Récit de
lune / Guo Songfen ; traduit du chinois (Taïwan) par
Marie
Laureillard. - Paris : Zulma, 2007. -
142 p. ;
15 cm.
ISBN
978-2-84304-430-4
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Au
cœur du roman, les principaux personnages mis en
scène par
Guo Songfen évoquent dans une discussion animée
la figure
de Tolstoï et ses
dernières années, alors “ qu'il refusait de
vivre dans la quiétude des nantis ”. La
gravité de l'échange est en accord avec les
violentes
tensions qui animaient alors Taïwan
déchirée entre
le Japon (puissance colonisatrice
jusqu'en 1945), la Chine continentale devenue communiste et le pouvoir
nationaliste du Guomindang. Sur cet arrière-plan
porteur des prémices d'un
désastre un couple se défait lentement,
rongé par
un transfert d'énergie qui voit l'un
prospérer au détriment de l'autre. En consignant sans emphase
l'inéluctable dégradation de
l'accord entre Tiemin et sa jeune femme Wenhui, Guo Songfen dresse un
portrait attachant de cette dernière, alors qu'elle tente
d'équilibrer fatigue, déception affective et
angoisse par
une écoute attentive des signes de la vie qui, autour
d'elle, suit le même
cours qu'aux temps insouciants
— “ les fleurs de
prunier rouges, inébranlables, restent discrètes
sous les
nuages et la brume. C'est là ce qui fait tout leur
charme ”. ❙ | GUO Songfen,
né en 1938 à Taipei est mort à New
York en juillet
2005. Il appartient au « groupe moderniste
» de Taiwan
avec Wang Wenxing (La Fête de la
déesse Matsu, 2004), Bai
Xianong, Cheng Ruoxi ou Li Yu qu’il a
épousée.
Devenu
enseignant à l’université de Taipei, il
prend part
à diverses activités
théâtrales, critiques
et cinématographiques.
En
1966, il se rend aux États-Unis et obtient un
diplôme de
littérature comparée à Berkeley. Ses
engagements
politiques vont le rendre indésirable à Taiwan.
Il finit
donc sa vie en exil, en se consacrant à
l’écriture. |
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EXTRAIT |
Elle se souvenait des mois écoulés
depuis son
mariage. Mars, avril, mai … Ils se ressemblaient
tous,
pareillement vides.
Son
corps se décharnait peu à peu, chaque jour un peu
plus
inconsistant, tel un habitacle déserté.
L'été s'était enfui. Une grande
tristesse lui
oppressait le cœur, toujours plus pesante, comme si elle
avait
voulu la terrasser.
Un
jour de la fin du mois de septembre, les rayons du soleil levant
filtrèrent à travers les fentes de la porte en
planches,
fins et obliques. Il lui sembla qu'ils demeuraient un long moment ainsi.
Ce
matin-là, elle se leva tard après être
restée blottie sous la couverture, encore
pénétrée du froid mordant de
l'arrière-cour
la veille au soir.
Elle
était tout entière irradiée de
lumière.
Dans la chambre encore silencieuse, elle entendait seulement le
ronflement sonore de Tiemin, profondément endormi.
Devant
le miroir, elle tressaillit. Elle avait peine à se
reconnaître. Elle était trop jeune encore pour
vieillir,
mais une main invisible l'avait déjà
agrippée et
la tirait à elle.
C'était effrayant. Depuis le
début, un obstacle se dressait devant leur bonheur.
L'avant-veille,
Tiemin, particulièrement frais et dispos, s'était
levé de son lit pour aller s'asseoir au soleil. Elle avait
installé un fauteuil en rotin à
l'extrémité
de la galerie couverte. Tiemin, un livre à la main, avait
surgi
de la pénombre pour pénétrer dans la
chaude
lumière du soleil automnal. C'était un de ces
jours qui
vous mettent la joie au cœur, pourtant le Ciel allait lui
jouer
un mauvais tour.
☐
pp. 33-35 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Guo Songfen,
« Running mother and other
stories » edited and
with an introduction by John Balcom, New York : Columbia
university press, 2009
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Taiwan sur le site des
littératures insulaires
En l'absence d'une sélection suffisamment
développée, la liste qui suit regroupe des
références dispersées sur l'ensemble
du
site ; y figurent des ouvrages de fiction, des
récits de
voyage, des essais et études. |
- Elliot Ackerman and James Stavridis, « 2034 : a novel of the next world war », New York : Penguin press, 2021
- Véronique
Arnaud, « Ancêtres extraordinaires,
phénomènes et rites (Botel Tobago,
Taiwan) »
in Imagi-Mer :
créations fantastiques, créations mythiques,
éd. par Aliette Geistdoerfer, Jacques Ivanoff et Isabelle
Leblic, Paris : CETMA, 2002
- Maurice Auguste Beniowski, « Mémoires et
voyages », Paris :
Phébus, 2010
- Melissa J. Brown, « Is Taiwan
Chinese ? The impact of culture, power, and migration on
changing identities », Berkeley :
University of California press, 2004
- Jean-Pierre Cabestan, « Le système
politique de Taïwan : la politique en
République de Chine aujourd'hui »,
Paris : Presses universitaires de France, 1999
- Christine Chaigne, Catherine Paix et Chantal Zheng
(éd.), « Taïwan :
enquête sur une identité »
Paris : Karthala, 2000
- Hwang Sok-yong, « Shim Chong, fille vendue »,
Paris : Zulma, 2009
- Gilles Laurendon, « Les buveurs d'infini »,
Paris : Belfond, 2003
- Qiu Miaojin, « Les carnets du crocodile », Paris : Noir sur blanc, 2021
- Syaman Rapongan, « Les yeux de l'océan — Mata nu Wawa », Paris : L'Asiathèque, 2022
- Shih Shu-Ching, « Elle s'appelle Papillon »,
Paris : L'Herne, 2004
- Scott Simon, « Sadyaq Balae !
L'autochtonie formosane dans tous ses états »,
Québec : Presses de l'université Laval,
2012
- Wang Wenxing, « La fête de la
déesse Matsu »,
Cadeilhan : Zulma, 2004
- Wu
Ming-yi, « L'homme
aux yeux à facettes », Paris :
Stock (La Cosmopolite), 2014
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mise-à-jour : 10 octobre 2022 |
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