La
Chaussée des Merry Men / Robert Louis Stevenson ;
trad. de
l'anglais par Mathieu Duplay. - Paris : Gallimard, 2008. -
115 p. ; 18 cm. - (Folio 2€, 4744).
ISBN
978-2-07-035699-7
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The
little isle of Earraid lies close in to the south-west corner of the
Ross of Mull : the sound of Iona on one side, across which you
may
see the isle and church of Columba ; the open sea to the
other,
where you shall be able to mark, on a clear, surfy day, the breakers
running white on many sunken rocks.
☐ Robert
Louis Stevenson, Memories
and portraits |
Aros, autrement dit
Earraid : c'est sur un coin de terre connu que
Stevenson situe son histoire. Earraid est un îlot auquel on
peut,
deux fois par jour, accéder à pied sec depuis
l'île
voisine de Mull au large des côtes occidentales de
l'Ecosse ; Stevenson s'y était rendu à
l'âge
de vingt ans en compagnie de son père qui
préparait
l'érection du phare de Dhu Heartach non loin de
là.
Telle
qu'elle a marqué l'imagination de Stevenson, la petite
île s'inscrit dans un monde violent, soumis à
l'affrontement du roc, de la mer et du vent. Lieu de dérives
et
de naufrages qui exerce une emprise illimitée sur les rares
habitants et sur les marins de passage. Dans un passé
toujours
prêt à surgir des mémoires, un navire
de
l'Invincible Armada se serait abîmé sous ces eaux
qui ne
connaissent jamais le repos. D'autres ont suivi, d'autres suivront.
Ce court
roman, écrit en 1881 et publié dans un
périodique en 1882, concentre quelques-uns des grands
thèmes qui assureront durablement la
notoriété
littéraire de Stevenson, ceux que l'on retrouve notamment
dans L'île au
trésor (1882, 1883), dans les Aventures de David Balfour (1886)
où le jeune héros vit plusieurs jours d'une
robinsonnade
angoissée sur cette même île
d'Earraid ; mais
on peut également y déceler une
première
apparition du thème du dédoublement qui sera
magistralement orchestré dans Le cas étrange du Dr
Jekyll et de M. Hyde.
Quand le vent et la mer se déchaînent autour
d'Earraid, un
respectable et pieux calviniste, “ après
avoir
noyé (sa) raison dans l'alcool ”, se
laisse subjuguer
par une folie meurtrière …
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EXTRAIT |
Quoique
nous n'ayons que depuis peu dépassé le solstice
d'été, la nuit était aussi sombre
qu'en janvier.
Un crépuscule incertain, visible par intervalles, alternait
avec
des moments d'obscurité complète ; mais
il
était impossible de découvrir la raison de ces
changements dans l'horreur fuyante du ciel. Le vent était
fort
au point qu'il nous empêchait de respirer ; les
cieux tout
entiers paraissaient claquer comme une immense voile sous l'effet du
tonnerre ; et lorsqu'une accalmie momentanée
tombait sur
Aros, nous entendions au loin les rafales de vent balayer l'espace dans
un bruit lugubre. Sur toutes les plaines du Ross, le vent devait
souffler avec la même férocité que sur
la haute
mer ; Dieu seul sait quel vacarme faisait rage autour du
sommet de
Ben Kyaw. Emportés par la tempête, des paquets
d'embruns
mêlés de pluie frappaient notre visage. Tout
autour de
l'île d'Aros, les vagues, dans un bruit de tonnerre,
pilonnaient
sans cesse les récifs et les plages. Tantôt plus
forte
ici, tantôt plus faible là, comme une musique
d'orchestre
aux multiples combinaisons, la masse sonore ne variait
guère, ne
fût-ce qu'un instant. Et plus fort que tout, par-dessus ce
pandémonium, j'entendais les voix changeantes du raz et le
rugissement intermittent des Merry Men. À ce moment, je
saisis
en un éclair pourquoi ce nom leur était
donné. Le
bruit qu'ils faisaient suggérait presque la joie, et
dominait
les autres bruits de la nuit ; ou, sinon la joie, du moins une
jovialité de mauvais augure. Bien plus : ce bruit
avait
même une sonorité humaine. Tels des hommes
sauvages qui,
après avoir noyé leur raison dans l'alcool,
renoncent
à la parole et, dans leur folie, braillent ensemble des
heures
entières ; ainsi, à mon oreille, ces
mortels
brisants hurlaient dans la nuit tout auprès d'Aros.
☐ pp. 84-85 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- «
The Merry Men », Cornhill Magazine, June-July 1882
- « The
Merry Men, and other tales and fables »,
London : Chatto & Windus, 1887
|
- «
Les Gais Compagnons
» trad. Th. Bentzon, La Revue des deux mondes,
septembre-octobre
1889 ; Gien : Chimères, 1990
- « Les
Gais Lurons » trad. Th. Varlet, Paris : La
Sirène, 1920 ; Paris : Ed. d'Aujourd'hui,
1975 ;
Paris : Mille et une nuits, 1994
- «
Les Gais Lurons » trad. Jacques Parsons, in Janet la revenante, et autres
nouvelles éd. par Michel Le Bris,
Bruxelles : Complexe, 1992 ; in Intégrale des
nouvelles (vol. 2) éd. par Michel Le
Bris, Paris : Phébus, 2001
- « La
chaussée des Merry Men » trad. Mathieu
Duplay, in Œuvres
(vol. 2), Paris : Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade,
513), 2005
- « Les
Joyeux Compères » trad. Patrick Reumaux,
Senouillac : Vagabonde, 2012, 2017
- « Les
Merry Men »
trad. Th. Varlet, in Aventures dans les îles
éd. par Dominique Le Brun, Paris : Omnibus, 2017
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- « Chants du voyage »,
Paris : Les Belles Lettres, 1999
- « Correspondance,
tome 2 : Lettres des mers du Sud »,
Paris : NiL éditions, 1995
- « Dans les mers du Sud »,
Paris : Payot, 1995
- « Les pleurs de
Laupepa : En marge de l'histoire, huit années de
troubles aux Samoa », Paris :
Payot, 1995
- Fanny et
Robert Louis Stevenson, « Notre aventure aux Samoa »,
Paris : Phébus, 1994
|
- « L'île
au trésor »
d'après le roman de Stevenson, adaptation et
scénario de
Christophe Lemoine, dessins de Jean-Marie Woehrel, Paris : Le
Monde, Grenoble : Glénat, 2017
|
- Alex Capus,
« Voyageur
sous les étoiles »,
Arles : Actes sud, 2017
- Gaspard-Marie
Janvier, « Quel
trésor ! »,
Paris : Fayard, 2012
- Sylvie
Largeaud-Ortega, « Ainsi
Soit-Île :
littérature et anthropologie dans les Contes des mers du sud
de
Robert Louis Stevenson », Paris :
Honoré
Champion (Bibliothéque de littérature
générale et comparée, 105), 2012
- Nakajima
Atsushi, « La
mort de Tusitala », Toulouse :
Anacharsis, 2011
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mise-à-jour
: 31 octobre 2022 |
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