Privé de
titre / Andrea Camilleri ; traduit de l'italien (Sicile) par
Dominique Vittoz. - Paris : Fayard, 2007. - 287 p. ;
22 cm.
ISBN 2-213-62686-4
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En
1921, alors que le fascisme prend son essor en Sicile comme dans le
reste de l'Italie, un jeune sympathisant est trouvé mort,
abattu d'une balle en pleine tête dans une ruelle de
Caltanissetta. Aussitôt, sans même attendre les conclusions
d'une enquête curieusement bâclée, le mouvement
célèbre la victime comme un martyr et désigne un
coupable — communiste évidemment.
En s'attachant à ce qui aurait pu n'être qu'un tragique
fait divers, le roman d'Andrea Camilleri éclaire sans
complaisance une trouble page d'histoire. Sous la plume du romancier,
les protagonistes sont invités à jouer et rejouer la
scène du crime, les témoins subissent interrogatoires et
contre-interrogatoires, les rapports de police sont confrontés
les uns aux autres, comme les articles de la presse locale ou les
errements d'une opinion publique malléable. À mesure que
progresse la mise en perspective romancée de l'enquête,
l'hypothèse d'une manipulation se précise ; les
doutes des amis de l'accusé croissent aussi vite que les
appétits de vengeance des partisans de la victime.
Si le romancier dénonce vertement la faiblesse d'un pouvoir
incapable de résister à la tentation d'imposer
« sa » vérité, il s'indigne plus
encore en déplorant les deux victimes de cet avilissement
— l'une accusée à tort d'assassinat et, quant
à l'autre : faux « martyr », donc « simple victime privée de titre » ?
Le soleil sicilien et l'emprise du milieu insulaire accentuent la
charge du propos. Camilleri pourtant ne renonce pas à porter un
regard ironique sur les évènements : la touche
finale de l'enquête revient à un
« témoin oculaire » … aveugle,
la veuve Callaré dotée d'une oreille aussi fine que son
jugement !
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TRADUIRE ANDREA CAMILLERI
: Camilleri utilise une langue bien particulière puisqu'il
mêle l'italien littéraire et le dialecte sicilien, ce qui
caractérise les personnages et leur classe sociale. Comment
traduire ce mélange ? Dominique Vittoz explique sa
façon de traduire : « Il fallait essayer de
reproduire ce croisement entre une langue sentie comme la norme
dominante, fixée et codifiée, élégante et
admirée et un parler non officiel, fortement expressif,
autorisé de sa seule tradition ». Elle aurait pu
choisir le parler ô combien imagé du Midi, celui de Pagnol
bien sûr, mais c'est le lyonnais qu'elle connaît bien que
Dominique Vittoz a choisi ; le lecteur se trouve ainsi face
à des mots et des tournures de phrase parfois difficiles
à comprendre […]. Le mieux, c'est de se laisser
imprégner par ces mots qui traduisent un univers particulier qui
peu à peu devient familier au lecteur.
☐ Ces lignes sont extraites d'une notice présentant Dominique
Vittoz et son activité de traductrice sur le site de
l'association Littera 05 (Gap).
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EXTRAIT |
Q — Veuillez décliner vos nom, prénom, date de naissance et profession.
R — Je dois faire quoi ?
Q — Avez-vous déjà été arrêté ?
R — Non. Et vous ?
[…]
Q — Vous n'étiez pas d'accord pour que Cumella emmène Grattuso à l'hôpital ?
R — Ç'aurait été que de moi, il pouvait
défunter là où on l'avait trouvé. Enfin,
quand la voiture a été partie, Cataldo, Pepè,
Savaturi et moi, on est restés un bout de temps dans la rue
à discuter le coup.
Q — Pourquoi ?
R — On voulait savoir ce qui était arrivé à
Michele. Pendant qu'on était là de collagne, deux hommes
en civil et armés sont arrivés du cours
Vittorio-Emanuele, ils ont dit « haut les mains »
et ils ont tiré un coup de pistolet. Nous autres alors on s'est
ensauvés.
Q — Mais ces deux hommes s'étaient présentés comme des agents de police !
R — Ben, j'y ai pas entendu. Et mes collègues, pas mieux.
Ils l'ont peut-être dit à voix basse qu'ils étaient
de la police.
Q — Et pourquoi, d'après vous, l'auraient-ils dit à voix basse ?
R — Rapport qu'ils étaient pas farauds, qu'ils avaient
honte, d'être de la police. C'est un métier ça
peut-être, d'être flic ?
Q — Épargnez-nous vos commentaires et continuez.
R — Nous, on les a pris pour des fascistes et comme eux
étaient armés, et pas nous, on a décanillé
vers Santa-Pitronilla.
Q — Vous n'avez pas répondu au tir ?
R — Ah ! ben vous, vous comprenez vite mais il faut vous
expliquer longtemps ! Je viens de vous y dire : on n'avait
pas d'armes !
Q — Continuez.
R — Comme je suis borgnicleux, j'étais à la
traîne et les deux particuliers allaient m'agrapper quand je me
suis souvenu des marionnettes.
Q — Expliquez-vous.
R — C'est pas l'embarras. Vous avez vu au théâtre de
marionnettes, dans la légende de Roland, une scène
où un preux fait semblant de s'ensauver poursuivi par un Maure,
puis tout à trac il s'arrête, se retourne et escoffie d'un
coup d'épée le Maure qui n'en peut mais. Eh bien, j'y ai
fait pareil. Quand ils me sont tombés dessus, je me suis
arrêté, et hop ! je me suis retourné, et j'ai
atousé un coup en pleine poire avec le chelu que je tenais
à la main, au premier qui s'est trouvé dessous. Et puis
pareil avec l'autre. Comme ça, j'ai pu me tirer d'affaire,
même si j'y ai perdu mon chelu.
☐
pp. 137-139 |
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
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Andrea Camilleri est un auteur prolifique : le catalogue de la Bibliothèque nationale de France compte sous son nom plus de 200 notices (ouvrages imprimés ou numériques) et le catalogue de la Biblioteca nazionale centrale di Roma
en compte près de 300. Ne sont donc mentionnés ici que les ouvrages
déjà présentés sur le site, ou qui le seront prochainement. | - « Privo di titolo », Palerme : Sellerio, 2005
- « Privé de titre », Paris : Librairie
générale française (Le Livre de poche, 31330), 2009
| - « La
forme de l'eau », Paris : Fleuve noir,
1998 ; Paris : Fleuve noir, 2000 ; Paris : Pocket, 2001
- « Chien de faïence », Paris : Fleuve
noir , 1999 ; Paris : Pocket, 2001
- « Un
mois avec Montalbano », Paris : Fleuve
noir , 1999 ; Paris : Pocket, 2013
- « L'opéra de Vigàta »,
Paris : Métailié, 1999, 2018 ; Paris : Seuil
(Points, 874), 2001 ; Paris : Points (Points, P874), 2006
- « Le
coup du cavalier », Paris : Métailié,
2000, 2006
- « Le voleur de goûter », Paris : Fleuve noir, 2000 ; Paris : Pocket, 2002
- « La
disparition de Judas », Paris : Métailié,
2002, 2005
- « Un
filet de fumée », Paris : Fayard,
2002 ; Paris : Librairie générale française (Le Livre de poche, 15511), 2003
- « La
peur de Montalbano », Paris : Fleuve noir,
2004 ; Paris : Pocket, 2008
- « La pension Eva », Paris : Métailié, 2007, 2018 ; Paris : Points (P2048), 2008
- « Petits récits au jour le jour », Paris : Fayard, 2008
- « Un été ardent », Paris : Fleuve noir, 2009 ; Paris : Pocket, 2010
- « Le ciel volé, Dossier Renoir », Paris : Fayard, 2010
- « Intermittence », Paris : Métailié, 2011 ; Paris : Points (P2923), 2012
- « La chasse au trésor », Paris : Fleuve noir, 2015 ; Paris : Pocket, 2016
- «
Noli me tangere - Ne me touche pas », Paris :
Métailié (Bibliothèque italienne), 2018
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mise-à-jour : 17 juillet 2019 |
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