NOTE
DES AUTEURS
: […]
Les monstres marins dont les
auteurs donnent ici des descriptions et dont ils commentent les
origines et les fonctions font partie de systèmes religieux,
de mythes fondateurs, de traditions orales et/ou écrites.
Ils sont des dieux, des demi-dieux, des descendants de dieux, des
personnages de croyances populaires, des héros de contes, de
légendes, et peuvent également être
issus de la littérature savante. Ils appartiennent
à différentes catégories faisant
partie des mondes divers, naturels et/ou surnaturels. Nombre d'entre
eux ont des doubles appartenances et peuvent changer de
catégorie au cours de leur existence ou être
transférés d'une société
à une autre. Ces monstres marins, même s'ils
participent à la vie « de tous les
jours » des membres des communautés
littorales, n'interviennent qu'exceptionnellement en certains lieux et
occasions : en mer, sur le littoral, lors de rituels
d'initiation, d'apprentissage, de cérémonies, de
quêtes symboliques … (pp. 11-12)
[…]
Comparer les
systèmes de représentation de
sociétés vivant et ayant vécu en
Europe et en Asie, très éloignées les
unes des autres dans le temps et l'espace, en ne négligeant
pas les sociétés des
périphéries essentielles, semble être
un pari risqué. Pourtant, ethnologues et historiens, entre
autres, présentent ici des résultats de travaux
de recherche qui ne sont pas ponctuels et qui ont
été élaborés avec des
méthodes précises. Ils abordent ce sujet
différemment, privilégiant par exemple
l'étude des systèmes religieux (mythes issus des
grands systèmes philosophico-religieux) ou les relations
hommes-nature (les bestiaires populaires fantastiques), ou encore les
pratiques sociales, ou les traditions orales et les croyances et/ou
rituels. (p. 13)
[…]
Les mers et les îles
sont […] pensées comme des créatures
marines fantastiques ; elles en sont les
matérialisations et les manifestations. Parmi ces monstres
marins, certains ne sont que des représentations
passives ; d'autres, les dieux, les héros des
légendes, interviennent dans la
société auprès des humains comme des
fondateurs, médiateurs, éducateurs,
sauveurs …
Parlons brièvement
du serpent, récupéré par la
chrétienté comme symbole du diable ; il
est, dans bien d'autres sociétés, un monstre,
c'est-à-dire un démon. Il peut être
mauvais (mais pas toujours malfaisant) et s'accorde alors bien de la
mer qu'il hante et des îles qu'il sépare du
continent. Le combat épique de la
chrétienté contre les forces du mal trouve un
exutoire dans la conquête des îles, symboles du
lointain, de l'exotique et du monstrueux, éloigné
de la parole divine, comme le remarque R. Castellana :
Dans
le riche légendaire des îles
européennes un thème domine très
largement un corpus pourtant fort varié. Il fait
état de la présence sur ces îles d'un
bestiaire venimeux et reptilien qu'un saint, le plus souvent ermite ou
anachorète, exorcise ou expulse avant d'y fonder un
monastère.
Rappelons les cinq
îles flottantes des bienheureux chinois soutenues par
dix-huit énormes tortues (dont certaines
dévorées) et déstabilisées
par un géant chasseur. L'île est donc en
général un lieu de béatitude, Ultima
Thulé étant l'une de
celles-ci. (p. 15)
[…]
Reflets du monde social qui
les crée, les monstres expriment les forces d'un autre monde
que celui des vivants ordinaires et, par un
phénomène général
d'hybridation et de récupération
idéologique, les forces internes d'une
société particulière qui se lit
à travers ses montres. Car, si pour les systèmes
religieux des domaines occidentaux et asiatiques envisagés,
le monstre est une force anticulturelle à combattre et le
symbole du péché, il est aussi l'expression
identitaire d'un groupe et de ses croyances. Il est par ailleurs la
marque d'une alliance entre la nature et la culture, et permet donc
à l'homme de retrouver le chemin de son mythe
étiologique et épique. Car le monstre suit
l'évolution sociale. Il aide l'humanité
à sortir du monde mythique, puis il participe aux fondations
du royaume ; il est enfin
récupéré par les grands
systèmes religieux. (p. 39)
Des figures fabuleuses marines
pour construire un
monde
et des
êtres exceptionnels
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SOMMAIRE
(extrait) |
- Des figures fabuleuses marines pour construire un
monde et des êtres exceptionnels, Aliette Geistdoerfer et
Jacques Ivanoff (pp. 9-41)
- Le bestiaire, les îles et la mer, Robert Castellana
(pp. 55-66)
- Les créatures mythiques et aquatiques
des Hautes-Terres et des îles écossaises, Denis-Richard Blackbourn
(pp. 97-113)
- Le monde conceptuel des nomades marins Sama de
Sitangkaï, un continuum nature-supranature sans monstres, Alain Martenot
(pp. 115-120)
- Méduse, le corail, le regard et l'envie, Gilles Raveneau
(pp. 147-155)
- Femmes-poisson et sirènes :
Comment aimer la mer et vivre en mer pour ne pas y mourir, Aliette Geistdoerfer,
(pp. 169-186)
- De la tortue-lyre : Êtres
marins et interdits alimentaires à Kei
(Indonésie), Cécile Barraud (pp. 193-203)
- Ancêtres extraordinaires,
phénomènes et rites (Botel Tobago, Taiwan), Véronique Arnaud
(pp. 205-219)
- Le Merlion de Singapour et des monstres marins
dans les détroits d'Insulinde, Gilbert Hamonic
(pp. 221-228)
- Polymorphisme des animaux marins aux fonctions
bénéfiques et maléfiques en
Nouvelle-Calédonie, Isabelle Leblic
(pp. 229-242)
- Les hommes-crocodiles dans la vallée du
Sépik en
Papouasie - Nouvelle-Guinée, Christian Coiffier
(pp. 243-254)
- Problèmes d'iconographie
égéenne : Le caractère
religieux des motifs marins, Isabelle Bradfer
(pp. 277-288)
- Rencontrer le djab lanmè, ou du risque
d'être différent chez les pêcheurs de
Sainte-Lucie, Hélène
André-Bigot (pp. 295-300)
- Tandayag le dragon ? Nicole Revel
(pp. 301-307)
- Le dugong incestueux et autres histoires moken, Jacques Ivanoff
(pp. 343-364)
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