Walter Benjamin : une
vie dans les textes / Bruno Tackels. - Arles : Actes sud,
2009. - 839 p. ; 24 cm.
ISBN
978-2-7427-8224-6
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NOTE
DE L'ÉDITEUR : Walter
Benjamin, philosophe, auteur notamment des Passages, des Chroniques berlinoises,
a passé sa vie à tenter de comprendre le monde en
lisant.
Il lisait tout, aussi bien les contes pour enfants que les textes de
théâtre ou les écrits des philosophes.
Il
s'intéressait à tout : au devenir de
l'image,
à la technologie, à la poésie (il fut
un grand
spécialiste de Baudelaire), mais aussi à la
littérature (il fut le premier introducteur et traducteur de
Kafka en France et, quand il fit sa première
conférence
sur lui à Paris, il y avait cinq personnes dans la
salle …).
Son
œuvre est considérable dans
bien des domaines, et fragmentaire. Son existence aussi est fascinante.
Mais comme lui-même ne pensait pas que la vie de chacun, en
tout
cas la sienne, était intéressante, il fallait,
pour ne
pas le trahir, la raconter en partant de ses textes, et les expliquer
par les circonstances de la vie.
La
méthode de Bruno Tackels
s'avère passionnante, car Benjamin eut une vie amoureuse et
amicale ô combien fournie et aventureuse. On pourrait
même
le qualifier d'aventurier. Ami de Brecht et de Scholem, cousin d'Hannah
Arendt, issu d'une famille bourgeoise, Benjamin rompt très
jeune
avec son milieu familial et, dans les cercles intellectuels de Berlin,
veut opposer sa vision du monde à la
déliquescence de
Weimar puis à la montée du nazisme. On
connaît
hélas le sort des intellectuels antifascistes :
réduit à s'enfuir d'Allemagne, Benjamin ira se
réfugier à Paris, cette ville qu'il aimait tant
et sur
laquelle il a tant écrit, puis, progressivement, se
précarisera.
Bruno
Tackels raconte la lente dérive de
cet immense intellectuel qui ne peut vivre sans sa
bibliothèque,
et sa transformation inéluctable en clochard
céleste. Au
moment de l'invasion allemande, Benjamin, après avoir
été interné dans un camp de transit,
retrouve ses
amis exilés à Marseille. C'est là
qu’il
décide de s'enfuir par la frontière espagnole,
là
qu'il décide de se suicider.
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Walter Benjamin aimait les villes
— Berlin, Paris.
Impressions, sensations et expériences y étaient
accordées à ses goûts et n'ont jamais
cessé
de nourrir sa réflexion.
Bruno
Tackels relève que parallèlement à
cette
inclination majeure, Benjamin a régulièrement
répondu à l'appel
des îles — appel du voyage vers les
îles autant
qu'appel du séjour insulaire. Au fil de ces errances, trois
escales retiennent l'attention : Capri, Ibiza et
Thurø.
À
Capri, en 1924, il fait une rencontre déterminante, celle
d'Asja
Lacis dont il s'éprend et avec qui il approfondit sa
réflexion sur le théâtre d'une part,
sur la
pensée marxiste d'autre part.
À Ibiza,
en 1932 puis en 1933, ni son goût pour la solitude, ni
l'ardente
nécessité du travail, ne le détournent
de
rencontres singulières : Jean Selz avec qui il
expérimente les effets de l'opium, ou Paul-René Gauguin,
le petit-fils du peintre ; c'est là
également qu'il ébauche Le narrateur
(repris dans les Écrits
français).
À Thurø,
petite île au sud de la Fionie (Danemark) où il
séjourne à plusieurs reprises, il poursuit un
dialogue
souvent heurté avec son ami Bertolt Brecht sans
délaisser
son œuvre : le projet d'essai sur Baudelaire entre
autres.
L'emprise
insulaire sur la vie et l'œuvre de Walter Benjamin se
révèle encore dans le choc qu'il
éprouve à
la lecture de « L'éternité
par les astres » écrit par
Auguste Blanqui durant sa captivité au Château du
Taureau, une prison
sinistre et cauchemardesque construite en pleine mer
(p. 530) : « La vision du monde
que Blanqui
esquisse là (…) est de fait une vision infernale,
mais
elle est en même temps (…) le
complément de l'ordre
social qu'au soir de sa vie Blanqui dut reconnaître comme son
vainqueur » (extrait de la Correspondance,
cité
p. 530).
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EXTRAITS |
[Le]
voyage à Capri fut capital pour de tout autres raisons que
l'étude ou la politique. Sans vraiment
développer, c'est
à [son ami Gershom] Scholem qu'il confie (…) la
clé de ce qui se joue pour lui à Capri, et qu'il
nomme
laconiquement « les
événements ».
Mais à le lire de près, on comprend que ceux-ci
sont
essentiels, puisqu'il les vit comme une
« libération
vitale ». Ces événements sont
en fait de deux
ordres, étroitement mêlés, à
la fois
amoureux et politiques. Benjamin explique avoir porté
« une intense attention à
l'actualité d'un
communisme radical ». Et deux lignes plus bas il
donne la
version décryptée :
« J'ai fait la
connaissance d'une révolutionnaire russe de Riga, l'une des
femmes les plus exceptionnelles que j'aie
rencontrées ». Et il faut le prendre au
sérieux quand il parle d'exception. Benjamin n'a finalement
jamais pu aimer qu'en état d'exception. Et il n'a pu aimer
que
ceux qui lui renvoient, sans cesse, cette figure de l'exception. De ce
point de vue, Asja Lacis apparaît comme une figure
exemplaire.
Femme émancipée, artiste engagée,
bolchevique
intègre — ce qui lui vaudra de passer dix
ans dans
les camps de Staline, en Sibérie —,
autant de
caractéristiques qui ne pouvaient que fasciner Benjamin, lui
qui
n'avait jamais su approcher la politique qu'en s'en retirant. Son exact
opposé.
☐ Ch. VI
— 1924,
Capri, p. 179
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Les
difficultés grandissantes que Benjamin rencontre pour se
fixer
sur un point du globe expliquent largement cette pulsion voyageuse qui
s'empare de lui chaque année davantage. Plus
étonnant et
moins remarqué, cet appel constant pour les îles,
le
large, l'isolement sans concession, loin de l'agitation lourde du
continent. Il y a eu Capri, lieu d'amour pour lui décisif,
les
voyages en bateau dans le Grand Nord, et bientôt l'exil au
Danemark avec Brecht, mais, avant même d'y être
politiquement contraint, Benjamin est visiblement attiré par
les
forces de l'insularité. Comme si l'exil volontaire
était
une façon d'anticiper les terribles
événements qui
allaient le contraindre à quitter son pays pour toujours. En
l'espace d'un an, il fera deux longs séjours à
Ibiza,
à une époque où le tourisme n'y
faisait pas encore
rage, mais où déjà une importante
communauté allemande séjournait.
☐ Ch. XIV
— 1932,
premier séjour à Ibiza,
p. 371
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Le
21 juin 1938, Benjamin part à nouveau pour
« Skovbostrand près de
Svendborg », sur
cette côte austère du Danemark, qui n'a pour lui
d'intérêt que parce que son ami Brecht en exil y
séjourne, et qu'il y a mis à l'abri une bonne
partie de
sa bibliothèque. Tout à côté
de la maison
que Brecht habite avec Hélène Weigel et leur deux
enfants, Benjamin, en bon ours qui se respecte, hiberne dans une grande
mansarde isolée, entre mer et forêt. Un retrait
silencieux
qui ne lui interdit pas, de façon intermittente, les repas
en
famille (…), la radio, et surtout les rituelles parties
d'échecs qui ont cet immense avantage d'éviter de
parler
quand cela n'est plus vraiment nécessaire, ou pas du tout
judicieux … Pendant toute la durée de
son
troisième séjour danois, Benjamin est en train de
travailler à son
« Baudelaire ».
(…) Evoquant dans une lettre à Kitty
Steinschneider
(…) les conditions de « claustration
religieuse » dans lesquelles se passe son
séjour
à Svendborg, il précise clairement les
choses :
« si grande que soit mon amitié pour
Brecht, je dois
veiller à poursuivre mon travail dans un isolement
rigoureux. Ce
travail comporte des aspects tout à fait
déterminés qu'il ne peut
assimiler ».
☐ Ch. XXI
— Les
années Baudelaire, p. 562
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Walter
Benjamin : une vie dans les textes »,
Arles : Actes sud (Babel,
1168), 2013
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- Walter
Benjamin, « Écrits
autobiographiques », Paris :
Christian Bourgois (Choix-essais), 1994
- Walter
Benjamin, « Écrits
français », Paris :
Gallimard (Folio essais, 418), 2003
- Walter
Benjamin, « Rastelli
raconte ... et autres récits »,
Paris : Seuil (Points, P13), 1995
- Walter
Benjamin, « Récits d'Ibiza, et autres
récits » trad. et introd. de Pierre
Bayart,
Paris : Riveneuve, 2011
- Walter
Benjamin et Gretel [Karplus] Adorno, « Correspondance
», Paris : Gallimard (Le Promeneur), 2007
|
- Miguel
Abensour, « L'utopie
de Thomas More à Walter Benjamin »,
Paris : Sens & Tonka, 2000
- Asja
Lacis, « Profession,
révolutionnaire : sur le
théâtre prolétarien, Meyerhold, Brecht,
Benjamin,
Piscator », Grenoble : Presses
universitaires de
Grenoble, 1989
- Jean Selz,
« Viaje a
las islas Pitiusas = Voyage aux îles Pythiuses »
introd. Vicente Valero, Sant Josep (Ibiza) : T.E.H.P., 2004
- Vicente
Valero, « Expérience
et pauvreté : Walter Benjamin à Ibiza
(1932-1933) », Rodez : Le
Rouergue / Chambon, 2003
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mise-à-jour : 2 juillet 2020 |
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