Daniel Maximin

Césaire & Lam, insolites bâtisseurs

HC éditions

Paris, 2011

bibliothèque insulaire

   
Martinique
peintres des îles
parutions 2011
Césaire & Lam, insolites bâtisseurs / Daniel Maximin. - Paris : HC éditions, 2011. - 95 p. : ill. ; 29 cm.
ISBN 978-2-357200-26-5
mon frère
que cherches-tu à travers ces forêts
de cornes de sabots d'ailes de chevaux


Aimé Césaire, Wifredo Lam …, dans Moi, laminaire (1982), cité p. 62

Aimé Césaire et Wifredo Lam font connaissance en avril 1941. Césaire est chez lui, en dissidence à la Martinique, avec sa femme et ses amis de la revue Tropiques. Wifredo Lam et sa femme Helena font escale à Fort-de-France au presque terme de la traversée qui les éloigne de l'Europe en proie au nazisme ; à leurs côtés, André Breton et sa femme ainsi qu'André Masson : ce sont les premiers témoins d'une rencontre éblouie dont l'intensité culmine lors d'une visite à la forêt d'Absalon — Ici la vie s'allume à un feu végétal (…) Ici les poètes sentent chavirer leur tête, … (Suzanne Césaire, Le grand  camouflage, 1945, cité p. 56).

De retour à Cuba où tout ressemblait à l'enfer — sous le régime de Battista —, Wifredo Lam peint La jungle, grande toile marquée par le coup de foudre martiniquais de 1941, « où la vie explose partout, libre, dangereuse (…) prête à tous les mélanges, à toutes les transmutations, à toutes les possessions » (Pierre Mabille, La jungle, 1945, cité p. 52) ; dans l'élan il illustre la version espagnole du Cahier d'un retour au pays natale, éditée à La Havane dans une traduction de Lydia Cabrera avec une préface de Benjamin Péret.

Un demi-siècle plus tard, Wifredo Lam très affaibli par la maladie propose à Aimé Césaire d'écrire une suite de poèmes pour accompagner un ensemble de dix eaux-fortes — Annonciation — sur lesquelles il a longuement travaillé ; il meurt à Paris en septembre 1982 et les eaux-fortes sont éditées peu après en Italie. De son côté, Césaire a composé dix poèmes accordés aux gravures d'Annonciation ; ils seront publiés en dernière partie de Moi, laminaire qui paraît au Seuil en 1982 — une nouvelle bonté ne cesse de croître à l'horizon affirme hautement le vers sur lequel se ferme le recueil.

Publié à l'occasion d'une exposition organisée en 2011 à Paris (Grand Palais), le volume présenté par Daniel Maximin renoue le lien de fraternité et de convictions partagées en donnant à suivre d'un même regard les gravures de Lam et les poèmes de Césaire ; s'y ajoutent un éclairage sur les parcours convergents des deux créateurs et les regards de témoins privilégiés : André Breton, Suzanne Césaire, Pierre Loeb, Pierre Mabille, André Masson, René Ménil, Benjamin Péret.
       
en ce temps-là l'amitié était un gage
pierre d'un soleil qu'on saisissait au bond


Aimé Césaire, rabordaille, dans Moi, laminaire (1982), cité p. 74
EXTRAIT
Conversation avec Mantonica Wilson

toi diseur
qu'y a-t-il à dire
qu'y a-t-il à dire
y pourvoit la tête de l'hippotrague
y pourvoit le chasse-mouches

toi diseur
qu'y a-t-il à dire
qu'y a-t-il à dire
la vie à transmettre
la force à répartir
et ce fleuve de chenilles

oh capteur
qu'y a-t-il à dire
qu'y a-t-il à dire
que le piège fonctionne
que la parole traverse

eh détrousseur
eh ruseur
ouvreur de routes
laisse jalonner les demeures au haut réseau de la Mort
le sylphe bouffon de cette sylve

Aimé Césaire, Moi, laminaire (Le Seuil, 1982), cité p. 64
“ … Wifredo Lam, c'est l'élève et l'initié de Mantonica Wilson. Et c'est pourquoi j'ai mis en tête de ces poèmes à lui consacrés cette phrase de lui : Mantonica Wilson, ma marraine avait le pouvoir de conjurer les éléments (…) Je l'ai visitée dans sa maison remplie d'idoles africaines. Elle m'a donné la protection de tous ces dieux : de Yemanja déesse de la mer, de Shango, dieu de la guerre, compagnon d'Ogun-Feraille, dieu du métal qui dorait chaque matin le soleil, toujours à côté d'Olorun, le dieu absolu de la création. ”

Aimé Césaire, La poésie, parole essentielle, entretien avec Daniel Maximin, Présence africaine, n° 126, 1983 ; rééd. in Daniel Maximin, « Aimé Césaire, frère volcan », Paris : Seuil, 2013 (p. 240)
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • Aimé Césaire, « Retorno al pais natal » traducciòn de Lydia Cabrera, prefacio de Benjamin Peret, illustraciones de Wifredo Lam, La Habana : Molina y Cia (Colecciòn de textos poéticos), 1943
  • Aimé Césaire, « Cahier d'un retour au pays natal » préface d'André Breton, ill. de Wifredo Lam, Paris : Bordas, 1947
  • Aimé Césaire, « Wifredo Lam » in Moi, laminaire, Paris : Seuil, 1982
  • Christiane Falgayrettes-Leveau (et al.), « Lam métis », Paris : Dapper, 2001
  • Jacques Leenhardt, « Wifredo Lam », Paris : HC éditions, 2009
  • Suzanne Césaire, « Le grand camouflage : écrits de dissidence (1941-1945) » éd. par Daniel Maximin, Paris : Seuil, 2009
  • Anny-Dominique Curtius, « Suzanne Césaire : archéologie littéraire et artistique d'une mémoire empêchée », Paris : Karthala (Lettres du Sud), 2020
  • Daniel Maximin, « Aimé Césaire, frère volcan », Paris : Seuil, 2013

mise-à-jour : 7 mai 2021

Couverture de l'édition espagnole du
Cahier d'un retour au pays natal, 1943 (p. 17)
Aimé Césaire et Wifredo Lam
devant Deux personnages, 1977 (p. 10)
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