NOTE DE L'ÉDITEUR : A la fin des années 30, à Génipa, au sud de la Martinique, Pierre-Marie de La Vigerie se retrouve à la tête de la grande distillerie de Rivière-Salée, la cathédrale du rhum. La succession de son père, un maître respecté de tous les ouvriers, s'annonce difficile.

Pierre-Marie sera-t-il un grand régisseur ? Sans doute, s'il ne sacrifie pas son amour de la « grappe » au démon de la rentabilité.

Le jeune béké sait aussi que sa légitimité repose sur un mystère que son père lui a toujours caché : celui de sa naissance. Une énigme dont tous, autour de lui, connaissent la clé. Car, comme dit Florius, l'homme à tout faire de l'usine, « chacun sait que les La Vigerie, c'est pas des Blancs-Blancs, c'est des kalazaza, oui ».

Le rhum, tel que le raconte Raphaël Confiant, n'est pas fait que de canne. Il est aussi l'âme des hommes et des femmes de la Martinique : Chabin Rouillé, le « freineur de locomotive » ; Simon « le Terrible », l'intraitable propriétaire terrien ; Mamzelle Doriane, la « mâle-femme » de la plantation ; et puis Laetitia, l'aimée, à la « peau de velours sombre ».

A l'heure du syndicalisme colonial, tandis que parviennent les premières rumeurs de guerre en Europe, tous se battent pour rester fiers du nectar qui justifie leur existence. Nègres, békés, coulis, mulâtres, coupeurs et amarreuses, ouvriers et contremaîtres : ils sont les héros d'une fresque foisonnante commencée par Raphaël Confiant avec Commandeur du sucre.

EXTRAIT

Vers minuit, un vrombissement étrange s'éleva des flots, à quelques encablures de la falaise. Un bruit modulé qui tantôt rappelait celui d'une chaudière d'usine, tantôt la plainte étouffée d'une grappe d'enfants abandonnés. Puis, le chanter s'amplifia — car tout cela avait des allures de plain-chant — et je vis le dos gris argenté d'une baleine surgir de la surface des eaux. Aussitôt, une autre fit un bond magnifique de côté avant de replonger dans une gerbe d'écume qui ressemblait à des éclats de lune. J'étais stupéfait de tant de belleté. Quatre, cinq baleines se mirent à parader à trente pieds en dessous de nous, multipliant bramements, barrissements, roucoulements et complaintes. Nous demeurâmes sous le charme de ce spectacle insolite jusqu'à ce que l'horizon se mette à pâlir à l'est, annonçant un jour neuf. ☐ pp. 52-53