Frankétienne

D'un pur silence inextinguible, premier mouvement des Métamorphoses de l'oiseau schizophone

Vents d'ailleurs

La Roque-d'Anthéron, 2004

bibliothèque insulaire

   
Haïti
parutions 2004
D'un pur silence inextinguible, premier mouvement des Métamorphoses de l'oiseau schizophone (spirale) / Franketienne ; préface de Rodney Saint-Eloi. - La Roque-d'Anthéron : Vents d'ailleurs, 2004. - 187 p. ; 22 cm.
ISBN 2-911412-29-X
A travers les détours de la langue j'ai dit oui à la vie.

p. 16

Nouvelle orchestration de L'Oiseau schizophone, les Métamorphoses qui se développent en huit mouvements s'ouvrent sur l'incarcération de l'écrivain Philémond Théophile, qu'une dictature absurde et sanguinaire a condamné à la solitude dans une chambre nue, sans nourriture : « Vous n'aurez plus rien que le livre. Votre livre. Vous finirez par le bouffer feuille à feuille. Vous serez contraint d'arracher les ailes et les plumes de votre oiseau maudit. Vous les sucerez. Vous les mâcherez. Vous les avalerez. Vous les vomirez ensuite avec les sécrétions de votre âmes subversive et perverse. Et finalement, vous en mourrez ».

À ce fil qui évoque l'inéluctable issue du conflit entre l'artiste libre et la tyrannie qui s'épanouit en Macarogne se tressent les bribes d'un récit arraché à la nuit, dans le silence des lampes vacillantes où l'angoisse le dispute dans une tension de chaque instant à l'attente de l'aube et, au-delà, de l'irruption de l'Étoilise annonciatrice d'un avenir réconcilié — entre la Mascarogne qui plonge dans un cloaque et le jaillissement de coudjaille féérique à Zilozanana, une brèche subsiste.

D'un pur silence inextinguible ouvre un dialogue entre ces deux versants du monde qu'arpente Frankétienne, irréductiblement déterminé à poursuivre sa marche jusqu'à la rédemption, quitte à progresser au rivage de l'échec, et au prix du doute : Vivre en marge … Comment vivre ?

Dans son errance, l'homme en quête du salut — Philémond Théophile ou Frankétienne ? qu'importe — dispose d'une arme à la mesure de son ambition : les mots tour à tour opaques ou lumineux, porteurs d'une charge d'évidence qui sans cesse met le lecteur à contribution ; mots restitués à leur fraîcheur originelle ; mots recomposés dans l'urgence pour dénoncer la folie ténébreuse et soutenir la marche du chasseur poursuivant à grand peine le sillage d'Étoilise vers Zilozanana.
EXTRAIT    M'éblouir de mes songes et m'évanouir de mes mensonges. Jouissance inépuisable de mes tempêtes sensuelles.
   En un concert d'étoiles fauves, la défenestration de mes rêves, une constellation d'hirondelles à la bouche et la vive turbulence de mes hauts cris d'alarme.

   Lorsqu'il sortit du mal phobidineux, ce fut pour replonger dans l'athanurielle vertigineuse de l'immortalité. Tout avait profondément changé. Le temps. Et les êtres. Il sentit qu'il lui fallait déboulevarder son champ visuel et sa vie en chavirant d'amour en brindezingue dans le fleuve des nouvelles dissidences. Bref, provoquer l'aventure. Celle de la liberté absolue. Aussi, il transfugua la somathyne, la psychomorphose et la spiriphonale à travers l'unité fabuleuse de la spirale, sans craindre les risques éventuels d'anéantissement et de rejet. Ni le suicide. Ni la folie sur le tranchant de l'âme.
   Il diffusa tous les secrets accumulés tout au cours de sa longue expérience et dispersa généreusement les vertes semences de l'immortalité.
   Il pénétrait ainsi dans la mouvance infinie de l'univers, la conscience inondée de lumière éonique. Démarche transcendantale. La sublime solitude jusqu'au bout de la quête. Désert exorcisé à la clarté du sable. Aux éclairs des paroles la fulgurance des lèvres aux noces des ouragans et des cyclones aveugles.

   Expulser les scories, le fatras des mirages. Rien que de la dégoûtance et de la rancitude quand vocifèrent les fossoyeurs des nuits païennes. Réminiscences lugubres aux toupies de l'angoisse.
  Du pilon au mortier la brutale immixtion, la dure intransparence des mains à l'aplomb des terreurs.
   Amours nouées de crêpes blancs. Blessures et plaies sous des onguents. Mais l'appétit d'aimer soutient le rêve au cœur de ce pays malade, l'or des échos et des ornières tout le long du voyage.

   S'introduire d'un regard sous les aisselles de l'arche. Usurper les trésors des arcs provisoires, les menstrues nourricières de la lampe ténébreuse. Un océan de sang.
   Le malheur s'accentue d'un archipel de plaies. Havre intérieur aux épieux des brûlures, le pourrissement des eaux déguenillées, paupières rugueuses de cicatrices, hâves mamelles suspendues à l'isthme des douleurs.
   Reposoir illusoire. Mon île hallucinée d'images excrémentielles. Mes visuelles pourritures. Je me détourne enfin de l'or bleu des ordures.
   Supplication muette. Tête-à-tête sous la lune plantureuse, le psoriasis des nuages. La différence variait en un jeu de tensions, la faïence de l'orgueil, la vaillance dans le deuil.

pp. 182-183
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « D'un pur silence inextinguible, premier mouvement des Métamorphoses de l'oiseau schizophone », Port-au-Prince : Spirale, 1996
  • « D'un pur silence inextinguible (extrait) », in Le Serpent à plumes pour Haïti, Paris : Le Serpent à plumes, 2010 (pp. 63-68)
  • « D'une bouche ovale, deuxième mouvement des Métamorphoses de l'oiseau schizophone », Port-au-Prince : Spirale, 1996 ; La Roque-d'Anthéron : Vents d'ailleurs, 2006
  • « La méduse orpheline, troisième mouvement des Métamorphoses de l'oiseau schizophone », Port-au-Prince : Spirale, 1996 ; La Roque-d'Anthéron : Vents d'ailleurs, 2006
  • « La nocturne connivence des corps inverses, quatrième mouvement des Métamorphoses de l'oiseau schizophone », Port-au-Prince : Spirale, 1996 ; La Roque-d'Anthéron : Vents d'ailleurs, 2006
  • « Une étrange cathédrale dans la graisse des ténèbres, cinquième mouvement des Métamorphoses de l'oiseau schizophone », Port-au-Prince : Spirale, 1996 ; La Roque-d'Anthéron : Vents d'ailleurs, 2011
  • « Clavier de sel et d'ombre, sixième mouvement des Métamorphoses de l'oiseau schizophone », Port-au-Prince : Spirale, 1997 ; La Roque-d'Anthéron : Vents d'ailleurs, 2011
  • « Les échos de l'abîme, septième mouvement des Métamorphoses de l'oiseau schizophone », Port-au-Prince : Spirale, 1997 ; La Roque-d'Anthéron : Vents d'ailleurs, 2013
  • « Et la voyance explose, huitième mouvement des Métamorphoses de l'oiseau schizophone », Port-au-Prince : Spirale, 1997 ; La Roque-d'Anthéron : Vents d'ailleurs, 2013
  • « Dézafi », Port-au-Prince : Ed. Fardin, 1975 ; Châteauneuf-le-Rouge : Vents d'ailleurs, 2002
  • « Pèlen tèt », Port-au-Prince : Éd. du Soleil, 1978
  • « Les affres d'un défi » (trad. française de Dézafi), Port-au-Prince : Ed. Henri Deschamps, 1979 ; Paris : Jean-Michel Place, 2000 ; La Roque-d'Anthéron : Vents d'ailleurs, 2010 
  • « Haïti chaos, Haïti Babel ... » in : Bernard Magnier (éd.), A peine plus qu'un cyclone aux Antilles, Cognac : Le Temps qu'il fait, 1998
  • « Mûr à crever », Bordeaux : Ana Éd., 2004 ; Paris : Hoëbeke, 2013 ; transl. as « Ready to burst », Brooklyn : Archipelago books, 2014
  • « Ultravocal », Paris : Hoëbeke, 2004
  • « Anthologie secrète » préface et photographies de Rodney Saint-Eloi, Montréal : Mémoire d'encrier, 2005
  • « Ma ville est dans mon ventre », in Une journée haïtienne, textes réunis et présentés par Thomas C. Spear, Montréal : Mémoire d'encrier ; Paris : Présence africaine, 2007
  • « Melovivi, ou Le piège (suivi de) Brèche ardente », Paris : Riveneuve, 2010
  • avec Claude Dambreville, « L'Amérique saigne », Port-au-Prince : Imprimeur II, 1995
  • Philippe Bernard, « Rêve et littérature romanesque en Haïti : de Jacques Roumain au mouvement spiraliste », Paris : L'Harmattan, 2004
  • Dominique Chancé, « Astres et désastres dans L'oiseau schizophone de Frankétienne », Ponti-Ponts, n° 4, 2004
  • Dominique Chancé, « Écritures du chaos : lectures des œuvres de Frankétienne, Reinaldo Arenas, Joël Des Rosiers », Saint-Denis : Presses universitaires de Vincennes, 2008
  • Rachel Douglas, « Frankétienne and rewriting : a work in progress », Lanham (Maryland) : Lexington books, 2009
  • Jean Jonassaint (dir.), « Frankétienne, écrivain haïtien », Montréal : Dérives (Dérives, 53-54) ; Paris : Réplique diffusion, 1987
  • Jean Jonassaint (éd.), « Typo/Topo/Poéthique : sur Frankétienne », Paris : L'Harmattan, 2008
Sur le site « île en île » : dossier Frankétienne

mise-à-jour : 7 juillet 2021
Frankétienne a reçu le Grand Prix du Livre Insulaire - Prix des Îles du Ponant (Ouessant 2005) pour son « Anthologie secrète » (Montréal, 2005) et, plus généralement, pour l'ensemble de son œuvre ; il est, en 2006, l'un des lauréats de la Fondation du prince Claus (Pays-Bas) et a été nommé, le 24 mars 2010, Artiste de l'UNESCO pour la paix ; il a reçu en 2021 le Grand Prix de la Francophonie décerné par l'Académie française.
Conversation entre Frankétienne et Philippe Bernard, à la suite du tremblement de terre du 12 janvier 2010
« Frankétienne se met à nu » : propos recueillis par Samanda Leroy et Lord Edwin Byron
Le Nouvelliste (Port-au-Prince) • 19 février 2013

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