Victoire / Joseph
Conrad ; trad. de l'anglais par Odette Lamolle ;
postface de Sylvère Monod. - Paris : Autrement,
1996. - 461 p. ; 21 cm. -
(Littératures).
ISBN 2-86260-585-9
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| L'archipel exerce une fascination durable. Il n'est pas facile de se dégager de l'envoûtement de la vie dans les îles.
☐ Deuxième partie, chapitre 1, p. 83 |
Heyst, aventurier taciturne et désintéressé — utopiste ? — arrache
Lena à l'emprise et à la convoitise de Shomberg son
employeur. Heyst et Lena se retirent à Samburan, petite
île de l'archipel malais, où ils mènent une
existence calme jusqu'à l'irruption de trois hommes de main
engagés pour venger Shomberg … |
SYLVÈRE MONOD : […]
Le titre du roman
[…] pourrait sembler dicté par l'Histoire en
cours. Conrad l'a toujours nié, avec raison, puisqu'il
l'avait inscrit sur son manuscrit avant le début [de la première Guerre mondiale].
Que signifie ce titre, quand l'échec semble total ?
Un personnage croit à sa victoire, et c'est le plus pur, le
plus sûr de tous. Lena, comme la Tess de Hardy, pourrait en
effet être dite “ a pure
woman ”, fût-ce par
manière de défi lancé aux
préjugés victoriens selon lesquels elle “ vit dans le
péché ” avec son amant et
protecteur Heyst. Mais elle l'aime, elle veut le protéger
à son tour. Et le texte le dit, quand elle s'est
emparée du redoutable couteau de Ricardo, Lena est
persuadée qu'elle a privé la mort de son
aiguillon et de sa victoire (allusion transparente à saint
Paul, I Co. XV, 15). Elle a donc vaincu un ennemi
dangereux ; ella a vaincu ses propres craintes ; elle
a vaincu les réserves et la pudibonderie d'Axel
Heyst ; elle l'a converti (ou presque) de sa philosophie du
détachement à un idéal d'amour et de
confiance. Aux yeux du monde, cette victoire est dérisoire
puisque Lena la paie de sa propre vie et entraîne dans la
mort l'homme qu'elle aime. Mais Conrad nous dit en somme qu'une
victoire morale ne peut pas, ne doit pas être
sous-estimée.
☐ À propos de … Victoire, p. 445
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JOSEPH
CONRAD
: […] Lena — “ Lorsque
vint l'heure de sa rencontre avec Heyst, je sentis qu'elle devrait
montrer un héroïsme à
l'épreuve de tous les aléas d'un futur incertain
et plein de périls. J'en fus tellement convaincu que je la
laissai partir avec Heyst, je ne dirai pas sans un serrement de
cœur, mais certainement sans inquiétude. Et dans
l'optique de sa fin triomphante, qu'aurais-je pu faire de plus pour sa
réhabilitation et son bonheur ? ”
☐
Au
lecteur, p. 14 |
EDWARD SAÏD : […]
Victoire
est un roman où foisonnent les réminiscences. En
d’autres termes, ce roman est rempli d’autocitations.
L’île, par exemple, est manifestement une nouvelle
visitation de l’île de Patusan de Lord Jim
ou d’une des îles de Malaisie des premiers romans, et tous
les détails de la vie en mer sont manifestement une nouvelle
énonciation du Conrad primitif. Mais tout est devenu beaucoup
plus dépouillé dans Victoire ;
c’est devenu — je ne dirais pas une
parodie — mais plutôt, très clairement, un
écho.
[…]
Pourquoi lire Victoire
aujourd’hui ? Eh bien, à mon avis le monde
d’aujourd’hui est extrêmement
déréglé, comme l’était celui de
Conrad, symbolisé, dans le roman, par l’apparition du trio
infernal qui débarque sur l’île et apporte avec lui
les vestiges […] d’une culture européenne, dont la
misogynie, les expériences étranges, le jeu, la peur des
femmes et ainsi de suite sont presque égales à celles
d’un Oscar Wilde.
[…]
C’est un des romans les plus déstabilisants et perturbants que j’aie jamais lus. […]
☐ “ Le style tardif de Victoire ” — extrait du dernier entretien d’Edward Said, recueilli par Peter Lancelot Mallios, in Joseph Conrad, sous la dir. de Josiane Paccaud-Huguet et Claude Maisonnat, Paris : L'Herne (Cahiers de l'Herne, 109), 2014
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EXTRAIT |
Ricardo était songeur. Tout à coup, il leva la tête et dit : —
Cap au nord-est pendant cinquante heures, et quoi ? Ce n'est pas
une directive de navigation bien précise. J'ai entendu parler
d'arrivées manquées au port sur des données moins
vagues. Ne pouvez-vous dire au moins à quels amers on doit
d'attendre ? Mais je pense que vous n'avez vous-même jamais
vu cette île ? Schomberg reconnut qu'il n'y était
jamais allé, sur le ton de quelqu'un qui se félicite
d'avoir échappé à la contamination d'une
expérience déplaisante. Non, c'était certain. Rien
ne l'avait jamais appelé là-bas. Mais quelle
importance ? Il était en mesure d'indiquer à Mr.
Ricardo un repère de navigation plus sûr que n'importe
quel autre. Il ricana nerveusement. La manquer ! Il mettait au
défi quiconque s'en approchant à quarante milles de
manquer la retraite de ce maudit Suédois. — Que
dites-vous d'une colonne de fumée le jour, et d'une lueur
d'incendie la nuit ? Il y a un volcan en pleine activité
à proximité de cette île ; il faudrait
être tout à fait aveugle pour ne pas la voir. Que
voulez-vous de plus ? Un volcan en éruption pour se guider
!
☐ p. 187 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Victory :
an island tale », Garden City (N.Y.) : Doubleday, 1915 ; London : Methuen, 1915
- « Une
victoire » trad. d'Isabelle Rivière et
Philippe Neel,
Paris : Éd. de la Nouvelle revue
française,
1923 ; Paris : 10/18 (Domaine étranger,
2707), 1996
- « Une
victoire » trad. de Paul Le Moal et
Sylvère Monod, Paris : Gallimard (Folio classique,
3983), 2004
|
- « L'anarchiste »,
in Quintette, Paris :
Librairie générale française (Le Livre
de poche-Biblio, 68), 1989
- « Freya des Sept-Îles », Paris : Autrement, 1996
- « Karain : un
souvenir », Paris : Autrement,
1996
- « Jeunesse »,
Paris : Gallimard (Folio, 3743), 2002
- « Le compagnon
secret / The secret sharer »,
Paris : Gallimard (Folio bilingue, 127), 2005
- « Lord
Jim », Paris : Librairie générale
française (Le Livre de poche - Biblio, 3437), 2007
- « Le Tremolino »,
in Le miroir de la mer,
Paris : Gallimard (Folio classique, 4760), 2008
- « Souvenirs
personnels », Paris : Autrement, 2012
- « La folie Almayer », Paris : Autrement, 2021
|
- Edward W. Said, « Joseph Conrad and the
fiction of autobiography », Cambridge (Mass.) : Harvard
university press, 1966 ; New York : Columbia university
press, 2008
- Maddalena
Rodriguez-Antoniotti, « Bleu
Conrad : Le destin
méditerranéen de Joseph Conrad »,
Ajaccio : Albiana, 2007
- Jean-Pierre
Le Dantec, « Île
Grande », Brest : Dialogues, 2012
- Josiane
Paccaud-Huguet et Claude Maisonnat (dir.), « Joseph
Conrad », Paris : L'Herne (Cahiers, 109),
2014
- Maya
Jasanoff, « Le monde selon Joseph Conrad »,
Paris :
Albin Miche,
2020
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mise-à-jour : 10 décembre 2021 |
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