Une lecture de
« Vents » de Saint-John Perse /
Henriette
Levillain. - Paris : Gallimard, 2006. -
261 p. ;
21 cm. - (Cahiers Saint-John Perse, 18).
ISBN
2-07-078284-0
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S'en
aller ! S'en aller ! Parole de vivant.
☐ Vents, I, 7 |
« Vents est
un poème subjuguant mais
écrasant » (Henriette Levillain, Avant-propos, p. 7).
Achevé en 1945 sur l'île privée de
Seven Hundred
Acre dans le Maine et publié à tirage
limité chez
Gallimard en 1946, le poème émerge d'une
période
d'interrogation, voire de doute ou même de crise, sur
laquelle
pèse lourdement le cours des
événements.
Saint-John Perse hésite alors entre la solitude du
créateur et le retour à l'action 1.
Henriette
Levillain précise en ouverture cet arrière-plan
de tension et, par contraste, relève le formidable
élan donné à la genèse du
poème
— réponse fulgurante à un
questionnement
douloureux. Mais la lecture
qu'elle propose va bien au-delà d'une simple mise en
situation.
Sans jamais verser dans la paraphrase elle éclaire les
ressorts
à l'œuvre dans un texte d'une profuse et
complexe richesse
— où chaque mot résulte de choix
longuement
délibérés, où
l'équilibre rythmique
est rigoureusement
mesuré, où se joue une polyphonie
complexe.
Vents
compte quatre Chants
et chaque Chant
plusieurs Suites :
sept pour le Chant I,
six pour les Chants II
et III,
sept à nouveau pour le Chant IV.
Henriette Levillain intervient sur trois niveaux ; l'Avant-propos
rappelle,
on l'a vu, les circonstances de la rédaction ; puis
sont mises en
évidence la tonalité propre et les lignes de
force de
chaque Suite ;
enfin,
dans le corps du texte, des notes éclairent le choix de
certains
mots ou, renvoyant au manuscrit, précisent une intention,
signalent une alternative rejetée, un repentir, la
genèse
d'un découpage, …
Ce travail minutieux mais sans lourdeur, permet
d'approcher au plus près d'un texte exigeant, souvent
rugueux, toujours porté par la fougue de qui a
surmonté la tentation du désenchantement.
1. |
« C'est une œuvre
assez étrange que je suis venu cette fois achever
ici [à Seven Hundred Acre Island] dans la
solitude : destruction en moi
du poète », lettre à Mrs.
Francis Biddle, 13 septembre 1944 (Œuvres
complètes, p. 906). |
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EXTRAIT |
CHANT IV,
Suite 4
C'est en ce point de ta rêverie que la
chose survint
: l'éclair soudain, comme un Croisé !
— le Balafré 1
sur ton chemin, en travers de la route,
Comme
l'Inconnu surgi hors du fossé qui fait cabrer la
bête du Voyageur.
Et
à celui qui chevauchait en Ouest, une invincible main
renverse
le col de sa monture, et lui remet la tête en Est.
« Qu'allais-tu déserter
là ? … »
*
Songe
à cela plus tard, qu'il t'en souvienne ! Et de
l'écart où maintenir, avec la bête haut
cabrée,
Une
âme plus scabreuse 2.
☐ pp. 218-219
1. |
À propos de ce Balafré, SJP
a repoussé avec véhémence, dans une
lettre
à Roger Caillois, l'interprétation figurative qui
a pu en
être donnée : « Le
Balafré » n'évoque aucune
figuration connue,
aucune personnification humaine d'histoire ancienne ou contemporaine.
(Grands dieux ! Comment a-t-on pu jamais me prêter de telles
conceptions poétiques ? Nous n'en sommes plus au temps du
Dante
!) Il n'y avait rien là que simple vision physique ou
figuration
surnaturelle, sans autre valeur ni pertinence que celle d'un intersigne
; la fulguration de la foudre, croisée d'éclair,
sur la
route du Voyageur (Œuvres
complètes,
p. 562). Au final, le poète a certainement raison
contre
son questionneur. Il serait vain de chercher une clé et la
vision soudaine, en travers de la route, d'un monumental
éclair
qui strie le ciel comme une cicatrice est suffisamment grandiose pour
ne pas appeler de référence
particulière.
Toutefois, ce sont bien deux noms propres, au singulier, Croisé
et Balafré,
et ils convoquent, sinon des personnages identifiables, du moins des
situations historiques. Sur cette route, où l'on retrouve
Paul
se dirigeant vers Jérusalem en vue de persécuter
les
chrétiens, la croix dessinée par
l'éclair anticipe
celle du Croisé.
Au reste, le récit de la conversion de Paul
s'entremêle avec la légende du Quo Vadis de Pierre
sur la route de Rome. Quant au Balafré
qui, tel un bandit de grand chemin, se jette en travers de la route, il
a pu être inspiré, si l'on en juge
d'après la
traduction de Hugh Chisholm, refusée en vain par SJP, par le
plus célèbre des films de gangsters, Scarface ou
« Le Balafré » (1932). |
2. |
plus
scabreuse :
<bas-latin, scabrosus : âpre,
inégal, et au
figuré, dur>. L'adjectif a d'abord
qualifié un chemin
rude, ce qui par hypallage est le cas ici (l'écart est
rude),
puis une entreprise difficile, ce qui est aussi le sens. Le
poète aurait souhaité que la version anglaise
puisse
restituer le double sens, concret et relatif au chemin, plus abstrait
et relatif au sujet. Aussi propose-t-il à Hugh Chisholm une
série de mots qui accentuent l'un et l'autre sens :
sheer,
steep, precipitous, abrupt, bluff, bolder. Et de peur de
ne pas se faire comprendre, il inscrit dans la marge : scabrous = rugueux,
signifiant par là que le sens moral du mot
(indécent) n'était pas à prendre en
compte. L'anagramme cabrer /
scabreuse
permet en effet une contamination de sens que la version anglaise
ignore. On note que le manuscrit de cette courte suite n'est pas
net : beaucoup de parenthèses, certaines
biffées, de
repentirs, de reprises ou de déplacements de phrases. |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Saint-John
Perse, « Vents »,
Paris : Gallimard, 1946
- Saint-John
Perse, « Vents »,
in Œuvres
complètes, Paris : Gallimard (La
Pléiade), 1989
- Saint-John
Perse, « Vents »
suivi de « Chronique » et de
« Chant
pour un équinoxe », Paris :
Gallimard
(Poésie, 36), 1993
|
- Saint-John
Perse, « Images à Crusoé », in Éloges [suivi de] La Gloire des rois, Anabase, Exil, Paris : Gallimard (Poésie, 14), 1967
- Saint-John
Perse, « Croisière
aux îles Eoliennes (Aspara) 13-31 juillet 1967
», Paris : Gallimard (Cahiers Saint-John
Perse, 8-9), 1987
- Saint-John
Perse, « Croisière aux îles Eoliennes
» nouv.
éd. transcrite, présentée et
annotée par
Claude Thiébaut, Aix-en-Provence : Association des
amis de
la Fondation Saint-John Perse (Souffle de Perse, Hors-série
2),
2012
|
- Henriette
Levillain, « Le rituel poétique de
Saint-John Perse », Paris : Gallimard (Idées, Littérature, 360), 1977
- Henriette
Levillain,
« Sur deux versants : la
création chez
Saint-John Perse, d'après les versions anglaises de son
œuvre poétique »,
Paris : José
Corti (Publications de la
Fondation Saint-John Perse),
1987
- « Saint-John
Perse : antillanité et
universalité »
(actes du colloque international organisé à
Pointe-à-Pitre les 30 mai et 1er juin
1987) textes
réunis et présentés par Henriette
Levillain et
Mireille Sacotte, Paris : Ed. Caribéennes, 1989
- Henriette
Levillain (dir.), « Saint-John
Perse », Paris : A.D.P.F., 2005
- « Saint-John
Perse, 1945-1960 : une poétique pour
l'âge
nucléaire » (actes du colloque
international
organisé en Sorbonne les 23 et 24 janvier 2004), textes
réunis et présentés par Henriette
Levillain et
Mireille Sacotte, Paris : Klincksieck (Bibliothèque contemporaine, 10), 2005
- Henriette
Levillain, « Saint-John Perse »,
Paris : Fayard, 2013
|
- Colette
Camelin, « L'imagination
créatrice de Saint-John Perse »,
Paris : Hermann, 2007
- Colette
Camelin et Catherine Mayaux, « Saint-John Perse »,
Paris, Roma : Memini (Bibliographie des écrivains
français, 26), 2003
- André
Claverie, Samia Kassab-Charfi, Jean
Bernabé et Raphaël Confiant,
« Saint-John
Perse ou la
créolité
marginalisée »,
Schoelcher : CRILLASH (Archipélies, 1), 2010
- Laurent
Fels, « Saint-John Perse : Images
à Crusoé »,
Paris : Le Manuscrit, 2005
- Mary
Gallagher, « La
créolité de Saint-John Perse »,
Paris : Gallimard (Cahiers Saint-John Perse, 14), 1998
- Samia
Kassab-Charfi et Loïc Céry (éd.),
« Saint-John
Perse : Atlantique et Méditerranée »
actes du colloque
organisé à l'université de Tunis en
avril 2004, Paris : L'Harmattan
((La nouvelle Anabase, 3), 2007
- Renaud
Meltz, « Alexis
Léger dit Saint-John Perse »,
Paris : Flammarion, 2008
- Renée
Ventresque, « La
" Pléiade " de Saint-John
Perse : la poésie contre l'histoire »,
Paris : Classiques Garnier (Etudes
de littérature des XXe
et XXIe
sièckes, 15), 2011
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mise-à-jour : 25 octobre 2022 |
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