Herman
Melville / Lewis Mumford ; traduit de l'américain
par
Nicolas Blanc-Aldorf, Fanny Tirel, Patrick Chartrain et
Irénée D. Lastelle. - Arles : Sulliver,
2006. -
412 p. ; 22 cm. - (Maelström).
ISBN
978-2-911199-98-1
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Laissons
le lecteur considérer ce livre comme un point de
repère,
une borne en partie effacée,
sur le premier petit chemin de
campagne qui mène à la connaissance d'Herman
Melville.
☐ Lewis
Mumford, Préface
à la nouvelle édition [1963], p. 16 |
Traduit
en français en 2006, le livre de Lewis Mumford semble surgi
d'une époque révolue ; sa
première
édition remonte à 1929 quand biographes et
analystes
s'efforçaient de répondre à des
attentes
sensiblement différentes de celles qu'expriment les lecteurs
du XXIe
siècle commençant. Mais
le saut dans le temps qui s'impose pour partager la quête de
Lewis Mumford se révèle fructueux à
plus d'un
titre, et notamment en raison du fait que l'auteur baignait dans un
monde où le mouvement d'idées qui
prévalait du
vivant de Melville (1819-1891) n'avait pas encore
été
définitivement balayé.
Quand Lewis
Mumford se
lance sur la piste de Melville, l'auteur de Moby Dick est
déjà oublié du plus grand
nombre ; les rares curieux n'ont à leur disposition
qu'une biographie importante 1
et une seule étude critique approfondie de son
œuvre 2
(p. 9). En préfaçant la seconde
édition
(1963), l'auteur peut mesurer le travail du temps — et
souligner
la portée visionnaire de l'œuvre de
Melville : « la
qualité principale du présent livre tient
peut-être
à ceci que, malgré toutes ses imperfections, il
fut le
produit d'une autre époque et d'une approche plus directe
qu'elle n'est aujourd'hui possible » 3.
Rétrospectivement, cette autre époque pouvait
faire figure d'Âge
d'Or 4 — un
temps où sonnaient les voix d'Emerson,
Hawthorne, Melville, Thoreau, Whitman —, tandis
qu'à
l'approche de 1929 prenaient forme et consistance les plus terribles
prévisions exprimées par Melville : « l'avènement
d'une barbarie civique : l'homme désanobli et
brutalisé, " le stade final de la
banalité
absolue : une Chine anglo-saxonne "
— très
exactement l'Âge sombre de la
démocratie »
(p. 356).
De
Typee
aux derniers poèmes, l'exploration minutieuse des
œuvres
étaye une vision désenchantée du monde
et des
forces qui s'y affrontent. Après avoir
renoncé aux longues et harassantes croisières
océaniques, Melville ne cesse de questionner la
société américaine — et plus
largement
occidentale — au regard des éblouissantes
perspectives
entrevues dans les mers du Sud. Après les compte-rendus
romancés de son passage aux îles Marquises et
à
Tahiti (Typee et
Omoo),
Mardi marque
une inflexion radicale : « le
livre, qui commençait … comme une idylle
aventureuse des
mers du Sud, traversé, à
l'arrière-plan, par une
poétique quête allégorique, devint une
violente
parodie de toute l'économie de la civilisation occidentale,
et
de ses arrogantes professions de foi
chrétiennes »
(p. 108). S'ouvre ainsi la voie qui mène
inéluctablement aux abysses affrontées dans Moby
Dick, « une parabole du mystère du mal et
de la
méchanceté contingente dans
l'univers » (p. 206).
La
tonalité des œuvres qui suivent reste sombre,
dénuée d'illusion et vierge de toute
complaisance,
Melville pourtant ne renonce pas à la lueur
perçue au
contact des îles de sa jeunesse ; les derniers
poèmes en
témoignent :
Par la lumière abandonné, de
la lumière
Reste
le loyal serviteur 5.
1. |
Raymond Weaver,
« Herman Melville, mariner and
mystic », New York : George H. Doran, 1921 |
2. |
John Freeman, «
Herman Melville », New York : Macmillan, 1926 |
3. |
Préface
à la nouvelle édition, p. 15 |
4. |
Lewis Mumford,
« The Golden Day : A study in American
experience and culture », New York : Boni
and
Liveright, 1926 |
5. |
L'enthousiaste, in
« Poèmes divers
1876-1881 » choix,
traduction et préface de Pierre Leyris, Paris :
Gallimard,
1991 (cité p. 359) |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Lewis Mumford,
« Herman Melville », New
York : Harcourt, Brace, 1929
- Lewis
Mumford, « Herman Melville : a study of his
life and
vision » revised ed., New York : Harcourt, Brace & World, 1963
|
- Herman Melville,
« À
bord »,
Bordeaux : Finitude, 2004
- Herman Melville,
« Carnets de voyage (1856-1857) »,
Paris : Mercure de France, 1993
- Herman Melville,
« Les îles
enchantées », Paris :
Éd. Mille et une nuits, 1997
- Herman Melville,
« Les îles
enchantées » suivies
de L'archipel des
Galápagos de Charles Darwin,
Marseille : Le Mot et le reste, 2015
- Herman Melville,
« Mardi, et le voyage qui y mena »,
Paris : Gallimard (Folio classique, 5278), 2011
- Herman Melville,
« Moby Dick »
éd. illustrée par Rockwell Kent, New
York : The Modern library, 2000
- Herman Melville,
« Moby Dick »
trad. et préfacé par Armel Guerne,
Paris : Phébus, 2005
- Herman Melville,
« Moby Dick
[suivi de] Pierre ou les
ambiguïtés » éd. publiée sous la
direction de Philippe Jaworski, Paris : Gallimard (La
Pléiade), 2006
- Herman Melville,
« Moi et ma cheminée »,
Paris : Allia, 2008
- Herman Melville,
« Omou »,
Paris : Gallimard (L'Imaginaire, 629), 2012
- Herman Melville,
« Taïpi »,
Paris : Gallimard, 1952, 1997
- Herman Melville,
« Taïpi »
ill. de Jacques Boullaire, trad. d'Anne Belley-Rocca,
Papeete : Le Motu, 2009
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- C.L.R.
James, « Marins, renégats et autres
parias : l'histoire d'Herman Melville et le monde dans lequel
nous
vivons », Paris : Ypsilon, 2016
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mise-à-jour : 27 janvier 2016 |
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