Olivier Rolin

Le météorologue

Seuil - Paulsen

Paris, 2014
bibliothèque insulaire

      

l'archipel russe ?
île-prison
parution 2014
Le météorologue / Olivier Rolin. - Paris : Seuil, Paulsen, 2014. - 205 p.-[16] p. de pl. ; 21 cm.
ISBN 978-2-02-116888-4
Alexeï Féodossiévitch Vangengheim est né en 1881 dans un village d'Ukraine. Au début des années 30, il dirige le Service hydro-météorologique de l'URSS où il rêve « d'établir un cadastre des eaux, un cadastre des vents et un autre du soleil » (p. 14) ; il pensait ainsi contribuer à l'édification du socialisme. Il est pourtant arrêté le 8 janvier 1934. Après plusieurs semaines d'interrogatoires, il est condamné à dix ans de goulag et arrive au camp des îles Solovki le 10 juin de cette même année.

Vangengheim reste au camp des Solovki jusqu'à la fin du mois d'octobre 1937, puis il est transféré, avec plusieurs centaines d'autres détenus, vers une destination et un sort longtemps ignorés — de fait il est exécuté début novembre, d'une balle dans la nuque, à proximité de Medvejegorsk en Carélie.

En relatant l'aventure, Olivier Rolin emprunte largement à la correspondance du météorologue, et s'étonne que celui-ci n'ait jamais cessé d'exprimer son attachement à la révolution, au parti et à ses dirigeants ; mais il fallait ménager la très vigilante censure des autorités du camp ; ces marques d'allégeance pouvaient également servir à étayer les incessantes démarches effectuées en vue d'obtenir une réhabilitation.

L'intérêt d'Olivier Rolin pour le destin de Vangengheim s'est éveillé à la découverte d'un album hors commerce réunissant des lettres adressées à sa fille, âgée de quatre ans lors de son arrestation, et les dessins naïfs qui les accompagnaient : fleurs, animaux, scènes de la vie quotidienne, phénomènes naturels (aurores boréales). Un cahier de planches, à la fin du volume, présente une sélection de ces dessins qui révèlent, loin de l'atmosphère concentrationnaire, le meilleur de l'environnement quotidien du météorologue, et peut-être son ultime raison de survivre — au cœur de l'horreur.
IOURI TCHIRKOV Le professeur Alexeï Feodossievitch Wangenheim, responsable du fonds étranger de la bibliothèque, était également membre du Parti social-démocrate révolutionnaire et avait connu Lénine personnellement. Il avait organisé, puis dirigé jusqu'en 1934 le Comité hydrométéorologique auprès du Sovnarkom. Très cultivé, il connaissait le français et l'allemand à la perfection. Promu colonel pendant la guerre mondiale, responsable du service météo de la 8e armée, puis du front du Sud-Ouest, il avait reçu une arme d'or pour avoir organisé une attaque aux gaz contre les Autrichiens. Dès le début de la révolution, il avait pris le parti des Soviets, ce qui ne l'avait pas empêché d'écoper de dix ans de camp selon l'article 58, alinéas 7, 10, 11, pour sabotage collectif et propagande contre-révolutionnaire.
[…]
À la fin de 1935,
Alexeï Feodossievitch s'était déjà bien adapté aux conditions du camp et au travail de la bibliothèque. Physiquement, il ressemblait au célèbre portrait de Herzen par Nikolaï Gué : une tête grisonnante aux cheveux courts, moustache et barbiche blanches. Il portait une veste surpiquée grise, un pantalon ouatiné gris, des bandes molletières et des chaussures grossières en cuir.

« C'était ainsi … Un adolescent au goulag », Paris : Ed. des Syrtes, 2009 ; pp. 78-79
EXTRAITS
Le camp n'est pas que violence. Plutôt, il est en soi une pure violence, mais il abrite des espaces, des moments où survit une utopie éducative. C'est une chose difficile à comprendre dans l'histoire du camp des Solovki […] : au sein de la plus extrême brutalité, et d'abord de celle qui prive arbitrairement de liberté des millions d'innocents, subsistent de brefs interstices où l'esprit peut se réfugier, comme des clairières dans une forêt obscure : la bibliothèque, où Vangengheim va travailler, est un de ces lieux, comme le théâtre et les conférences. C'est ce qui fait la singularité des Solovki, qui explique aussi que la propagande soviétique des années vingt ait monté leur exemple en épingle. Gorki, par exemple, a fait un tour aux Solovki en 1929 (entre deux séjours sur la côte amalfitaine !) […] on ne lui a montré que des spectacles édifiants, et il en est revenu enchanté et l'a fait savoir, bien sûr, puisque c'est ce qu'on attendait de lui. Cette singularité va s'amenuiser avec les années, mais elle demeure encore au milieu des années trente. Après, on est passé à des choses autrement plus sérieuses, mais alors, il ne s'agissait plus de les montrer. Vangengheim, donc, fait des conférences sur « la conquête de la stratosphère » — il en connaît un rayon. Et il est réconforté lorsque des détenus le saluent respectueusement dans une allée du camp, l'appelant « Professeur ». Ce qu'on supporte moins bien que tout, sans doute, c'est la perte de la considération.

pp. 84-85
pl. [VII] Animaux
pl. [X] Devinettes pl. [XIV] Phénomènes naturels
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • Jean-Luc Bertini, « Solovki : la bibliothèque perdue » texte d'Olivier Rolin, Marseille : Le Bec en l'air, 2014
  • Youri Beszonov, « Mes vingt-six prisons et mon évasion de Solovki », Paris : Payot, 1928
  • Jurij Brodskij, « Solovki, le isole del martirio : da monastero a primo lager sovietico », Milano : La Casa di Matriona, 1998
  • Boris Chiriaev, « La veilleuse des Solovki  », Paris : Éd. des Syrtes, 2005
  • Ante Ciliga, « Dix ans au pays du mensonge déconcertant », Paris : Éd. Champ libre, 1977
  • [Iulia Danzas], « Bagne rouge : souvenirs d'une prisonnière aux pays des Soviets », Juvizy : Éd. du Cerf, 1935
  • Veronika Dorman, « Amnésie russe, 1917-2017 », Paris : Éd. du Cerf, 2017
  • Raymond Duguet, « Un bagne en Russie rouge », Paris : Éd. Jules Tallandier, 1927 ; Balland, 2004
  • Paul Florensky, « Lettres de Solovki, 1934-1937 », Lausanne : L'Âge d'homme, 2012
  • Tomasz Kizny (et al.), « Goulag : les Solovki, le Belomorkanal, l'expédition de Vaïgatch, le théâtre au goulag, la Kolyma, la Vorkouta, la Voie morte », Paris : Acropole, Balland, Géo, 2003
  • Natalia Kuziakina, « Theatre in the Solovki prison camp », New York : Routledge, 1995
  • Dimitri S. Lichacev, « La mia Russia », Torino : G. Einaudi, 1999
  • Soserko A. Malsagov, « An island hell : a soviet prison in the far north », Londres, 1926
  • Ekaterina Olitskaïa, « Le sablier », Paris : Deuxtemps Tierce, 1991
  • Roy Robson, « Solovski, the story of Russia told through its most remarkable islands », New Haven : Yale university press, 2004
  • Mgr Boleslas Sloskans, « Témoin de Dieu chez les sans-Dieu : du bagne des îles Solovki à la déportation en Sibérie, journal de prison », Mareil-Marly : Aide à l'église en détresse, 1986
  • Alexandre Soljenitsyne, « Une journée d'Ivan Denissovitch », Paris : 10/18 (Domaine étranger, 488), 2000
  • Tatiana Tchernavin, « Escape from the Soviets », London : Hamish Hamilton, 1933
  • Vladimir Tchernavin, « I speak for the silent prisoners of the Soviets », Boston, New York : Hale, Cushman & Flint, 1935
  • Iouri Tchirkov, « C'était ainsi … un adolescent au goulag », Paris : Éd. des Syrtes, 2009
  • Evgueni Vodolazkine, « L'aviateur », Paris : Éd. des Syrtes, 2019
  • Oleg Volkov, « Les ténèbres », Paris : J-C Lattès, 1991
  • Mariusz Wilk, « Le journal d'un loup », Paris : Éd. Noir sur blanc, 1999
bibliographie des îles Solovki (en russe)

mise-à-jour : 21 janvier 2022
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