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Un
mort. La
confirmation est tombée des autorités, en peine
face au
bilan de l'incendie qui s'est déclaré dans une
boutique
avant de se propager alentour. Une femme a péri
asphyxiée
par les flammes ; elle a été
retrouvée dans
un conteneur. La colère, l'émotion et la tension
sont
palpables. Ce drame humain s'est déroulé dimanche
29
septembre dans le plus grand centre d'enregistrement et de
contrôle de migrants en Europe, à Moria, sur
l'île
de Lesbos. A 430 kilomètres d'Athènes,
à environ
4 000 kilomètres de Paris, à des
années-lumières du respect des droits
fondamentaux des
personnes migrantes.
Un mort de plus, un mort de trop, une honte pour l'Europe. Au total, cinq îles grecques se partagent l'accueil de 26 000 personnes quand elles n'ont la capacité d'en accueillir que 6 000. Après la tragédie une manifestation a été organisée pour protester contre les conditions de vie à Moria, où la situation est la plus dramatique : prévu pour recevoir 3 000 personnes, le centre atteint plus de quatre fois sa capacité d'accueil, avec 13 000 personnes, tandis qu'environ 100 demandeurs d'asile, en moyenne, continuent d'y arriver chaque jour, voyant s'accroître le risque de nouveaux drames humains. Des conditions de vie abjectes Présente avec une délégation Oxfam sur place, mardi 2 octobre, je n'ai pu que constater ce qui se joue à Moria. L'espace initial s'est étendu au-delà de ses limites, et des milliers de personnes vivent dans des conditions abjectes, pires que celles que l'on peut imaginer dans des pays plus en difficulté encore que la Grèce. Outre la saleté, la précarité et l'insalubrité des hébergements, j'ai vu les conditions sanitaires déplorables dans lesquelles sont laissées des milliers de personnes, qui manquent d'un accès au soins de santé de base, du fait d'un personnel qualifié insuffisant. Plus de 40 % des personnes sont des enfants qui errent sans aucune infrastructure dédiée : ni école, ni terrain de jeux … Oxfam est installée à Lesbos depuis 2015 et mène avec des partenaires locaux plusieurs programmes, dont la fourniture d'une assistance juridique aux demandeurs d'asile. Témoins de ce drame, nous refusons de le considérer comme inéluctable. Nous avions déjà sonné l'alarme en janvier pour dénoncer le contexte sanitaire et sécuritaire à Moria. Outre le manque de moyens qui pèse lourdement sur les personnes vulnérables : femmes et enfants sont pour ainsi dire laissés à l'abandon, les défaillances dans le traitement des demandes d'asile se sont traduites par la rétention de migrants pour une durée indéterminée ou par la multiplication des procédures accélérées visant à les renvoyer en Turquie, en vertu de l'accord que le pays a signé avec l'Union européenne. Car ce qui se déroule à Moria aujourd'hui, de la même façon que les nombreux drames humains qui, depuis plusieurs années maintenant, ont fait de la Méditerranée un véritable cimetière marin, n'est pas qu'une question grecque. La situation remet en question les politiques migratoires européennes, qui criminalisent les navires humanitaies venant au secours des migrants, qui veulent contenir les migrants qui arrivent aux portes de l'Europe, dans des “ hot spots ” sur les îles grecques, qui les enferment ou les renvoient en Turquie ou en Lybie. Voir les chiffres en face Cette crise de l'accueil a des impacts humains gravissimes, dont nous portons, nous, Etats membres, la responsabilité. Certes, il y a des avancées, comme l'accord conclu à La Valette, le 23 septembre, qui a vu l'Italie, Malte, l'Allemagne et la France s'accorder sur une meilleure coopération non pas pour bloquer les navires qui participent aux sauvetages en mer, mais pour les aider à accoster dans le port sûr le plus proche. Cette initiative constitue le premier pas positif vers un meilleur partage des responsabilités entre les pays de l'UE qui est résolument la direction vers laquelle nous devons tendre pour construire un système plus humain. La France ne doit pas s'arrêter là. Elle doit engager davantage de pays européens autour de l'accord conclu à Malte, mais aussi jouer son rôle et faire respecter les principes humanitaires et les droits fondamentaux des personnes migrantes notamment le droit d'asile. Les six pays les plus riches, dont la France, n'accueillent que 9 % des réfugiés contre 87 % pour les pays à revenus faibles ou intermédiaires. Si crise il a, il s'agit donc bel et bien d'une crise globale de l'asile dans les pays riches et de celle des politiques françaises qui faillissent à accueillir dans des conditions dignes et durables, 1 730 personnes par million d'habitants. Alors que les débats sur la loi “ asile et immigration ” se tiendront la semaine prochaine à l'Assemblée nationale, cristallisant tensions, fantasmes et préjugés, Oxfam appelle les responsables politiques français à dénoncer le discours anxiogène sur la crise migratoire et à voir les chiffres en face. La peur et la division ne résoudront pas une question qui doit être envisagée avec de la sérénité, de la hauteur et de la responsabilité. Les migrations sont une chance et une opportunité pour tous, et aujourd'hui, la France, qui en a les moyens, peut et doit faire mieux. Il est temps de sortir de l'impasse de notre politique migratoire et, pour les Etats, de cesser de se renvoyer la responsabilité et de s'arroger le droit de vie et de survie sur des milliers de femmes, d'hommes et d'enfants. Ainsi, et ainsi seulement, peut-être aurons-nous l'espoir qu'un drame tel que celui de Moria ne se reproduise pas. © Le
Monde
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