Venise
à double tour / Jean-Paul Kauffmann. - Ste
Marguerite-sur-Mer : Ed. des Equateurs, 2019. -
332 p. :
cartes ; 21 cm.
ISBN 978-2-84990-584-5
|
|
—
Vous citez volontiers le chevalier Yvain, héros du
poète
Chrétien de Troyes. “ Je cherche ce que je ne puis
trouver ” ; ce pourrait être
votre devise ?
—
Ah oui ! Mais je trouve aussi ce que je ne cherche pas. Ce
qu'on
appelle la sérendipité. C'est tout le processus
qui
conduit vers la vérité, vers le
dévoilement qui
m'intéresse. Car la vérité
elle-même est
souvent décevante.
☐ Béatrice Gurrey
et Jean-Paul Kauffmann
“ Ecrire est une manière d'exister sans
être vu ”,
entretien publié dans Le
Monde, 19-20 mai 2019 |
S'interroger
sur ce qui a pu inciter Jean-Paul Kauffmann à explorer
“ l'archipel des églises
fermées ” 1
de Venise appelle plusieurs réponses ;
l'auteur, au fil des pages, paraît en suggérer
certaines
qui se déploient sur un éventail largement
ouvert.
Quand
le découragement pourrait le pousser à abandonner
sa
quête, il lui est opportunément rappelé
“ à quel point ces églises qui
font
écho à [son] dressage catholique sont devenues
capitales ” 2 ; de
fait sans s'attarder à juger l'éducation
religieuse
parfois rude qui a contribué à sa formation,
Jean-Paul
Kauffmann tente d'élucider les mystères de la foi
et de
son engagement — urgent devoir qu'avive
l'éventualité de franchir un seuil
défendu :
“ Qu'y a-t-il derrière la porte
noire ? ” 3
En
d'autres circonstances, c'est la poursuite d'un
hypothétique souvenir qui guide
l'enquêteur :
“ comme à Santa Maria del Pianto, une
impression
presque gênante de déjà-vu ” 4.
Se
pourrait-il que lors d'une première visite il ait, sans
préméditation, franchi un de ces seuils
condamnés et entrevu un bref instant un chef
d'œuvre
oublié dans le silence, l'ombre et la
poussière ?
Plus
souvent il semble que la mauvaise volonté d'entremetteurs
autorisés (à l'image du Grand Vicaire)
agisse a contrario comme un puissant stimulant, non moins efficace que
la bienveillance d'intercesseurs compétents (à l'image du Cerf blanc).
Longtemps la balance entre l'influence des
uns et des autres fait frein ; mais quand le terme
du séjour s'approche des portes s'ouvrent
— révélations ou
déceptions ?
Le
soir pour dénouer les tensions de ces approches
contrariées, Jean-Paul Kauffmann arpente l'île de
la
Giudecca où il a élu domicile. Comme par hasard, les
sanctuaires délaissés n'y manquent pas ;
mais un
soir, passé un pont, une grille lui interdit
l'accès au Jardin
d'Eden — qui doit son nom
“ au paysagiste Frederick Eden qui l'a
dessinné à la fin du XIXe
siècle ” 5.
Enfin cette
lente et tortueuses
pérégrination aura donné à
Jean-Paul
Kauffmann l'occasion d'un retour enrichissant sur ses lectures
vénitiennes : Henry James et John Ruskin, Paul
Morand et Hugo
Pratt, la Bible et Robinson
Crusoe, Sartre
et Lacan, Italo Calvino, Mary McCarthy et Philippe Sollers, …
1. |
“ Venise à double
tour ”, p. 297 |
2. |
ibid. p. 130 |
3. |
ibid. p. 61 |
4. |
ibid. p. 321 |
5. |
ibid. p. 114 |
|
EXTRAIT |
Peu
de touristes s'arrêtent devant cette église
[chiesa delle
Terese] située dans la partie la plus paisible de Dorsoduro,
en
face d'un autre sanctuaire, San Nicolò dei Mendicoli. On ne
soupçonne même pas que derrière un mur
blanc se
cache un édifice religieux faisant partie autrefois d'un
immense
ensemble conventuel. Seule la porte de style baroque avec son arc
brisé et son mascaron est intrigante, elle
détonne avec
la nudité du lieu. Au-dessus du cintre, on peut apercevoir
une
fenêtre thermale murée reconnaissable à
ses deux
barres verticales. Ce qui surprend, c'est la blancheur
immaculée
de la maçonnerie. Elle est aveuglante lorsqu'elle
reçoit
le soleil. Roger de Montebello en a parfaitement saisi la
pureté
inaltérée. Il l'a
représentée dans une
sorte de rayonnement onirique, avec un tremblé pareil
à
une vibration qui confère à cette porte un
pouvoir
d'illumination, comme si à travers ce “ flou de
bougé ”, comme on l'appelle en
photographie, une
présence invisible allait tout à coup surgir sous
une
forme visible. Une apparition …
[…]
L'entrée fait entrevoir un territoire inconnu, un passage
étroit et silencieux. Peut-être cette porte dont
on ne
sait si elle est hermétique ou fissurée nous
fait-elle
pressentir d'autres sujets possibles. En tout cas, nous quittons le
monde profance, sur le point de basculer de l'autre
côté, retenu
pourtant par cette imminence stoppée net sur le seuil.
“
Et s'il n'y avait rien derrière la
porte ” se demande
Montebello.
[…] De toutes les églises
fermées que je connais, cet ancien sanctuaire
carmélite
est certainement le plus étranger.
Etranger
à aujourd'hui, au quartier. Il n'est articulé
à
rien. Indécelable. Absolument seul. Sans pour autant
apparaître abandonné. Au contraire, de
l'extérieur
son aspect lisse, minéral, semble le rendre indestructible.
☐ pp. 245-246 |
|
COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- «
Venise à double tour », Paris :
Gallimard (Folio, 6789), 2020
|
|
|
|
|
mise-à-jour : 8
juillet 2020 |
|
Chiesa delle Terese
façade sur le rio delle Terese |
|
|
|
|