NAKAJIMA Atsushi

La mort de Tusitala

Anacharsis

Toulouse, 2011

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Autour du Japon
parutions 2011
La mort de Tusitala / Nakajima Atsushi ; traduit du japonais et postfacé par Véronique Perrin. - Toulouse : Anacharsis, 2011. - 169 p. ; 20 cm.
ISBN 978-2-914777-66-7 
Tantôt je me glisse dans les belles rêveries de Stevenson et ivre je m'y perds.

Nakajima Atsushi, Pérégrinations – cité par Véronique Perrin, Postface, p. 152

En 1890 après une longue croisière dans le Pacifique où il espère trouver un climat qui ménage sa santé, Stevenson âgé de quarante ans se fixe à Vailima sur l'île d'Upolu aux Samoa ; il y meurt le 3 décembre 1894. Durant ces quatre années, sans cesser d'écrire 1, il s'implique activement dans la vie politique locale en défendant, chaque fois qu'il en a l'occasion, les intérêts des Samoans en butte aux visées colonialistes des puissances occidentales — Allemagne, Etats-Unis d'Amérique, Angleterre.

Un demi-siècle plus tard Nakajima Atsushi, âgé d'une trentaine d'années, s'inspire du séjour samoan de Stevenson pour écrire un roman où il fait alterner les pages d'un journal intime — recomposé et arrangé autour de bribes de la correspondance de Tusitala 2 — et l'ébauche d'un récit biographique. Double approche — roman de contrepoint 3 — où s'expriment les interrogations d'un lettré japonais, féru de culture chinoise autant que de littérature occidentale 4. Après avoir achevé son manuscrit, Nakajima s'embarque pour les îles Palaos en Micronésie mais renonce vite à son statut de fonctionnaire d'une puissance coloniale, « non parce qu'il méprise les indigènes, mais parce qu'il les aime » 5.

La postface de Véronique Perrin éclaire ce fascinant jeu de miroir entre deux écrivains, en souligne les enjeux identitaires et littéraires, analyse la réception de l'œuvre, notamment aux Etats-Unis où certains n'ont pas hésité pas à contester à un écrivain asiatique le droit de condamner la politique coloniale des grandes puissances occidentales, semblant oublier que Stevenson est le premier acteur de cette mise en accusation, et qu'il s'agit ici d'un roman : « Nakajima Atsushi a-t-il été assez naïf pour croire que la littérature pouvait se mettre à l'abri de la politique et de l'idéologie ? » 6.

Le monde se déchire quand se noue ce dialogue tendu, avec grâce et vigueur, vers l'utopie d'un monde ouvert.
       
1. Entre autres : In the South seas (1891), A footnote to history : eight years of trouble in Samoa (1892), The wrecker (1892), Catriona (1893), Island's night entertainments (1893), The ebb-tide (1894), Weir of Hermiston (inachevé), Saint-Ives (inachevé), …
2. Tusitala est un mot samoan qui juxtapose tusi (écrire, écriture) et tala (conte, récit et, plus généralement, livre). En janvier 1892, Stevenson conclut une lettre en signant pour la première fois : « Tusitala (tale writer), alias Robert Louis Stevenson » — The letters of Robert Louis Stevenson, ed. by Sidney Colvin, vol. 4 (p. 10), New York : Scribner's sons, 1911.
Rédigée en 1941, la première version du roman de Nakajima Atsushi s'intitulait Tsushitara no shi (Mort d'un Tusitala) ; à la demande de son éditeur l'auteur choisit un nouveau titre, plus « abstrait » pour la version développée qui paraît en 1942 : Hikari to kaze to yume (Lumière, vent et rêves).
3. Véronique Perrin, Postface, p. 157.
4. Nakashima Atsushi lit entre autres Amiel, Baudelaire, Goethe, Lafcadio Hearn, Leopardi, Lucrèce, Montaigne, Poe, Spinoza, Voltaire, Wilde ; il a traduit deux essais d'Aldous Huxley, « Pascal » et « Spinoza's worm » et participé à une traduction collective d' « Amants et fils » de D. H. Lawrence.
5. Nakashima Atsushi, lettre à sa femme du 9 novembre 1941, citée p. 167.
6. Véronique Perrin, Postface, p. 163.
EXTRAIT
XX novembre

Jour de la poste […].

Ai parcouru les lettres, les revues, sentiment de distance de plus en plus grande dans les manières de penser entre gens d'Europe et moi. Ou bien je suis devenu trop vulgaire (anti-littéraire), ou bien ce sont eux qui sont prisonniers de leurs idées trop étroites. Autrefois, je me moquais des tristes sires qui étudiaient le droit. Le droit (je suis mal placé pour en rire puisque j'ai moi-même un diplôme d'avocat, mais enfin), c'était ce qui n'avait d'autorité qu'à l'intérieur d'un territoire donné. Comment pouvait-on être fier de connaître à fond ce mécanisme compliqué, alors que ça n'avait pas de valeur universelle chez les humains ? Or voici que j'ai envie de dire la même chose, maintenant, des sphères littéraires. Littérature anglaise, littérature française, littérature allemande,  et tout au plus, pour faire large : littérature occidentale, ou littérature de la race blanche. Ils circonscrivent ainsi leur territoire, érigent leurs goûts en règle sacrée et s'enorgueillissent, semble-t-il, de leur suprématie, à l'abri de ces conventions particulières et étroites qui n'ont pas cours dans le reste du monde. Cela, il faut se tenir en dehors du monde de la race blanche pour le comprendre. Et ce que je dis là ne concerne pas la littérature seule, bien évidemment. Pour évaluer les hommes et les modes de vie, les civilisations de l'Europe occidentale ont également inventé des critères particuliers, qu'elles croient universels et absolus. Un individu qui ne dispose que de cette méthode d'évaluation limitée, qu'est-ce qu'il peut piger des qualités humaines d'un aborigène du Pacifique, des beautés de sa vie ? Strictement rien.

pp. 141-142
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Hikari to kaze to yume », Tōkyō : Chikuma Shobō, 1942
  • « Histoire du poète qui fut changé en tigre, et autres contes », Paris : Allia, 2010
  • « Le mal du loup », Paris : Allia, 2012
  • « L'île au trésor » d'après le roman de Stevenson, adaptation et scénario de Christophe Lemoine, dessins de Jean-Marie Woehrel, Paris : Le Monde, Grenoble : Glénat, 2017
  • Chanouga [Hubert Campigli], « Merry Men, Souvenirs d'une jeunesse écossaise » librement inspiré de The Merry Men de Robert Louis Stevenson, Genève : Paquet, 2022
  • Nobuko Miyama Ochner, « Robert Louis Stevenson through a Japanese eye : the silkworm image in Light, Wind, and Dreams » in Cornelia N. Moore and Raymond A. Moody (ed.), Comparative literature East and West : traditions and trends, selected conference papers, Honolulu : University of Hawaii press, 1989
  • Alex Capus, « Voyageur sous les étoiles », Arles : Actes sud, 2017
  • Gaspard-Marie Janvier, « Quel trésor ! », Paris : Fayard, 2012
  • Sylvie Largeaud-Ortega, « Ainsi Soit-Île : littérature et anthropologie dans les Contes des mers du sud de Robert Louis Stevenson », Paris : Honoré Champion (Bibliothéque de littérature générale et comparée, 105), 2012

mise-à-jour : 31 octobre 2022

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