L'envoûté
/ [William] Somerset Maugham ; trad. de l'anglais par Mme
E.-R. Blanchet. - Paris : 10/18, 1991. -
218 p. ; 18 cm. - (Domaine
étranger, 1707).
ISBN 2-264-00690-0
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Somerset Maugham donne ici la
mesure de l'embarras soulevé dans
la société bien pensante par la
vie et l'œuvre de Gauguin (Charles Strickland) —
près de vingt ans après la mort du peintre.
Il dénonce
successivement les liens familiaux bafoués, une vie
sans respect pour les canons de la bourgeoisie, l'Europe
délaissée.
Plus éclairant,
sans doute, reste le jugement porté sur l'œuvre de
Strickland / Gauguin, dont témoigne, au dernier
chapitre, ce commentaire presque halluciné d'un tableau
représentant des fruits : « une
attracton morbide s'en dégageait : comme le fruit
de l'Arbre de la Science du Bien et du Mal, ils
représentaient les perspectives formidables de
l'inconnu ».
Il n'est pas certain que le
regard porté sur les œuvres
polynésiennes de Gauguin ait, aujourd'hui,
surmonté ce complexe assemblage de fascination et
d'inquiétude.
NB |
Cette
édition reprend le texte de la première
édition
française (1928, 1932) établie par Mme Emile-R.
Blanchet
; mais le titre est inexplicablement altéré : on
lit en
effet « L'envoûté
» et non « L'envoûte
», en dépit de la note liminaire de la traductrice
reprise en haut de la page 5 : Littré marque du
signe de suspicion le substantif envoûtement.
Néologisme pour néologisme, envoûte
a l'avantage d'un dessin plus net et d'une sonorité moins
lourde. Il se déduit d' « envoûter
» (in,
vultus) comme « entrave » se déduit d'
«
entraver » (in, trabs) et « intrigue » d'
«
intriguer » (in, tricare). |
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EXTRAIT |
Les mots peuvent à peine
décrire le trouble qui émanait de ces couleurs si
étranges. Bleus sombres opaques comme une coupe
délicatement creusée dans un lapis-lazuli et
pourtant d'une splendeur qui rendait sensible le
frémissement d'une vie mystérieuse. Pourpres
horribles comme de la viande crue et putréfiée,
pleins d'une passion effrénée qui
réveillait de vagues réminiscences du
règne d'Héliogabale. Il y avait des rouges vifs
comme les baies du houx, — franche gaieté du
Noël anglais sous la neige, — qui, par une sorte de
magie s'adoucissaient jusqu'à la tendre
défaillance d'une gorge de colombe. Il y avait des jaunes
foncés tournant à un vert aussi suave que le
printemps, aussi purs que l'eau limpide d'un ruisseau de montagne.
Quelle fantaisie exaspérée avait pu imaginer ces
fruits ? Ils appartenaient à un jardin
polynésien des Hespérides et semblaient avoir
été créés à un
stade de l'histoire de la terre où les formes
définitives n'étaient pas encore
fixées. Somptueux, chargés d'odeurs tropicales,
ils palpitaient d'une ardeur énigmatique. Quels
mystérieux palais de féerie connaîtrait
celui qui mordrait à ces fruits enchantés, et
quels obscurs secrets de l'âme ? Ou bien serait-il
changé, par un pouvoir mystérieux, en
démon ou en bête ? Tout ce qu'il y a en
l'homme de sain et de naturel, tout ce qui touche au bonheur de la
famille et aux joies simples se détournait d'eux avec
répulsion, et pourtant une attraction morbide s'en
dégageait : comme le fruit de l'Arbre de la Science
du Bien et du Mal, ils représentaient les perspectives
formidables de l'inconnu.
☐ pp. 212-213
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « The
moon and six pence », Londres : William
Heinemann, 1919
- « L'envoûte »
trad. par Mme E.-R. Blanchet, Paris : Les Éd. de
France, 1932
- « La
lune et soixante-quinze centimes » trad. par Mme
E.-R. Blanchet, Paris :
Les Éd. de Paris, 1955 ; Paris : Le Livre de poche, 1962
- « L'envoûté »
trad. par Dominique Haas, Paris : 10/18, 1997
- «
L'envoûté » trad. par Mme E.-R.
Blanchet
revue par Anne-Sylvie Homassel, Paris : Le Sonneur, 2015
- «
La lune et cent sous » trad. par Mme E.-R. Blanchet et préface
de Riccardo Pineri,
Papeete : 'API Tahiti, 2017
|
- « A
writer's notebook », Londres : William
Heinemann, 1949
; « Et mon fantôme en rit encore, journal
1892-1944 » trad. par Corine Derblum,
Monaco : Rocher
(Alphée), 1989 ; Paris : Librairie
générale française (Le Livre de poche,
Biblio,
3351), 2001
- « Purely
for my pleasure », Londres : William
Heinemann, 1962
|
- « Le fléau de Dieu »,
in : La femme
dans la jungle, Paris : 10/18 (Domaine
étranger, 2839), 1997
- « Le fugitif », Paris : 10/18 (Domaine étranger, 2049), 2006
- «
Récits
des mers du Sud » trad. par Henri Theureau
et Jean Guiart,
préfaces de Jean Guiart et de Riccardo Pineri,
Papeete : 'API
Tahiti, 2017
|
→ Elizabeth Hawes,
« Summers with Somerset » with
photographs by Alfred Eisenstaedt, Martha's
Vineyard Magazine [en
ligne]
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mise-à-jour : 3 novembre 2019 |
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Le Repas (1891)
— détail
Paris,
Musée d'Orsay |
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