Herman Melville

Mardi, et le voyage qui y mena, trad. de Rose Celli, revue par Philippe Jaworski

GallimardFolio classique, 5278

Paris, 2011
bibliothèque insulaire

       

utopies insulaires
parutions 2011
Mardi, et le voyage qui y mena / Herman Melville ; préface nouvelle de Philippe Jaworski ; édition de Dominique Marçais, Mark Niemeyer, Joseph Urbas ; chronologie de Hershel Parker ; traduction de Rose Celli, revue par Philippe Jaworski. - Paris : Gallimard, 2011. - XVIII-717 p. ; 18 cm. - (Folio classique, 5278).
ISBN 978-2-07-044402-1
Mardi récuse d'entrée de jeu les conventions prévisibles du romanesque : c'est un compte-rendu d'expérience intellectuelle, qui ne requiert du lecteur qu'un peu de goût pour l'exotisme abstrait.

Philippe Jaworski, Préface, p. XIV

Au 
cœur de l'océan Pacifique, quelque part entre Pitcairn et les îles Enchantées (Galapagos), le porte-parole de Melville embarqué sur un baleinier, prépare son évasion vers un groupe d'îles plus à l'ouest, “ assez vaguement indiquées sur les cartes et investies de tous les charmes du pays des rêves ”.
Ce pourrait être l'amorce d'un nouvel épisode prolongeant les aventures commencées à Nuku Hiva avec Taïpi, et poursuivies à Tahiti et Moorea avec Omoo. Mais cette fois le héros embarque pour une terre inconnue. Quand un archipel paraît à l'horizon, celui-ci a toutes les caractéristiques d'une Utopie — diffuse, polymorphe, éclatée : “ C'était une multitude d'îles, qui élevaient leurs masses bleutées, dans l'azur ; on eût dit des meules de foin dans un lointain champ de brume ”.

Odo, Valapé, Juam, Nora-Bamma, Ohonou (l'île des Coquins), Tupia, Mondoldo, Maramma, Pimminé, Diranda, Dominora, Vivenza, Kalédoni, Verdanna, Porphéro, Orienda, Houloumoulou (l'île des Estropiés), Sérénia ; et le pays de l'Or, les îles des palmiers, les îles de la myrrhe ; et d'autres, aperçues au loin ; d'autres encore — comme Marlena l'île des ombres et des ruisseaux — évoquées en chanson : l'archipel bigarré de Melville est proche de ceux de Rabelais ou de Swift.

Sérénia pourrait être le terme du périple. Les voyageurs y sont accueillis par un chant qui souligne les vertus de cette ultime escale :

Salut ! ô voyageurs, salut !
Où que l'aventure vous mène,
Il n'est contrée plus sereine
Pour demeurer toujours
Que le doux et beau pays de l'Amour !

Mais le héros poursuit une autre quête.

Pour Melville, la rêverie utopique est indissociable de la mer : “ Il faut avoir un grand espace marin pour énoncer la vérité ” 1.
       
1. “ Hawthorne et ses Mousses ”, dans le recueil D'où viens-tu Hawthorne ?, Paris : Gallimard, 1986.
EXTRAIT    Ô lecteur écoute ! J'ai voyagé sans carte. Ce n'est pas avec la boussole et la sonde que nous avons découvert les îles mardiennes. Ceux qui s'élancent hardiment rompent toutes les amarres et, se détournant des brises banales, propices à tous, gonflent leurs voiles de leur propre souffle. En serrant la côte, on ne découvre rien que de connu ; mais si l'on cherche un nouveau monde, alors éclate bientôt le cri victorieux : « Terre ! »

   Ce voyageur-là conduit sa barque sur des mers encore vierges et creuse sa route à lui, poursuivi de rires moqueurs ; souvent, certes, son cœur s'alourdit à la pensée que son courage n'est que témérité et que peut-être sa route aveugle ne le mènera nulle part.

   Ainsi de moi.

   Parti pour une simple promenade en mer, une irrésistible tempête m'a entraîné et, mal équipé, jeune et en butte à la fureur des flots avant d'avoir atteint l'âge d'homme, j'ai continué à fuir devant le vent et j'ai eu bien du mal à rester ferme dans mon cœur.

   Et s'il est plus difficile aujourd'hui de découvrir des horizons nouveaux, maintenant que nos mers ont été sillonnées par tant de proues, la gloire en sera d'autant plus grande !

   Mais ce nouveau monde dont je parle est bien plus étrange que celui de l'homme qui partit de Palos avec sa caravelle. C'est le monde de l'esprit, qui offre plus de merveilles que les jardins d'or des Aztèques n'en proposèrent à l'aventureuse bande de Balboa.

   Le désir ardent crée le fantôme de son avenir et le croit présent. Si donc, après tant d'angoisses cruelles, le verdict devait proclamer que le havre d'or n'a pas été atteint, qu'importe ! Pour le voyageur hardi, mieux vaut sombrer dans l'abîme insondable que flotter sur les bas-fonds vulgaires. Ô dieux ! si je dois naufrager, que mon naufrage soit total !

Ch. CLXIX, pp. 499-500

COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Mardi, and a voyage thither », Londres : Richard Bentley, 1849 ; New York : Harper & brothers, 1849
  • « Mardi » trad. de l'anglais par Charles Cestre, texte français revu par Armel Guerne, avant-propos de Henri Parisot, couverture de Max Ernst, Paris : Robert Marin, 1950
  • « Mardi » trad. de l'anglais par Rose Celli, Paris : Gallimard (Les Classiques anglais), 1968
  • « Mardi » trad. de l'anglais par Rose Celli, Paris : Gallimard (Folio, 1497), 1983
  • « Mardi » trad. de l'anglais par Charles Cestre, Paris : Gérard Lebovici, 1984
  • « Mardi » trad. de l'anglais par Charles Cestre, introduction de Dominique Fernandez, Paris : Flammarion (GF, 594), 1990
  • « Mardi » trad. de l'anglais par Rose Celli revue par Philippe Jaworski, in Œuvres complètes, vol. I, Paris : Gallimard (La Pléiade), 1997
  • Merrell R. Davis, « Melville's Mardi, a chartless voyage », New Haven : Yale university press (Yale studies in Engish, 119), 1952 ; Hamden (Conn.) : Archon books, 1967 
→ Odile Gannier, Mars, Marquises et Mardi gras : Mardi de Melville, et les savoirs du voyage “ qui y mena ”, Loxias, 35, 2011 [en ligne]
  • « À bord », Bordeaux : Finitude, 2004
  • « Carnets de voyages (1856-1857) », Paris : Mercure de France, 1993
  • « Les îles enchantées », Paris : Éd. Mille et une nuits, 1997
  • « Les îles enchantées » suivies de L'archipel des Galápagos de Charles Darwin, Marseille : Le Mot et le reste, 2015
  • « Moby Dick » éd. illustrée par Rockwell Kent, New York : The Modern library, 2000
  • « Moby Dick » trad. et préfacé par Armel Guerne, Paris : Phébus, 2005
  • « Moby Dick [suivi de] Pierre ou les ambiguïtés » éd. publiée sous la direction de Philippe Jaworski, Paris : Gallimard (La Pléiade), 2006
  • « Moi et ma cheminée », Paris : Allia, 2008
  • « Omou, récit d'aventures dans les mers du Sud », Paris : Gallimard (L'Imaginaire, 629), 2012
  • « Taïpi », Paris : Gallimard, 1952, 1997
  • « Taïpi » ill. de Jacques Boullaire, trad. d'Anne Belley-Rocca, Papeete : Le Motu, 2009

mise-à-jour : 14 octobre 2020

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