Alexis
Léger dit Saint-John Perse / Renaud Meltz. -
Paris :
Flammarion, 2008. - 846 p.-[16] p. de pl. ;
24 cm.
978-2-0812-0582-6
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Et
ceux qui l'auront vu passer diront : qui fut cet homme, et
quelle, sa demeure ?
☐ Saint-John Perse,
“ Nocturne ” (1973) |
On croit connaître Saint-John Perse,
poète né
en 1887 à la Guadeloupe et lauréat du prix Nobel
de
littérature en 1960 ; on connaît moins
Alexis
Léger, diplomate qui de 1914 à 1940
exerça un
rôle croissant dans la politique
étrangère de la
France. Adaptée d'une thèse de doctorat en
histoire
contemporaine soutenue en 2005 1,
la volumineuse biographie de Renaud Meltz se propose de
« [réunir] enfin ce qui a
été
séparé par Alexis Léger
lui-même, la vie du
diplomate et celle du poète » 2.
En
ouverture de ses Œuvres
complètes 3,
Saint-John Perse avait fait figurer une
« biographie »,
entièrement établie
par ses soins, qui tentait d'établir pour la
postérité une cohérence entre les deux
volets de
son existence ; mais si l'on n'a pas tardé
à mettre
en question la sincérité de l'exercice, beaucoup
restait
à faire, tant pour rétablir les faits que pour
éclairer les motifs et les mobiles mis en œuvre.
L'intéressé, parfaitement conscient du
dédoublement de sa propre personnalité, avait
toujours
vigoureusement récusé les tentatives
d'élucidation
fondées sur d'hypothétiques convergences entre la
sphère temporelle où se déploie
l'action politique
et le champ de la création poétique :
« … absurde, infiniment, est
cette recherche
systématique d'une personnalité politique et
l'introduction arbitraire de l'histoire contemporaine (…)
dans
des poèmes irréductibles à tout
l'ordre temporel,
affranchis de toute heure comme de tout lieu (…).
Derrière ces libres stylisations de pure création
poétique, il n'y a pas plus place pour la
personnalité
mythique d'un Saint-John Perse que pour la personnalité
réelle d'un Alexis Leger, diplomate ou homme
privé » 4.
Un quart de siècle après la mort du
poète et
diplomate, Renaud Meltz relève donc le défi et,
au terme
d'une longue enquête, suggère une nouvelle lecture
tant de
l'action diplomatique d'Alexis Léger que de la
poésie de
Saint-John Perse ; sévère, le constat
fait
apparaître la figure d'un mystificateur
« épris
de puissance et de gloire » 5
qui, oubliées les exigeantes convictions du poète
d'Eloges, se
livre à une ambition politique inconséquente et
démesurée à laquelle il ne renonce
— et
« déserte le champ de l'action pour celui
de
l'esprit » 6 —
qu'une fois consommé l'échec du diplomate. Il
consacre
alors ce qui lui reste de temps, d'énergie et d'entregent
à
l'édification de sa stature littéraire :
soit, entre
autres, obtenir le Nobel et entrer de son vivant dans La Pléiade.
Le réquisitoire tire pour une part sa
justification, sinon
sa force probante, des ambiguïtés, des omissions et
surtout
des falsifications qui entachent le mémorial que constituent
les
Œuvres
complètes. Pour autant on peut s'interroger :
- sur
l'importance accordée par Renaud Meltz à la
carrière diplomatique d'Alexis Léger au
détriment
de l'œuvre poétique de Saint-John Perse 7 ;
- et
sur le constant déséquilibre entre
témoignages
à charge (de loin les plus nombreux) et à
décharge
(rares).
Où l'on attendait un éclairage
renouvelé sur un parcours d'une rare
complexité, l'enquête minutieuse de Renaud Meltz
se borne
trop souvent à illustrer les ambiguïtés
de la
diplomatie française entre les deux Guerres mondiales
— il serait aussi peu crédible d'en
exonérer
totalement Alexis Léger que de lui en imputer la
responsabilité première comme semble parfois le
suggérer l'auteur. Cette lourde ombre portée
d'événements dramatiques obscurcit l'examen
attendu d'une geste poétique dont l'intensité est
systématiquement niée, jusqu'au constat
final qui
confine l'œuvre « à une gloire
confidentielle … goûtée par de
rares
initiés » 8.
Le regret est d'autant plus vif que la première
partie,
qui présente l'enfance en Guadeloupe et l'exil
— blessure et
révélation — qui
marqueront irrémédiablement la visée
poétique, est riche d'aperçus pertinents dont on
perd le
fil dans la suite sinon, et comme en creux, dans le
rappel des perfidies trop fréquentes dont ses adversaires
accableront le Martiniquais
(!), le Nègre,
le métis
ou le Créole
nonchalant. C'est
faire bien peu de cas des illuminations et déchirements
d'une
jeunesse où se sont frayés les voies que
l'œuvre
poétique ne cessera d'explorer.
Sinon
l'enfance, qu'y avait-il alors qu'il n'y a plus ? 9
1. |
«
Le mage et le régent, Alexis Léger, 1887-1975
»
thèse de doctorat en histoire contemporaine, Paris IV, 2005
(sous la dir. de Jean-Paul Bled) |
2. |
« Alexis Léger dit Saint-John
Perse », 4ème de couverture |
3. |
Saint-John Perse, « Œuvres
complètes », Paris : Gallimard (La
Pléiade), 1972, pp. IX-XLIV |
4. |
Saint-John Perse, lettre à Adrienne
Monnier (26 mars 1948), in « Œuvres
complètes », pp. 552-553 |
5. |
« Alexis Léger dit Saint-John
Perse », 4ème de couverture |
6. |
« Alexis Léger dit Saint-John
Perse », p. 791 |
7. |
La
2ème partie du livre qui lui est exclusivement
consacrée
compte 402 pages, la 1ère n'en compte que 194, la
3ème
171. |
8. |
« Alexis Léger dit Saint-John
Perse », p. 792 |
9. |
Saint-John Perse, Éloges
in « Œuvres complètes », p. 25 |
|
SOMMAIRE |
Introduction
TOUT CONCILIER (1887-1921)
- L'héritage
guadeloupéen
- Le fils
chéri
- Exil,
déclassement et affabulation
- Une
vocation littéraire
- Le Quai
d'Orsay, trottoir de la poésie ?
- Une plume
au service d'une ambition
- Tout
concilier dans la coulisse chinoise
LE MAGE DE LA
RÉPUBLIQUE (1921-1940)
- La
volonté de puissance
- L'ombre de
Briand
- Paix
universelle ou Europe française ? (1927-1932)
- Le
successeur de Berthelot
- L'héritier
de Briand
- La
fidélité à la
sécurité collective
- Les
abstentions (1936-1937)
- 1938, les
abandons
- 1939,
résister aveuglément
- Drôle
de guerre, étrange défaite
L'INVENTION DE
SOI
- Le duel
Léger-de Gaulle (I) : la guérilla du
diplomate
- Le duel
Léger-de Gaulle (II) : la victoire du
général
- La
renaissance de Saint-John Perse
- Le roman
d'un poète (1958-1975)
- Prospérité
de la légende
Remerciements, Table
des abréviations, Notes, Bibliographie, Index |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Saint-John
Perse, « Œuvres
complètes », Paris : Gallimard
(La Pléiade), 1972, 1982
- Saint-John Perse, « Images à Crusoé », in Éloges [suivi de] La Gloire des rois, Anabase, Exil, Paris : Gallimard (Poésie, 14), 1967
- Saint-John
Perse, « Croisière
aux îles Eoliennes (Aspara) 13-31 juillet 1967
», Paris : Gallimard (Cahiers Saint-John
Perse, 8-9), 1987
|
- Colette
Camelin, « Saint-John
Perse : l'imagination créatrice »,
Paris : Hermann, 2007
- Colette
Camelin et Catherine Mayaux, « Saint-John Perse »,
Paris, Roma : Memini (Bibliographie des écrivains
français, 26), 2003
- André
Claverie, Samia Kassab-Charfi, Jean
Bernabé et Raphaël Confiant,
« Saint-John Perse ou la
créolité
marginalisée », Schoelcher : CRILLASH (Archipélies, 1), 2010
- Laurent
Fels, « Saint-John
Perse : Images à Crusoé »,
Paris : Le Manuscrit, 2005
- Mary
Gallagher, « La
créolité de Saint-John Perse »,
Paris : Gallimard (Cahiers Saint-John Perse, 14), 1998
- Samia Kassab-Charfi et Loïc Céry (éd.), « Saint-John Perse : Atlantique et Méditerranée »
actes du colloque organisé à l'université de Tunis
en avril 2004, Paris : L'Harmattan (La nouvelle Anabase, 3), 2007
- Henriette
Levillain, « Une lecture de Vents de Saint-John
Perse », Paris : Gallimard
(Cahiers Saint-John Perse, 18), 2006
- Renée
Ventresque, « La méditation de Gauguin
dans les
premiers poèmes de Saint-John Perse », in
Riccardo
Pineri (dir.), Paul Gauguin :
héritage et confrontations, actes
du colloque organisé par l'Université de la
Polynésie française (mars 2003),
Papeete : Le Motu,
2003
- Renée
Ventresque, « La
" Pléiade " de Saint-John Perse :
la poésie contre l'histoire »,
Paris : Classiques Garnier (Etudes de littérature
des XXe
et XXIe
siècles, 15), 2011
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mise-à-jour : 25 octobre 2022 |
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