Des
indésirables à la Désirade / Eric
Fougère.
- Matoury (Guyane) : Ibis rouge, 2008. -
135 p. ;
24 cm. - (Espace outre-mer).
ISBN
978-2-84450-322-0
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Avant-poste
oriental de la Guadeloupe, la Désirade tient son nom de
l'impatience des marins — pour qui vient d'Europe, la
silhouette
de l'île
à l'horizon
marque la fin imminente d'une longue traversée de
l'Atlantique ; ce fut le cas pour Christophe Colomb dans sa
deuxième expédition. Aujourd'hui le visiteur de
passage
peut trouver à la Désirade tous les attraits de
l'eden
tropical :
végétation luxuriante, plages de sable blanc et
récif coralien. Mais un rappel historique, après
l'évocation d'un premier peuplement caraïbe, met en
lumière les difficultés auxquelles se sont
heurtées les visées colonialistes :
effets
conjugués de l'exiguïté du territoire,
de la “ surinsularité ”
— l'île
peine à trouver un statut socio-économique stable
en tant
que “ dépendance ” de
la Guadeloupe
voisine — et d'un milieu naturel peu propice
à la
monoculture de la canne.
Confrontées
à ces défis, les administrations en charge du
territoire
semblent s'être
désintéressées d'une
possession jugée peu profitable ; mais, en
certaines
occasions, elles ont tenté d'y mener des
expériences
difficilement envisageables sur des terres moins rétives aux
attentes de la colonisation. À partir de 1728,
l'île
accueille une léproserie où sont
relégués
les malades en provenance du reste de l'archipel. En 1763 s'ouvre un
nouvel établissement destiné cette fois aux “ mauvais sujets ” :
rejetons de familles
nobles ou disposant d'appuis à la Cour et risquant, par leur
comportement, de porter atteinte à la réputation
de leurs
proches 1.
Seront déportés — exportés —
à la Désirade entre 1763 et 1767, quelques
dizaines
d'éléments perturbateurs, coupables,
soupçonnés ou réputés tels,
de vol,
braconnage, violence ou, plus allusivement, de mauvaise conduite, libertinage, ou
faute grave …
Eric
Fougère propose une analyse minutieusement
documentée de
cette application — heureusement
éphémère — de la
pratique des lettres
de cachet. Ce témoignage sans complaisance
éclaire
au-delà d'un épisode étroitement
circonscrit dans
l'espace et dans le temps ; il illustre certains aspects
négligés de la colonisation française
sous Louis
XV, sonde les motivation d'une politique carcérale,
interroge
les contraintes sociales qu'impose l'insularité.
1. |
“ Lorsque
des jeunes gens de famille seront tombés dans des cas de
dérangement de conduite, capables d'exposer l'honneur et la
tranquillité de leurs familles, ou pour lesquels ils
auraient
été repris de police, sans cependant
s'être rendus
coupables de crimes dont les lois ont prononcé la punition,
il
sera permis à leurs parents de demander au
Secrétaire
d'Etat ayant le département de la guerre et de la marine
leur
exportation dans l'île de la
Désirade ”.
— Ordonnance
du roi, 15 juillet 1763 (article premier), cité
p. 67 |
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EXTRAIT |
L'insularité
désiradienne est caractérisée
[…] par un
double aspect de conservatisme et d'isolement.
« Depuis
toujours, écrit Guy Lasserre en 1961, la Désirade
a
vécu dans l'isolement. Ce n'est pas la liaison hebdomadaire
d'Air Antilles qui a bouleversé les choses. L'île
n'est
guère différente aujourd'hui de ce qu'elle
était
au XVIIIe
siècle. Comme à
Saint-Barthélémy, on a l'impression d'un
dépaysement dans le temps, d'un retour à
l'époque
des " petits habitants cotonniers ". Dans ces
îles
privées de plantations et vivant en marge de
l'économie
d'échange antillaise, l'existence est restée
fidèle aux rythmes d'autrefois » 1.
Les outils sont rudimentaires (houe, pioche et sabre
d'abattis) ;
nul engrais n'est utilisé (si ce n'est la cendre
fertilisante
après brûlis), non plus qu'aucune irrigation. Les
travaux
commencent avant le lever du soleil (entre 4 et 5 heures du matin), le
ventre à peu près vide à part un peu
de
café jusqu'à l'après-midi vers les 3
heures,
où chacun retourne à sa case à deux
pièces
en bois de 3 mètres sur 6 avec un peu de fourrage et de bois
pour la nourriture des bêtes et l'unique repas de la
journée des hommes, avant le coucher sur un lit de bois pour
les
adultes et pour les enfants par terre, aux environs de 19 ou 20 heures.
Ainsi de suite … Un autre effet de
l'insularité
serait la répétition, résultat du
resserrement de
l'espace à 200 mètres habités sur un
étroit
demi-cordon côtier compris entre une barre montagneuse en
forme
de massif et l'immensité pélagienne. On
conçoit
l'intensité monotone avec laquelle il a fallu, pour les
premiers
habitants, compenser ce resserrement par un réseau finement
maillé d'habitudes et de solidarités
ségrégatives, chacun des groupes existants se
constituant
contre les autres, dans des conditions malgré tout telles
que
l'homogénéité sociale a fait le lit,
dans la
solitude ainsi renforcée de tous côtés,
d'un
individualisme et d'un particularisme observés des origines
à nos jours, et qu'il n'y a guère eu d'immixtion,
par la
force des choses, entre la population désiradienne, et les
« mauvais sujets » de Villejoin 2, qui sont
probablement restés des isolés parmi d'autres
isolés.
☐ pp. 62-63
1. |
“ La Guadeloupe, étude
géographique ”,
Bordeaux : Union française d'impression,
1961 ;
Fort-de-France : E. Kolodziej, 1978 |
2. |
Charles-Gabriel Rousseau de Villejoin, gouverneur de la
Désirade. |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Soleils
amers, fragments insulaires »,
Nouméa : Éd. Grain de sable,
1995
- « Les voyages et
l'ancrage : représentation de l'espace insulaire
à l'âge classique et aux Lumières »,
Paris : L'Harmattan, 1995
- « Îles, autres
terres (carnets de route) »,
Nouméa : Éd. Grain de sable,
1997
- « La peine en littérature et
la prison dans son histoire : solitude et servitude »,
Paris : L'Harmattan, 2001
- « Le grand livre du bagne, en Guyane
et Nouvelle-Calédonie »,
Ste Clotilde (La Réunion), Éd. Orphie,
2002
- « Île-prison, bagne et
déportation », Paris :
L'Harmattan, 2002
- « Escales en
littérature insulaire, Îles et balises »,
Paris : L'Harmattan, 2004
- « Le
malheur insulaire : une géographie de la
peine », in Îles funestes,
îles bienheureuses, textes
réunis et présentés par Gaële
de La Brosse,
Paris : Transboréal (Chemins d'étoiles, 12), 2004
- « Insularité
politique et politique insulaire : le cas des voyages
imaginaires et des utopies », in L'insularité,
études rassemblées par Mustapha Trabelsi,
Clermont-Ferrand : Presses universitaires Blaise Pascal, 2005
- « La
prison coloniale en Guadeloupe (îlet à Cabrit,
1852-1905) », Matoury (Guyane) : Ibis rouge
(Espace
outre-mer),
2010
- « La
littérature au gré du monde : espace et
réalité de Cervantes à Camus »,
Paris : Classiques Garnier (Géographies du monde, 17), 2011
- Eric
Fougère (éd.),
« Île, état du
lieu », Paris :
Téraèdre (Cultures &
sociétés, 40), 2016
- « Les
îles malades : léproseries et lazarets de
Nouvelle-Calédonie et Guadeloupe », Paris :
Classiques Garnier, 2018
- « L'île des sables », Bordeaux : L'Ire des marges (Majuscules, 46), 2019
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mise-à-jour : 6 juillet 2020 |
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