Tintoret
sous le regard de John Ruskin : anthologie vénitienne /
textes réunis et présentés avec une introduction
critique par Emma Sdegno ; traduction d'André
Hélard. - Venezia : Marsilio, Rennes : Presses
universitaires de Rennes, 2018. - 175 p. : ill. ;
24 cm. - (Scuola grande di San Rocco : Studi e ricerche). ISBN 978-88-317-4348-8
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NOTE DE L'ÉDITEUR :
Certaines dates constituent un tournant dans la vie et l'œuvre
d'un écrivain. Pour Ruskin, le 23 septembre 1845, est l'une de
ces dates. Dans la lettre qu'il adresse ce jour-là de Venise
à son père, il se déclare
“ submergé ” par la puissance de Tintoret,
et proclame qu'il se sent appelé à sauver non seulement
ses peintures mais aussi la cité elle-même. Sa rencontre
avec Tintoret tient une place centrale dans son esthétique, et
va inspirer certaines des plus belles pages de ses œuvres
majeures, Modern Painters et Les Pierres de Venise.
Les
textes publiés ici sont rassemblés pour la
première fois, sous une forme organisée et facile
à consulter, que Ruskin lui-même avait imaginée
pour les voyageurs anglais du XIXe siècle en visite à
Venise, avec son Index vénitien.
Il conduit le lecteur devant les peintures de Tintoret dans dix-neuf
églises de Venise, et tout particulièrement à la
Scuola di San Rocco qu'il met sur le même plan que la Chapelle
Sixtine et qui est l'objet d'un traitement aussi étendu
qu'approfondi. Dans ce guide, méconnu par la critique
ruskinienne, Ruskin appréhende l'œuvre de Tintoret comme
une totalité, tout en offrant un examen minutieux de chaque
peinture.
Profondément ruskinien par sa recherche d'un
langage propre à l'iconographie du sacré et par sa
quête des origines de la peinture de paysage, ce guide des
peintures de Tintoret propose des interprétations que les
historiens d'art trouveront stimulantes, mais il éclairera aussi
les lecteurs qui, sans être des spécialistes, souhaitent
découvrir un grand peintre à travers la
sensibilité du critique qui l'a fait connaître à
l'Angleterre.
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PIERRE CAMPION : […]Professeur
à l'université Ca'Foscari de Venise et spécialiste
de Ruskin, Emma Sdegno donne ici beaucoup plus qu'une introduction aux
notices de Ruskin sur Tintoret : un véritable essai, une
brève synthèse en apparence aisée et en fait
très travaillée, un texte qui ordonne non seulement la
pensée dispersée de Ruskin sur Tintoret mais toute son
esthétique.Emma Sdegno procède par illustrations,
par images donc de tableaux de Tintoret et de croquis ou dessins de
Ruskin et, plus inattendues, par reproductions d'études des
Tintoret réalisées vers 1880 par un jeune peintre
italien, Angelo Alessandri. À la fin de l'essai, ces
références apparemment anachroniques dévoilent
leur nécessité : car, sur le tard, Ruskin commanda
à plusieurs peintres qu'il connaissait en Italie et en
Angleterre des copies et études d'œuvres, études
suggérées par lui dans le détail et
destinées principalement à sauver des tableaux de la
ruine qui les menaçait à l'époque, à
éduquer les masses, mais aussi, de fait, à faire
prolonger, dans l'ordre même de la peinture, ses propres visions
des œuvres et singulièrement de celles de Tintoret.Dans
cet essai, il y a donc un récit, celui de la rencontre entre
Ruskin et les Tintoret de Venise, rencontre dramatique et en plusieurs
épisodes, au gré notamment du voyage de 1845 en Italie,
quand Ruskin se laisse littéralement surprendre par les Tintoret
de Venise et s'abandonne à la rencontre. Récit encore
quand il est question des rapports de Ruskin avec Turner. Récit
toujours quand, rejoignant un autre critique d'art, Emma Sdegno met en
rapport la désaffection finale de Ruskin à l'égard
de Tintoret et les épisodes sentimentaux et mentaux au finale de
sa biographie. Une vie donc de Ruskin, adonnée à l'art.Mais, inséparablement, elle résume les notions d'une esthétique […].→ Compte rendu du livre d'Emma Sdegno et André Hélard, Tintoret sous le regard de John Ruskin [en ligne]
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EXTRAIT |
“ UN PEINTRE VENU D'UNE AUTRE PLANÈTE ” : TINTORET ET LA SCUOLA GRANDE DI SAN ROCCO Emma Sdegno
[C'est]
le 23
septembre [1845] au soir [que Ruskin] parle à son père de
sa
première visite à la Scuola Grande di San Rocco :
“ Aujourd'hui j'ai été totalement
submergé par l'émotion devant un homme dont je n'avais
jamais rêvé qu'il ait pu exister — le Tintoret.
Je l'avais toujours considéré comme un bon peintre,
habile et vigoureux, mais je n'avais pas la moindre idée de son
énorme puissance ”. […] Dans une autre lettre,
écrite à son ami le peintre Joseph Severn, juste
après sa visite de San Rocco, c'est avec passion qu'il parle
[…] de “ l'énorme puissance ” de
Tintoret, qui rejette les peintres modernes dans une quasi
insignifiance :
Je
suis resté absolument accablé ces deux ou trois derniers
jours par ma découverte de Tintoret ; mais j'ai depuis la
sensation d'avoir rencontré un peintre venu d'une planète
située à des millions de miles, et non un peintre
terrestre ordinaire.
[…]
En 1853, sept ans après la visite de Ruskin à San Rocco, paraît le troisième et dernier volume des Pierres de Venise. A
la fin de ce volume se trouvent dix appendices, suivis de quatre index
— un index des personnes, un index des lieux, un index
thématique, et pour finir un index vénitien. La position
apparement marginale de cet Index vénitien et sa relation subalterne avec les Pierres, a
contribué à ce qu'il soit généralement
négligé […]. Ce qui est paradoxal, si l'on
considère que l'Index vénitien est
un ensemble autonome, avec toutes les caractéristiques que
Ruskin exigeait d'un guide, à savoir qu'il soit
“ aussi utile que possible au voyageur, en lui indiquant
seulement les œuvres dignes de son attention ”. Se
présentant sous la forme d'une liste alphabétique des
édifices importants de Venise, mais en privilégiant les
œuvres de Tintoret, l'Index vénitien peut
presque être considéré comme un “ guide
Tintoret ”, impression que Ruskin encourage en soulignant
qu'il a “ donné des notices assez copieuses sur les
peintures de Tintoret, parce qu'elles sont très
abîmées, difficiles à lire, et totalement
négligées par les autres historiens de l'art ”.
[…]
La
lecture de chaque peinture révèle la profondeur de
l'intérêt de Ruskin pour Tintoret, dans son usage
expressif du clair-obscur, dans son utilisation créative de
l'obscurité ambiante, et dans la grossièreté de
l'exécution en tant que parti-pris stylistique, mais aussi
parfois comme signe d'épuisement. Il étudie la
façon dont Tintoret utilise certains espaces mal
éclairés de l'édifice, notant comment les
peintures sont alors complétées par l'obscurité
dans laquelle elles sont placées, car “ elles ne sont
pour la plupart que de vastes esquisses, conçues pour produire,
dans un certain degré d'ombre l'effet d'une peinture
achevée ”. Et il affirme […] que
l'obscurité peut être un élément du
génie d'un artiste imaginatif, qui, peignant une scène
avec la rapidité même avec laquelle sa vision lui est
apparue, laisse à l'obscurité le soin de la
compléter.
[…]
☐ pp. 26-27, 38-40 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Tintoretto secondo John Ruskin :
un'antologia veneziana » a cura di Emma Sdegno,
Venezia : Marsilio, 2018
- « Looking
at Tintoretto with John Ruskin : a Venetian anthology »
ed. by Emma Sdegno, Venezia : Marsilio, 2018
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- John Ruskin, « The stones of Venice (I) The foundations », London : Smith, Elder, 1851 ; New York : J. Wiley, 1851
- John Ruskin, « The stones of Venice (II) The sea stories », London : Smith, Elder, 1853 ; New York : J. Wiley, 1853
- John Ruskin, « The stones of Venice (III) The fall », London : Smith, Elder, 1853 ; New York : J. Wiley, 1853
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- John Ruskin, « Les pierres de Venise »
trad. de Mathilde Crémieux, présentation, introduction et
notes de Jean-Claude Garcia, préface de Frédéric
Edelman, Paris : Hermann (Savoir), 1983, 2005
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- John Ruskin, « Modern painters » 5 vol., London : Smith, Elder, and Co., 1843-1860
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mise-à-jour : 16 septembre 2020 |
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