Karain
: un souvenir / Joseph Conrad ; trad. de l'anglais par Odette
Lamolle ; postface de Sylvère Monod. - Paris :
Autrement,
1996. - 91 p. : ill. ; 21 cm. -
(Littératures).
ISBN
2-86260-587-5
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De
Célèbes à Sumatra, deux amis traquent
l'homme qui
a enlevé une femme de haute lignée et de grande
beauté : la sœur de l'un et, devine-t-on,
l'amour de
l'autre. D'île en île les mois passent, mais quand
se
présente enfin l'occasion de venger l'affront le destin
détourne l'arme de Karain, l'un des justiciers qui, pour
sauver
la femme aimée, sacrifie son compagnon. Le survivant
poursuit
son errance qui le mène à Mindanao où
il se taille
une principauté exigüe
— quelques collines
dominant la mer — mais brillante : “ un
pays sans souvenir, sans regrets, sans espoir ; un pays
où
rien ne pouvait survivre à la tombée de la nuit,
et
où chaque lever de soleil, comme un acte particulier de
création éblouissante, était sans lien
avec la
veille et le lendemain ”.
Dans ce cadre
idyllique, un soir d'orage, le fantôme du passé
vient
hanter la conscience de Karain qui pense ne trouver de secours
qu'à bord de la goélette de trafiquants anglais
venus
livrer les armes nécessaires au maintien de son
autorité.
Comme à son habitude, Conrad laisse la maîtrise du
récit à l'un des officiers de la
goélette qui
esquisse le décor, évalue les protagonistes,
admire la
soie, l'or, la splendeur et s'amuse de l'archaïsme presque
infantile qui s'y mêle. Mais quand se fait entendre la voix
de
Karain, et son aveu pathétique, se noue un authentique
dialogue
— où les hommes de l'archipel et les
marins
britanniques
se laissent également submerger par “ le
récit futile des fardeaux de la vie ”.
Et
quand il faut trouver une solution permettant à Karain de
quitter honorablement le bord, le regard amusé de l'Occident
sur
les travers, bizarreries et superstitions de l'Orient est à
son
tour mis en question. Si Karain ne peut plus accorder sa confiance aux
amulettes et talismans des siens, une breloque britannique peut l'aider
à retrouver sa superbe, en l'occurence une monnaie
à
l'effigie de la reine Victoria : “ elle
commande à un esprit, elle aussi ; à
l'esprit de la
nation, un démon autoritaire, consciencieux, sans scrupules,
indomptable … Qui fait pas mal de bien,
accidentellement … pas mal de bien,
parfois ”. Sous l'ironie du propos,
c'est bien la confiance de l'Occident en ses propres superstitions qui
est désignée.
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EXTRAIT |
Son
regard erra autour de la petite cabine, sur les poutres peintes, sur le
vernis terni des cloisons ; il regarda tout autour de lui,
avec
l'air de supplier cette médiocrité peu
familière,
le bric-à-brac des choses inusitées qui font
partie d'une
vie inconcevable de rudesse, de force, d'efforts, d'incroyance, de la
vie puissante des Blancs, qui s'écoule dure et
irrésistible à la lisière des
ténèbres extérieurs. Il ouvrit les
bras comme pour
étreindre tout cela, et nous-mêmes. Nous
attendîmes.
Le vent et la pluie avaient cessé, et le calme de la nuit,
autour de la goélette, était aussi complet et
silencieux
que si l'univers mort avait été
enterré dans une
tombe de nuages. Nous sentions qu'il allait parler. La
nécessité de le faire lui brûlait les
lèvres. Il y a des gens qui disent qu'un indigène
ne se
confie pas à un Blanc. Erreur. Nul homme ne se confiera
à
son maître ; mais à un ami, à
un vagabond,
à l'homme qui ne vient ni pour enseigner ni pour
régenter, à celui qui ne demande rien et accepte
tout,
les mots affluent autour des feux de camp, dans la solitude
partagée de la mer, dans les villages au bord des
rivières, dans les haltes de repos entourées de
forêts ; les mots affluent sans se
préoccuper de race
ou de couleur de peau. Un cœur parle, un autre cœur
écoute ; et la terre, la mer, le ciel, le vent qui
passe et
la feuille qui bouge entendent aussi le récit futile des
fardeaux de la vie.
☐ pp. 34-35 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Karain :
a memory » in Tales of unrest, London :
Fisher Unwin, 1898
- « Karain :
un souvenir » in Histoires inquiètes, trad.
par G. Jean-Aubry, Paris : Gallimard, 1932 ; in Inquiétude, Paris :
Gallimard (Folio, 1521), 1983 ;
in Nouvelles
complètes, éd. par Jacques Darras,
Paris : Gallimard (Quarto), 2003
|
- « L'anarchiste »,
in Quintette, Paris :
Librairie générale française (Le Livre
de poche-Biblio, 68), 1989
- « Freya des Sept-Îles », Paris : Autrement, 1996
- « Victoire »,
Paris : Autrement, 1996
- « Jeunesse »,
Paris : Gallimard (Folio, 3743), 2002
- « Le compagnon secret / The
secret sharer », Paris :
Gallimard (Folio bilingue, 127), 2005
- « Lord
Jim », Paris : Librairie générale
française (Le Livre de poche - Biblio, 3437), 2007
- « Le Tremolino »,
in Le miroir de la mer,
Paris : Gallimard (Folio classique, 4760), 2008
- « Souvenirs
personnels », Paris : Autrement, 2012
- « La folie Almayer », Paris : Autrement, 2021
|
- Maddalena
Rodriguez-Antoniotti, « Bleu
Conrad : Le destin
méditerranéen de Joseph Conrad »,
Ajaccio : Albiana, 2007
- Jean-Pierre
Le Dantec, « Île
Grande », Brest : Dialogues, 2012
- Josiane
Paccaud-Huguet et Claude Maisonnat (dir.), « Joseph
Conrad », Paris : L'Herne (Cahiers, 109),
2014
- Maya
Jasanoff, « Le monde selon Joseph Conrad »,
Paris :
Albin Miche,
2020
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mise-à-jour : 10 décembre 2021 |
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