Lord Jim / Joseph
Conrad ; trad. de l'anglais par Odette Lamolle ;
postface par Sylvère Monod. - Paris : Librairie
générale française, 2007. -
506 p. ; 18 cm. - (Le Livre de poche, Biblio
roman, 3437).
ISBN 978-2-253-06698-9
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| Lorsque Adam eut mangé le fruit, Dieu dit aux anges : “ Voyez, l'homme est devenu comme l'un des nôtres : il connaît le bien et le mal. ”
☐ Genèse, 3-22 — Introduction (NdT) |
Dans
une
courte introduction, Joseph Conrad s'adresse “ au
lecteur ” et confesse une prédilection :
“ Je n'irai
pas jusqu'à être chagriné ou contrarié par
le penchant de certaines personnes pour mon Lord Jim.
Je ne dirai même pas que je ne les comprends
pas … Non ! ” Il précise plus
loin que le personnage est né d'une vision, loin des brumes du Nord :
“ Par une matinée ensoleillée, dans le cadre
banal d'une rade orientale, j'ai vu passer sa silhouette ”
— impression saisissante, porteuse d'un appel :
“ c'était à moi que revenait … de
trouver les mots susceptibles de révéler sa
signification ”.Prenant
le relais de l'auteur, le capitaine Marlow précise, au seuil du
roman, les circonstances de la première apparition de Jim :
“ il marchait vers vous d'un pas ferme, le
buste un peu penché en avant, le front baissé abritant un
regard appuyé, un peu comme un taureau dans
l'arène … il était connu de tous dans les
différents ports … ”. Conrad regrettait de n'être lu par certains que comme un écrivain de la mer, des tropiques.
Son opinion est incontestablement fondée sur un plan strictement
littéraire (ce qu'éclairent, si besoin était, ses échanges avec Henry
James) ; mais quant à la nuance d'engagement moral et affectif qui
établit un lien solide entre l'œuvre d'une part, la mer et la vie de marin d'autre part, elle est
incontestable et indissociable de la séduction exercée par l'œuvre sur des
générations de lecteurs (de commentateurs et d'analystes ?).Les
traces — sinon les preuves — de ce
lien sont nombreux. Comment ne pas entendre la
voix de Conrad attelé à l'écriture de son roman,
quand Marlow, enfin retiré à Londres, reçoit par
la poste un volumineux dossier où sont compilées les
informations qui lui permettront de relater le terme des aventures de
Jim, la fin brutale de sa trop longue détresse morale.
De la fenêtre de son appartement, Marlow contemple Londres ; la
description qu'il en donne, empreinte de l'univers marin,
désigne au-delà de l'horizon, les lieux où s'est tramée l'aventure de Jim. Herman Melville, dans la
seconde partie de son existence, ne parvenait pas à effacer le
souvenir de ses navigations et transfigurait la prairie sous ses fenêtres en “ lit d'une mer
asséchée ” (1).
Saint-John Perse, exilé de l'île de son
enfance, a imaginé le désarroi de Robinson Crusoé
échoué à Londres au retour de son île (2).
À
Patusan, “ infime îlot ” au cœur
d'une île de l'archipel malais, Jim pouvait enfin se croire
à
l'abri du mal qui le détruisait ; contrairement à
Marlow — à Conrad — et
à tous les autres, il avait décidé de ne pas
céder à la nostalgie et de finir sa vie aux
îles. Mais, amoureux d'une insulaire — qu'il appelle Jewel —, il n'avait pas réussi à la convaincre de cette farouche
résolution. “ Ils nous quittent toujours ”
répondait-elle à ses protestations. Le dénouement
semble donner raison à Jewel, mais Jim n'a pas trahi son engagement. 1. | Cf. Herman Melville, “ Moi et ma cheminée ”, Paris : Allia, 2008 | 2. | Ô Dépouillé ! Tu
pleurais de songer aux brisants sous la lune ; aux sifflements de
rives plus lointaines ; aux musiques étranges qui naissent
et s'assourdissent sous l'aile close de la nuit, pareilles
aux cercles enchaînés que sont les ondes d'une conque,
à l'amplification de clameurs sous la mer …
☐ “ Les cloches ”, in Images à Crusoé |
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EXTRAIT |
[Marlow]
défit le paquet, jeta un coup d'œil à son contenu
et, le posant sur la table, alla jusqu'à la fenêtre. Son
appartement occupait l'étage supérieur d'un haut
bâtiment. À travers les vitres limpides son regard pouvait
errer au loin, comme du haut d'un phare. Les pentes des toits
luisaient, leurs arêtes sombres, discontinues, se suivaient
interminablement, vagues noires sans écume, et, des profondeurs
de la ville étalée à ses pieds, montait une
confuse rumeur monotone. Les nombreux clochers des églises,
disséminés comme au hasard, se dressaient, semblables
à des bouées au-dessus d'un labyrinthe de grands fonds
sans chenal ; la pluie battante assombrissait le crépuscule
d'une journée d'hiver ; du haut de quelque tour, une grosse
horloge jeta pour indiquer l'heure sa sonnerie grave, prolongée,
où se mêlait une stridente vibration. Il tira les lourds
rideaux.
Sur
sa table, la lumière de la lampe, tamisée par un
abat-jour, dormait comme une mare profonde ; son pas était
assourdi par le tapis, son temps d'errance était révolu.
Plus d'horizons infinis comme l'espoir, plus de pénombre dans
des forêts imposantes comme des cathédrales, plus de
recherche ardente de la région inviolée, derrière
la colline, sur l'autre rive du fleuve, au-delà des mers.
L'heure sonnait ! Jamais plus ! Jamais
plus ! … Mais le paquet ouvert sous la lampe faisait
revivre les sons, les images, la saveur même du passé, une
multitude de visages évanescents, un tumulte de voix assourdies
se mourant sur les rivages des mers lointaines sous un soleil violent
qui n'apportait pas de consolation.
☐ pp. 393-394 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Lord Jim : a tale », Edinburgh, London : William Blackwood & Sons, 1900
- «
Lord Jim » trad. de l'anglais par Philippe Neel,
Paris : Éd. de la Nouvelle Revue Française, 1921
- « Lord Jim » trad. de l'anglais par Henriette Bordenave, Paris : Gallimard (Folio, 1403), 1982
- « Lord Jim » trad. de l'anglais par Odette Lamolle, Paris : Autrement, 1996
- « Lord Jim » trad. de l'anglais par Philippe Neel, Paris : Flammarion (GF, 889), 1996
|
- « L'anarchiste »,
in Quintette, Paris :
Librairie générale française (Le Livre
de poche-Biblio, 68), 1989
- « Freya des Sept-Îles », Paris : Autrement, 1996
- « Karain : un
souvenir », Paris : Autrement,
1996
- « Victoire », Paris : Autrement, 1996
- « Jeunesse »,
Paris : Gallimard (Folio, 3743), 2002
- « Le compagnon
secret / The secret sharer »,
Paris : Gallimard (Folio bilingue, 127), 2005
- « Le Tremolino »,
in Le miroir de la mer,
Paris : Gallimard (Folio classique, 4760), 2008
- « Souvenirs
personnels », Paris : Autrement, 2012
- « La folie Almayer », Paris : Autrement, 2021
|
- Maddalena
Rodriguez-Antoniotti, « Bleu
Conrad : Le destin
méditerranéen de Joseph Conrad »,
Ajaccio : Albiana, 2007
- Jean-Pierre
Le Dantec, « Île
Grande », Brest : Dialogues, 2012
- Josiane
Paccaud-Huguet et Claude Maisonnat (dir.), « Joseph
Conrad », Paris : L'Herne (Cahiers, 109),
2014
- Maya
Jasanoff, « Le monde selon Joseph Conrad »,
Paris :
Albin Miche,
2020
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mise-à-jour : 12 décembre 2021 |
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