PRÉSENTATION : Inattendue,
dérangeante, les qualificatifs ne manqueront pas. Mais une
fois la surprise et son impact digérés, la trame
et la frange essentielles de la légende du scolopendre de la
Mer sacrée resteront devant soi, devant nous. Une
légende du temps d'aujourd'hui ?
La
société dominante, cette vieille fée
édentée, ventriloque d'arrogance de voir les
Polynésiens si dépossédés
et désenchantés en restera sans voix.
Momentanément. N'étions-nous pas
désorientés, orphelins de notre histoire d'un
passé si récent et du présent, son
enfant immédiat ? C'était cela sa
délectation.
Car aucun
interprète îlien, aucun traducteur donnant du sens
aux évènements n'osait se lever pour prendre la
parole. Autochtones aphones. A moins de singer maladroitement les
historiens, oiseaux migrateurs au grand vol, persuadés de
régner en maîtres, définitivement. Ils
vivront cette défaite avec amertume, mais ils devraient se
taire — pour une fois — ces
merles cacophoniques de l'objectivité historique.
Il y a une joie
délicieuse qui régénère,
à se réconcilier avec une vision, celle de voir
à nouveau, autrement. Mais il y aura aussi du
désarroi, il faut en convenir. La convalescence sera
certainement lente. Et l'incrédulité aura ses
partisans, réticents et râleurs dans cette
période de confusion entretenue avec soin.
L'objectivité
historique triomphante, n'aurait donc pas terrassé le
prétendu imaginaire, source des
légendes ? Les légendes ne sont pas des
dragons en papier ! Aucune d'entre elles, d'ici ou d'ailleurs
n'a jamais été imaginée ou
inventée. Mais partout on s'était
résigné, contrarié et perplexe par
l'extinction du genre.
En cela, la légende
du scolopendre de la Mer sacrée nous apporte la preuve
contraire. Mais allons jusqu'aux confins du raisonnement. Elle redonne
en même temps, à l'approche des
légendes anciennes, une vigueur nouvelle. Car dans l'art de
l'interprétation du temps qui s'écoule devant nos
yeux, les trois moments sont inséparables : le
passé, le présent et le futur.
Il ne sera pas difficile pour
le lecteur attentif de Tahiti, de découvrir les
évènements qui ont défrayé
la chronique publique en 1992 et 1993 à Punaauia. Et qui
sont la surface ou l'écorce dernière avant la
légende. Il est vrai que son auteur-interprète
s'appuie surtout sur des faits qui n'ont pas
dépassé le cercle restreint des acteurs directs
ou de leurs proches. D'où, pour toute personne moins
avertie, une certaine lourdeur ou pesanteur due à ce souci
de précision ou d'exactitude.
L'histoire formelle
relève autant du genre légendaire que de la
chronique d'un clan. Il y a trois degrés de
lecture : les évènements
réels en-dessous, le sens direct caché au-dessus
et la référence immémoriale au sommet.
Il faut prendre plaisir à ne pas se perdre dans ces
entrelacs qui font partie de savoirs-penser oubliés. Un
plaisir, sans extase ni jouissance, mais avec cette certitude
délicate de se relier à cette vision qui doit
être nôtre.
Enfin un sourire
intérieur m'étreint en profondeur, à
cause de l'auteur-interprète et de sa
personnalité. Jean-Marc, mon plus vieil ami d'ici et de
Paris est tellement controversé qu'il ne lui manquait plus
que d'être l'auteur premier d'une légende du
présent. Trop pénétré de
son rôle public, il en oublie volontiers les normes les plus
élémentaires de l'écoute. L'image
qu'il renvoie est celle de l'intellectuel, blanchi à tous
les labyrinthes de la pensée occidentale, aux antipodes de
l'identité(s) polynésienne(s) et de ses
expressions.
Trompeuse apparence et
démonstration éclatante. Il n'y a ni
déchirement, ni divorce dans la multiplicité
réfléchissante de l'être. Et on
découvrira que Tera'ituatini a autant de rigueur que
Jean-Marc mais une sensibilité ignorée qu'il
s'évertuait à dissimuler avec brio, à
ses risques et périls. La balance est en
équilibre. Maintenant.
Le Veilleur ou, Aimeho i te
raravaru
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