : Zulma
(Z/A), 2016
- « Cette grenade dans la
main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit ? »,
Montréal : VLB, 1993 ; Paris : Le
Serpent à plumes, 2002 ;
in Mythologies
américaines, Paris : Grasset,
2016
- « Chronique de la dérive
douce », Montréal :
VLB, 1994 ; Paris : Grasset, 2012
- « Pays sans chapeau »,
Outremont : Lanctôt, 1996 ;
Paris : Le Serpent à plumes, 1999 ; Paris : Zulma (Z/A), 2018
- « Le charme des après-midi
sans fin », Outremont :
Lanctôt, 1997 ; Paris : Le Serpent
à plumes, 1999, 2005 ;
Paris : Zulma (Z/A), 2016
- « Le cri des oiseaux fous »,
Outremont : Lanctôt, 2000 ;
Paris : Le Serpent à plumes, 2000 ;
Paris : Zulma (Z/A), 2015
- « Les années 80 dans ma
vieille Ford »,
Montréal : Mémoire d'encrier, 2005
- « Vers le sud »,
Paris : Grasset, 2006
- « Je suis un écrivain
japonais », Paris : Grasset, 2008
- « Une
forêt de gens remarquables », in Haïti parmi les
vivants, Arles : Actes Sud,
Paris : Le Point, 2010
- « Tout bouge autour de moi »,
Montréal : Mémoire d'encrier
(Chronique), 2010
- « Tout bouge autour de moi »,
Paris : Grasset, 2011
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Sur
le site « île
en île » :
dossier Dany
Laferrière |
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mise-à-jour
: 2 juin 2015 |
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