Eric Fougère

Des indésirables à la Désirade : histoire de la déportation de mauvais sujets, 1763-1767

Ibis rouge - Espace outre-mer

Matoury (Guyane), 2008
bibliothèque insulaire

      

île-prison
Guadeloupe
parution 2008
Des indésirables à la Désirade / Eric Fougère. - Matoury (Guyane) : Ibis rouge, 2008. - 135 p. ; 24 cm. - (Espace outre-mer).
ISBN 978-2-84450-322-0
Avant-poste oriental de la Guadeloupe, la Désirade tient son nom de l'impatience des marins — pour qui vient d'Europe, la silhouette de l'île à l'horizon marque la fin imminente d'une longue traversée de l'Atlantique ; ce fut le cas pour Christophe Colomb dans sa deuxième expédition. Aujourd'hui le visiteur de passage peut trouver à la Désirade tous les attraits de l'eden tropical : végétation luxuriante, plages de sable blanc et récif coralien. Mais un rappel historique, après l'évocation d'un premier peuplement caraïbe, met en lumière les difficultés auxquelles se sont heurtées les visées colonialistes : effets conjugués de l'exiguïté du territoire, de la “ surinsularité ” — l'île peine à trouver un statut socio-économique stable en tant que “ dépendance ” de la Guadeloupe voisine — et d'un milieu naturel peu propice à la monoculture de la canne.

Confrontées à ces défis, les administrations en charge du territoire semblent s'être désintéressées d'une possession jugée peu profitable ; mais, en certaines occasions, elles ont tenté d'y mener des expériences difficilement envisageables sur des terres moins rétives aux attentes de la colonisation. À partir de 1728, l'île accueille une léproserie où sont relégués les malades en provenance du reste de l'archipel. En 1763 s'ouvre un nouvel établissement destiné cette fois aux “ mauvais sujets ” : rejetons de familles nobles ou disposant d'appuis à la Cour et risquant, par leur comportement, de porter atteinte à la réputation de leurs proches 1. Seront déportés — exportés — à la Désirade entre 1763 et 1767, quelques dizaines d'éléments perturbateurs, coupables, soupçonnés ou réputés tels, de vol, braconnage, violence ou, plus allusivement, de mauvaise conduite, libertinage, ou faute grave …

Eric Fougère propose une analyse minutieusement documentée de cette application — heureusement éphémère — de la pratique des lettres de cachet. Ce témoignage sans complaisance éclaire au-delà d'un épisode étroitement circonscrit dans l'espace et dans le temps ; il illustre certains aspects négligés de la colonisation française sous Louis XV, sonde les motivation d'une politique carcérale, interroge les contraintes sociales qu'impose l'insularité.
       
1. “ Lorsque des jeunes gens de famille seront tombés dans des cas de dérangement de conduite, capables d'exposer l'honneur et la tranquillité de leurs familles, ou pour lesquels ils auraient été repris de police, sans cependant s'être rendus coupables de crimes dont les lois ont prononcé la punition, il sera permis à leurs parents de demander au Secrétaire d'Etat ayant le département de la guerre et de la marine leur exportation dans l'île de la Désirade ”. — Ordonnance du roi, 15 juillet 1763 (article premier), cité p. 67
EXTRAIT L'insularité désiradienne est caractérisée […] par un double aspect de conservatisme et d'isolement. « Depuis toujours, écrit Guy Lasserre en 1961, la Désirade a vécu dans l'isolement. Ce n'est pas la liaison hebdomadaire d'Air Antilles qui a bouleversé les choses. L'île n'est guère différente aujourd'hui de ce qu'elle était au XVIIIe siècle. Comme à Saint-Barthélémy, on a l'impression d'un dépaysement dans le temps, d'un retour à l'époque des " petits habitants cotonniers ". Dans ces îles privées de plantations et vivant en marge de l'économie d'échange antillaise, l'existence est restée fidèle aux rythmes d'autrefois » 1. Les outils sont rudimentaires (houe, pioche et sabre d'abattis) ; nul engrais n'est utilisé (si ce n'est la cendre fertilisante après brûlis), non plus qu'aucune irrigation. Les travaux commencent avant le lever du soleil (entre 4 et 5 heures du matin), le ventre à peu près vide à part un peu de café jusqu'à l'après-midi vers les 3 heures, où chacun retourne à sa case à deux pièces en bois de 3 mètres sur 6 avec un peu de fourrage et de bois pour la nourriture des bêtes et l'unique repas de la journée des hommes, avant le coucher sur un lit de bois pour les adultes et pour les enfants par terre, aux environs de 19 ou 20 heures. Ainsi de suite … Un autre effet de l'insularité serait la répétition, résultat du resserrement de l'espace à 200 mètres habités sur un étroit demi-cordon côtier compris entre une barre montagneuse en forme de massif et l'immensité pélagienne. On conçoit l'intensité monotone avec laquelle il a fallu, pour les premiers habitants, compenser ce resserrement par un réseau finement maillé d'habitudes et de solidarités ségrégatives, chacun des groupes existants se constituant contre les autres, dans des conditions malgré tout telles que l'homogénéité sociale a fait le lit, dans la solitude ainsi renforcée de tous côtés, d'un individualisme et d'un particularisme observés des origines à nos jours, et qu'il n'y a guère eu d'immixtion, par la force des choses, entre la population désiradienne, et les « mauvais sujets » de Villejoin 2, qui sont probablement restés des isolés parmi d'autres isolés.

pp. 62-63
       
1. “ La Guadeloupe, étude géographique ”, Bordeaux : Union française d'impression, 1961 ; Fort-de-France : E. Kolodziej, 1978
2. Charles-Gabriel Rousseau de Villejoin, gouverneur de la Désirade.
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE

mise-à-jour : 6 juillet 2020

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