Wifredo
Lam / Jacques Leenhardt ; avant-propos d'Eskil Lam. -
Paris :
HC éditions, 2009. - 319 p. :
ill. ; 32 cm.
ISBN
978-2-357200-25-8
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Et
la peinture de Wifredo Lam roule bord sur bord sa cargaison de
révolte : hommes pleins de feuilles, de sexes
germés, poussés à contresens,
hiératiques
et tropicaux : des dieux.
☐
Aimé Césaire, cité p. 158 |
Sous le signe d'Eleggua, dieu des portes, des gonds et
des carrefours.
Wifredo
Lam est né en 1902 à Sagua la Grande
(Cuba) ; Ana
Serafina Castilla, sa mère, était d'ascendances
africaine
et hispanique ; Lam-Yam, son père, était
originaire
de Canton. Il suit les cours de l'Academia de San Alejandro
à La
Havane à partir de 1918, participe à des
expositions
dès 1920 et bénéficie en 1923 d'une
bourse qui lui
permet de poursuivre sa formation artistique en Europe.
Jacques Leenhardt retrace le parcours d'un des peintres majeurs du XXe
siècle, riche d'origines diverses mais
réfractaire
à tout enracinement ; l'œuvre
s'érige en effet
dans un dialogue permanent entre la Caraïbe
— Cuba,
Haïti — et l'Europe de Dürer, Goya
et Matisse. Se
refusant à faire une peinture
de cha-cha-cha, Lam se voue à l'aventure du monde, dans le
rythme brutal des craquements de la terre universelle 1.
Cet
apparent vagabondage, où se composent tension et
détachement, aspire à concilier le ferment
vénéneux de la révolte et
l'horizon humaniste
d'une histoire libératrice, aux
bords d'un monde fracturé que l'art seul peut
espérer
réconcilier :
« l'expérience personnelle
de l'errance, à partir de laquelle Lam a consciemment
construit,
de traversée en traversée, l'espace de sa
singularité, fidèle à tous les
ancrages mais
par-dessus tout à la nécessité de les
relativiser,
rencontre la condition de l'artiste contemporain »
(p. 245).
1. | Max-Pol Fouchet, cité p. 177. |
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SOMMAIRE |
Avant-propos, Eskil
Lam
Introduction
Vers l'Espagne
Paris-Marseille
Mer Caraïbe
Afrique fantôme
Les territoires de la forme artistique
Albissola Mare
Biographie
Expositions individuelles
Expositions collectives
Monographie
Index des œuvres
Index des noms de personnes |
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EXTRAIT |
Pour
la peinture occidentale, la représentation est
inféodée à ce que l'artiste voit, et
la
toute-puissance de la perspective sur la représentation
picturale ne fait qu'entériner cette domination de la vision
et
la confiance naïve mise dans son pouvoir de
vérité.
Picasso voyait au contraire, dans l'art des statues et des masques de
certaines tribus africaines, une insistance sur l'idée
plutôt que sur l'apparence.
Pour lui, les artisans africains donnent accès à
une
vérité plus profonde que celle qu'atteint la
fascination
pour la surface des choses. Dans ce travail qui vise
l'intériorité du monde, Lam retrouvera lui aussi
une
inspiration, qui ne l'avait sans doute jamais quitté depuis
les
expériences faites dans l'intimité de sa
marraine, la
prêtresse d'Ochù, Mantoñica Wilson.
Michel Leiris, à qui Picasso présente
dès
son arrivée le jeune peintre cubain
débarqué
à Paris, aborde finement cette question, qui est au
cœur
de la compréhension de l'œuvre de Lam.
« Rationaliste et de surcroît marxiste
depuis son
séjour en Espagne, Wifredo Lam n'est certes pas un adepte de
la santería
ou des cultes afro-cubains. Mais on ne peut douter qu'affectivement il
demeure imprégné de tout ce merveilleux auquel il
accéda durant son enfance, lui qui raconte comment, tout
petit
et dormant dans le lit de ses parents, il vit, à la place de
ceux-ci, une chauve-souris à deux
têtes … » Que la
chauve-souris des
fantasmes nocturnes soit liée, par Leiris, à
cette
déclaration sur le rationalisme de Lam, nous renvoie
à la
fameuse gravure de Goya Le
Songe de la raison produit des monstres.
L'artiste en son sommeil y est attaqué par un vol agressif
de
chouettes et de chauves-souris. Cette image énigmatique
pourrait
bien évoquer la rébellion de la raison contre la
violence
du monde et trouvant son chemin dans la production d'images
fantastiques. Celles-ci ne sont donc pas déraison, mais les
fruits venimeux de la raison, de son sursaut pour refuser le malheur.
Le fantastique devient pour l'artiste une arme de la raison, la figure
de son combat contre un monde trop injuste.
Nous
possédons le récit détaillé
de cette
expérience. L'enfant est à
l'intérieur, seul dans
la chambre de ses parents. Brusquement, le spectacle du monde
extérieur force sa solitude et s'impose à
lui :
« Les rayons de lumière
pénètrent par
toutes les fentes et se projettent, changeant la pièce en
lanterne magique, inversant toutes les images qui surgissent et
disparaissent aussi vite sur le mur et le plafond de la chambre de ma
mère (…). Toutes ces ombres chinoises qui se
dévorent l'une l'autre : un cheval qui passe, des
hommes,
une charrette et sa roue forment un cercle mobile. De la rue vient le
bruit de tout ce qui passe, inversé, dans la
chambre : un
bruit infernal. Pour la première fois j'éprouve
le
vertige de la solitude, la distance entre les objets et ma
mesure. »
Cette scène
angoissée en tout point équivalente à
celle que
narre le petit Marcel Proust au commencement de la Recherche
du temps perdu est
fondatrice. Dans le refuge de la chambre, le monde extérieur
se
transforme en une fantasmagorie angoissante. Mais c'est à
partir
de là aussi que s'envole, sur les ailes de la chauve-souris
à deux têtes, l'imagination fertile.
C'est
dans cette conversion paradoxale de la raison que peut
apparaître
un des mystères les plus profonds que propose le travail de
Lam : l'articulation de l'univers de Dürer, de Goya
et de
tous les occultistes de la tradition hermétique à
la
salve fantastique des cultures antillaises.
☐ pp. 56-57 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Christiane
Falgayrettes-Leveau (et al.), « Lam métis »,
Paris : Dapper, 2001
- Daniel Maximin,
« Césaire
& Lam, insolites bâtisseurs »,
Paris : HC Éditions, 2011
- « Dialogues
d'outre-monde : résonances kanak autour d'Annonciation »
textes d'Aimé Césaire et Paul Wamo, illustrations
de
Wifredo Lam et Teddy Diaïke, préface d'Emmanuel
Tjibaou,
Nouméa : Centre culturel Tjibaou, 2012
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mise-à-jour : 8
octobre 2015 |
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