Indian tango / Ananda Devi. -
Paris : Gallimard, 2007. - 195 p. ;
21 cm. - (Collection blanche).
ISBN
978-2-07-078525-4
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Ananda Devi a
présidé le jury du 3e Prix du Livre Insulaire
d'Ouessant. |
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… et
notre danse à deux dans les rues de Delhi, moi suivant, elle
suivie, me fait penser à deux animaux de la savane,
condamnés à suivre leur instinct.
p. 81 |
Insérée
au cœur du roman, l'histoire du moine bouddhiste Ananda
illustre
le rêve pleinement accompli d'une fusion entre l'artiste et
l'objet de sa passion — au prix de la mort. Autour
ce cette
inclusion révélatrice, l'auteur tresse un
dialogue
à deux voix dans l'Inde contemporaine : le rappel
insistant
de la campagne électorale au terme de laquelle Sonia Gandhi,
l'étrangère,
renonça à diriger le
pays souligne cet ancrage dans le temps, autant que la datation des
chapitres, avril
2004 ou mai 2004, dont
l'alternance scande le partage des voix.
Ainsi
s'organise un subtile jeu de miroir et de séduction entre
deux
silhouettes qui se cherchent et peinent à
se trouver ;
le monologue de l'une, masquée, exprime angoisse et
révolte ; l'autre, Subhadra, apparaît
engluée
dans son quotidien. Aucune ne sort indemne d'une rencontre sans
lendemain, mais la
transgression assumée fraye de nouveaux chemins. Quand
s'achève le récit, Subhadra
« poursuit sa
route. Lente, fluide, ailée ».
Pour
mettre en scène cet ardent pas de deux
— dans un
roman où l'engagement personnel est
souligné —, Ananda Devi a choisi de
s'éloigner
de son île natale. Le voyage vers l'Inde lui permet
d'interroger
une part de son héritage culturel, mais la tentative
éclaire douloureusement la force agissante de
frontières
d'autant plus insidieuses qu'elles tranchent au plus intime de chacun.
C'est pourtant la juste mesure de l'écrasement trop
prévisible qui peut soutenir un ultime espoir :
« Brise nos habitudes, Sonia, murmure-t-elle.
Apprends-nous
à nous désapprendre ».
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EXTRAIT |
Au Xe
siècle, en Inde, il y avait un moine bouddhiste
appelé
Ananda, qui appartenait à un ordre pratiquant une
ascèse
extrême. Pendant une de ces périodes
d'austérité, après de longs jours de
jeûne,
il avait aperçu par une fenêtre du
monastère une
très belle femme d'un village voisin, dont il
était
tombé amoureux avec la finalité de celui auquel
l'amour
est interdit. Le visage et l'image de cette femme s'étaient
si
profondément inscrits en lui qu'il s'était mis
à
la peindre et à la sculpter sans arrêt, oubliant
de prier,
oubliant tous les rituels et les devoirs et provoquant la
colère
des supérieurs de son ordre. Malgré les punitions
infligées, il avait persisté à la
dessiner et
à la représenter sous toutes les formes, les unes
plus
suggestives que les autres. Comme il perturbait les autres moines par
ses visions, on l'avait emmuré dans une caverne sous les
montagnes voisines pour l'y laisser mourir. Au fil des
années,
on l'y avait oublié.
Neuf siècles
plus tard, un soldat anglais avait découvert la caverne par
accident. Ôtant les pierres qui en bouchaient
l'entrée, il
avait vu sur tous les murs, au plafond et au sol, dans les recoins les
plus inaccessibles, sur les aspérités et dans les
anfractuosités, dans l'ombre rougeâtre et sur les
hémisphères mobiles, des formes
érotiques
sculptées à même la pierre, toutes
représentant la même femme. Parfois seule, parfois
avec le
moine, unis dans des postures impossibles. Le moine avait reproduit
dans le noir les corps imaginés, innombrables de la femme
interdite. Il l'avait rêvée, caressée,
accouchée de la pierre. Lorsque ses outils de fortune
s'étaient brisés, il avait continué
à la
sculpter avec ses ongles et ses doigts et ses dents et son corps, il
s'y était frotté jusqu'à l'usure,
jusqu'à
ce qu'il y laisse ses fragments et ses os, jusqu'à ce qu'il
ne
reste plus rien de son corps qui ne soit tout entier
incrusté
dans ses sculptures. Il avait réussi à la
posséder, même si c'était dans un
univers de
pierre. Il avait franchi l'espace qui le séparait du
rêve.
Il avait recréé la réalité
selon ses
désirs. Il avait réalisé ce miracle
dont
rêvent tous les artistes ; mais il fallait, pour
cela,
être enterré vivant.
À la
lumière, les colorations minérales de la pierre
transformaient les sculptures en fresques peintes : une
splendeur
dansante, colorée, joyeuse, jouissive : tel
était le
tombeau d'Ananda.
☐ pp. 125-127
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « La fin des pierres et des âges »,
Rose Hill (Maurice) : Éd. de l'Océan
Indien, 1992
- « Le voile de Draupadi »,
Paris : L'Harmattan, 1993
- « Moi, l'interdite »,
Paris : Dapper, 2000
- « Pagli »,
Paris : Gallimard (Continent noir), 2001
- « Soupir »,
Paris : Gallimard (Continent noir), 2002
- « La vie de Joséphin
le fou », Paris : Gallimard
(Continent noir), 2003
- « Le long désir »,
Paris : Gallimard (Continent noir), 2003
- « Eve de ses décombres »,
Paris : Gallimard (Collection blanche), 2006
- « L'ambassadeur triste »,
Paris : Gallimard, 2015
- «
Chiens
noirs » ill. de Jean-Marc Lacaze, Le
Tampon, Antananarivo : Dodo vole, 2017
|
- « Trois
notes », in Jean-Luc Raharimanana
(éd.), Identités,
langues et imaginaires dans l'océan Indien,
Interculturel Francophonies, n° 4,
nov.-déc. 2003 (pp. 81-84)
- « État
de rage », in Nul n'est une
île : Solidarité Haïti
collectif sous la dir. de Rodney Saint-Éloi et Stanley
Péan, Montréal : Mémoire
d'encrier, 2004 (pp. 55-61)
- « Le
Val du retour », in Terra Kerguelensis Incognita
collectif illustré par
Catherine Bayle, Matoury (Guyane) : Ibis rouge, 2005
(pp. 33-39)
- « Bleu glace », in Nouvelles de l'île
Maurice présentées par
Pierre Astier, Paris : Magellan & Cie (Miniatures),
2007
- « Les prisonniers », in Escales en mer indienne, Paris : Riveneuve (Riveneuve continents, 10), 2009
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mise-à-jour : 13 janvier 2020 |
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