Croisière
aux îles Eoliennes (Aspara) 13-31 juillet 1967 / Saint-John
Perse ; texte transcrit par Pauline Berthail et Antoine
Raybaud ; [publié par les Amis de la Fondation
Saint-John
Perse]. - Paris : Gallimard, 1987. -
321 p. :
fac-sim. ; 21 cm. - (Cahiers Saint-John Perse, 8-9).
ISBN
2-07-070855-1
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Cinquième
croisière méditerranéenne sur le yacht
Aspara :
entre l'Italie, la Sardaigne et la Sicile, jusqu'aux îles
Eoliennes ou Lipari, avec mouillage devant les îles Panarea,
Stromboli, Lipari et Vulcano, non loin de “ la
Pietralunga ” et autres aiguilles de basalte des
“ Bocche di Volcano ” ;
lente navigation, de
très près, autour des îles Salina,
Filicudi et
Alicudi, pour l'observation de leur structure volcanique et de leurs
curiosités géologiques : pierres
vitrifiées,
coulées d'obsidienne rouge, fumeroles latentes et ceintures
d'écueils basaltiques ; le Stromboli deux fois
longé
à la tombée du jour, pour mieux suivre,
à la lueur
de ses crevasses en flammes, les coulées de lave et les
chutes
de pierres incandescentes jusqu'à la mer. Retour au long de
la
côte italienne, avec escales à Naples,
à Capri,
à Ischia et à Ponza, le tour fait des petites
îles
de Palmarola et de Zanone, et corvée d'eau à
Anzio,
à l'entrée du canal de Fiumicino, avant de
continuer sur
Porto Ercole, Santa Margharita, San Remo et Antibes.
☐ Saint-John
Perse, « Biographie »,
in Œuvres
complètes, Paris : Gallimard
(La Pléiade), 1972, 1982, p. XXXIX
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Né en Guadeloupe et se
proclamant avec force homme
d'Atlantique 1,
Saint-John Perse qui demeure aux États-Unis
d'Amérique
depuis la Seconde Guerre mondiale a choisi la Provence maritime pour y
fixer sa résidence d'été :
les Vigneaux
sur la presqu'île de Giens, face aux îles
d'Hyères.
À partir de 1957, il y passe plusieurs mois chaque
année
; c'est là qu'il trouvera la mort en 1975.
Aux Vigneaux, Saint-John Perse poursuit avec la mer un
dialogue
qui ouvre le monde et dissipe les frontières :
« cette salicorne, cette
" bruyère de
mer ", poussent aussi bien sur les rochers de l'Australie ou
sur
ceux de Terre-Neuve, qu'ici » 2.
En d'autres occasions, il relève d'étroites
affinités entre la végétation locale
et celle de
son île natale.
Depuis sa retraite
méditerranéenne, Saint-John Perse a l'occasion,
durant
cinq étés consécutifs, d'embarquer
à bord
du yacht de son ami Raoul Malard — excellent homme de mer —,
pour une croisière de quelques semaines. En 1967, l'ultime
escapade de l'Aspara
met le cap sur les îles Eoliennes, puis sur les
îles du
golfe de Naples (Capri, Ischia, Procida) et les îles Pontines
(Santo Stefano, Ventotene, Ponza, Palmarola, Zannone).
Saint-John
Perse note dans un carnet ce qui retient son attention : trait
de
lumière, jeu de couleurs, saveurs (jusqu'à
certains
menus), coulées et flammes d'un volcan, jaillissement d'un
espadon, plante rare, femmes au bain, … — La Mer, pays
sincère (p. 105).
Des entraves se relâchent, le monde se recompose. Et surgit
le
souvenir de la Guadeloupe : « cette
écume en
fuite sur coaltar bleu, qui remonte à mon enfance,
près
de mon Père » (p. 29) ;
« pensé aux volcans antillais et
verdoyants, si
différents »
(p. 37), … Ainsi
s'éclaire une cohérence
du monde de la mer et des îles que Saint-John Perse
éprouve parfois, semble-t-il, jusqu'à l'ivresse,
et dont
témoignent ces notes sans apprêt … et
qui
n'étaient à l'évidence pas
destinées
à la publication.
1. |
« Saint-John Perse
est homme d'Atlantique. Il n'a jamais aimé l'esprit latin
et revendique l'héritage celtique jusqu'à hauteur
des
Tropiques car il a du sang breton par les femmes. Ajoutons pourtant
qu'il combat loyalement son préjugé
antiméditerranéen … » — Pierre
Guerre, « Dans la haute maison de mer :
Rencontres avec Saint-John Perse », in Saint-John
Perse, Œuvres
complètes, Paris : Gallimard (La
Pléiade), 1972, 1982, p. 1342 |
2. |
Propos rapporté par Pierre Guerre, ibid.,
p. 1335 |
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EXTRAIT |
Zanone
—
Zenan
: phare au bas, tache unique d'habitation sur la hauteur verdoyante.
(villa nouvelle du propriétaire de l'île
à
côté de la cabanne du gardien de chasse
— sur
les ruines d'anciennes constructions fortifiées :
repaire
de pirates barbaresques fonçant de leur aire contre les
îles habitées, comme Ischia et Ponza.
L'île haute et rotonde, très abrupte, et
pourtant
verdoyante non de brousse ni maquis, mais de forêt de pins,
revêtant les pentes les plus abruptes.
(chèvre sauvage ? Lièvres et
lapins ?
faisans ou perdrix ? (tétras ?)
Petit phare métallique de
cime —
Où l'eau ? citerne ?
Aménagement du grand phare
établi dans le
bas — long escalier de pierre majestueux d'un
côté — et d'autre part rampes,
cales,
semi-môles, et haut entablement de fer pour
déchargement
à hauteur de hautes coques — Un bombard
à
moteur halé sous les piliers de fer.
Notre dernière île
— Jean Pierre
« Je vivrais là trois mois avec une lampe
à
pétrole — et de graines à
planter. (Avec un
peu d'eau, tout pousse ici, dit le Capitaine.
— Cri du marin serbe, sur la passerelle de
timonerie, nous
signalant loin à l'avant des jaillissements d'espadons.
— Beauté, santé
(éternelle) de
la mer (femme) à la lumière (clarté de
7h)
sans soleil = belle peau. (souple et
sensuelle —
sensualité d'adulte, de matrone
romaine. — chair
d'impératrice mère. — Large
couche — vaste assise —
éparse sans
dispersion — Cohérente la mer d'(infinie)
cohésion.
— Toutes femmes, cuisses
nues entrouvertes (peau d'ambre) montrante l'étroite
barrette
sur le sexe.
→ Ponza
—
Accueil du cimetière-cité
d'Ouest sous la lampe éternelle du Phare gardien (vigilant).
Promontoire sur arcades
régulièrement
creusées, non bâties, comme pour abri de
sous-marins.
Haut château-fort
évasé
transformé en hôtellerie avec escalier
à rampe
métallique dévalant jusqu'à la
mer —
De l'autre côté les rochers
— styles (aiguilles.)
Et à fond d'anse, Ponza, mi-teinte de
rose
pâle et jaune paille (chaume), et ceinture de remparts
tortueux
sang caillé passé — et
escalade de maisons
mauresques sur étagement vert crépelé
de vignes
latérales et d'olivettes.
Clocher de fer à l'italienne.
Ce matin, un chant de coques (sic) dans la
pierraille d'un coin (angle) de cour à cactus
débarbés.
Des tranches de sierra aux derniers contreforts de
la rade.
Un coin résiduaire en pente
où sont
tirés et béquillés, parmi la vie
domestique du
lieu pauvre, 2 hautes coques matées de vieilles
goélettes
(anciennes tartanes au cabotage ?)
Fond de
culture verdoyante, ascension en terrasses montant à quelle
déboire ou déception humaine en quête
d'aisance
matérielle.
Sémaphore là-haut, et grand
empennage errant d'une mouette inspectrice.
Le grand navire à moteur blanc d'Anzio
inséré, à hauteur d'un premier
étage, dans
l'arrière port en coin.
De l'autre côté, Via Camperi,
de cette rade, M. trouve des coins arabes. Se croit au Maroc.
La poupe à quai, parfois un
mât de Marconi
s'élance à hauteur d'un ultime étage
de vieil
immeuble cubique.
D'après M. Fascini d'Ischya, des
Bourbons enterrés au cimetière marin de Ponza.
— Immense araucaria noir
près du dôme de l'Eglise.
— Soirée en rade
(imaginer pendant ce
temps là la déambulation de chiens au port et bas
quartiers. —
Jazz obsédant
(répétition à l'origine de 3 motifs)
tressaillement de la ville (criquets à cymbales)
Des barques à gamins jacasseurs font
dans la nuit le tour du bateau.
☐ pp. 185,
187, 189 et 191
NB |
L'ouvrage présente
sur les pages paires une reproduction
grandeur nature du manuscrit de Saint-John Perse et, sur les pages
impaires, la transcription effectuée par Pauline Berthail et
Antoine Raybaud. L'extrait ci-dessus reproduit la transcription,
à l'exception des retours à la ligne
imposés par
le suivi ligne à ligne du manuscrit et des signes
typographiques
utilisés notamment pour signaler les mots
complétés lors de la transcription. |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Croisière
aux îles Eoliennes » nouv. éd.
transcrite,
présentée et annotée par Claude
Thiébaut,
Aix-en-Provence : Association des amis de la Fondation
Saint-John
Perse (Souffle de Perse,
Hors-série 2), 2012
|
- Saint-John
Perse, « Œuvres
complètes », Paris : Gallimard
(La Pléiade), 1972, 1982
- Saint-John Perse, « Images à Crusoé », in Éloges [suivi de] La Gloire des rois, Anabase, Exil, Paris : Gallimard (Poésie, 14), 1967
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- Colette
Camelin, « Saint-John
Perse : l'imagination créatrice »,
Paris : Hermann, 2007
- Colette
Camelin et Catherine Mayaux, « Saint-John Perse »,
Paris, Roma : Memini (Bibliographie des écrivains
français, 26), 2003
- André
Claverie, Samia Kassab-Charfi, Jean
Bernabé et Raphaël Confiant,
« Saint-John Perse ou la
créolité
marginalisée », Schoelcher : CRILLASH (Archipélies, 1), 2010
- Laurent
Fels, « Saint-John Perse : Images
à Crusoé »,
Paris : Le Manuscrit, 2005
- Mary
Gallagher, « La
créolité de Saint-John Perse »,
Paris : Gallimard (Cahiers Saint-John Perse, 14), 1998
- Henriette
Levillain, « Une lecture de Vents de Saint-John
Perse », Paris : Gallimard
(Cahiers Saint-John Perse, 18), 2006
- Renaud
Meltz, « Alexis
Léger dit Saint-John Perse »,
Paris : Flammarion, 2008
- Renée
Ventresque, « La
“ Pléiade ” de
Saint-John
Perse : la poésie contre l'histoire »,
Paris : Classiques Garnier (Etudes
de littérature des XXe
et XXIe
sièckes, 15), 2011
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mise-à-jour : 25 octobre 2022 |
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