Éloges [suivi de] La
Gloire des rois, Anabase, Exil / Saint-John Perse. -
Paris :
Gallimard, 1967. - 221 p. ; 18 cm. -
(Poésie, 14).
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— Sinon
l'enfance, qu'y avait-il alors qu'il n'y a plus ?
☐ Pour
fêter une enfance, III, p. 18 |
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Alexis Saint-Leger Leger est né à la
Guadeloupe en 1887 dans une famille de planteurs et d'officiers de
marine. La famille quitte l'île en 1899 et s'établit
à Pau où Alexis poursuit une scolarité brillante
et, rapidement, noue de premières amitiés dans la
sphère littéraire, notamment avec Francis Jammes dont le
grand-père est enterré à la Guadeloupe. La
“ biographie ” qui ouvre l'édition des Œuvres complètes (1972) fait remonter à 1904 la rédaction des Images à Crusoé.
On peut donc imaginer que les échanges avec Francis Jammes se
soient à l'occasion portés, parmi d'autres sujets
d'intérêt commun, sur la figure du naufragé
solitaire dans son île : Francis Jammes a publié en
1906 un poème “ Sur Robinson Crusoé ”.
Les
deux poètes ont imaginé Robinson quand, de retour parmi
les hommes, il fait à Londres l'épreuve de murs oubliés sous les nuées pures de l'île. Saint-John Perse alors compatit avec le solitaire qui souffre dans l' “ odeur des hommes pressés, comme d'un abattoir fade ” — p. 61.
Saint-John
Perse s'adresse à Robinson, mais la tournure est ambivalente et
ne peut masquer ni le déchirement durement
éprouvé, ni la nostalgie qui en découle : “ Le
pan de mur est en face, pour conjurer le cercle de ton
rêve. / Mais l'image pousse son cri. / … /
Et tu songes aux nuées pures sur ton île, quand l'aube
verte s'élucide au sein des eaux
mystérieuses. ” — Le Mur, p. 59. Dans le même fil, les poèmes écrits “ Pour fêter une enfance ”
et publiés plus tard (1910), désignent sans détour
l'île absente, celle de l'enfance. L'évocation lyrique des
racines et de jours intensément vécus
prévaut, mais le chant s'infléchit et la louange se substitue à la nostalgie : “ Ô j'ai lieu ! ô j'ai lieu de louer ! ” — p. 22.
Dans la suite de son œuvre, Saint-John Perse restera fidèle au germe en maturation dans les Images à Crusoé.
Mais en refusant le ressassement affadi d'un impossible retour,
c'est à l'œuvre levée par le grand vent par-delà éloges et louanges, qu'il échoira d'honorer la très haute et très exigeante promesse de l'enfance.
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Vieil
homme aux mains nues,
remis entre les hommes,
Crusoé !
tu pleurais, j'imagine, quand des tours de
l'Abbaye, comme un flux s'épanchait le sanglot des cloches
sur la Ville …
Ô
Dépouillé !
Tu pleurais de songer aux brisants sous
la
lune ; aux sifflements de rives plus lointaines ; aux
musiques étranges qui naissent et s'assourdissent sous
l'aile close de la nuit,
pareilles
aux cercles enchaînés que sont les
ondes
d'une conque, à l'amplification de clameurs sous la
mer …
☐ p.
58 |
Et quelle plainte alors sur la bouche de l'âtre, un soir de
longues pluies en marche vers la ville, remuait dans ton cœur
l'obscure naissance du langage :
“ … D'un exil lumineux
— et plus lointain déjà que l'orage qui
roule — comment garder les voies, ô mon
Seigneur ! que vous m'aviez livrées ?
“ … Ne me laisserez-vous que
cette confusion du soir — après que vous m'ayez, un
si long jour, nourri du sel de votre solitude,
“ témoin de vos silences, de votre ombre et de
vos grands éclats de voix ? ”
— Ainsi, tu te plaignais, dans la confusion du soir. Mais
sous l'obscure croisée, devant le pan de mur d'en face, lorsque
tu n'avais pu ressusciter l'éblouissement perdu, alors, ouvrant le Livre, tu
promenais un doigt usé entre les prophéties, puis le
regard fixé au large, tu attendais l'instant du départ,
le lever du grand vent qui te descellerait d'un coup, comme un typhon,
divisant les nuées devant l'attente de tes yeux.
☐ pp. 69-70 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Saintleger
Leger, « Images à
Crusoé », La Nouvelle Revue
Française, 7, 1er août 1909
— pp. 22-29
- St-J.
Perse, « Images
à
Crusoé », in Eloges
texte revu et augmenté, Paris :
Ed. de La Nouvelle Revue Française, Gallimard, 1925
- Saint-John
Perse, « Images
à
Crusoé », in Œuvres
complètes, Paris : Gallimard (La
Pléiade), 1989
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- Francis
Jammes, « Sur
Robinson Crusoé », in Pensée des jardins,
Paris : Mercure de France, 1906
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- Colette
Camelin, « Saint-John
Perse : l'imagination créatrice »,
Paris : Hermann, 2007
- Colette
Camelin et Catherine Mayaux, « Saint-John Perse »,
Paris, Roma : Memini (Bibliographie des écrivains
français, 26), 2003
- André
Claverie, Samia Kassab-Charfi, Jean
Bernabé et Raphaël Confiant,
« Saint-John
Perse ou la
créolité
marginalisée »,
Schoelcher : CRILLASH (Archipélies, 1), 2010
- Mary
Gallagher, « La
créolité de Saint-John Perse »,
Paris : Gallimard (Cahiers Saint-John Perse, 14), 1998
- Samia
Kassab-Charfi et Loïc Céry (éd.),
« Saint-John
Perse : Atlantique et Méditerranée »
actes du colloque organisé à
l'université de Tunis
en avril 2004, Paris : L'Harmattan (La nouvelle Anabase, 3),
2007
- Henriette
Levillain, « Une lecture de Vents de Saint-John
Perse », Paris : Gallimard
(Cahiers Saint-John Perse, 18), 2006
- Renaud
Meltz, « Alexis
Léger dit Saint-John Perse »,
Paris : Flammarion, 2008
- Renée
Ventresque, « La
" Pléiade " de Saint-John
Perse : la Poésie contre l'Histoire »,
Paris : Classiques Garnier (Etudes
de littérature des XXe
et XXIe
sièckes, 15), 2011
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mise-à-jour : 26 octobre 2022 |
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