Île-prison, bagne et
déportation / Eric Fougère. - Paris :
L'Harmattan, 2002. - 248 p. :
ill. 24 cm.
ISBN 2-7475-3552-5
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Eric Fougère
poursuit ici, avec rigueur, une longue enquête sur
l'incarcération insulaire dont l'essor va de pair, comme il
le souligne dans son introduction, avec l'achèvement des
découvertes géographiques d'une part, avec la
popularisation des rêveries utopisantes d'autre part. Ces
mouvements parallèles, entre lesquels s'établit
comme une compensation, doivent
impérativement rester en mémoire à
notre époque où l'île est
perçue majoritairement comme lieu de loisir par excellence
— ultime (?) avatar, banalisé,
dénaturé, de l'île heureuse
des philosophes et des poètes.
Pour apprécier la
portée de cet écart, il faut lire les pages
consacrées au débat qui, au milieu du XIXe
siècle, s'est engagé sur la vocation
carcérale de Nuku Hiva, l'une des îles
Marquises : « la peine de mort venant
d'être abolie pour crime politique, le choix des Marquises et
du mode de déportation applicable aux condamnés
constituent la matière [d'un] projet de loi
déposé le 12 novembre 1849 »
(p. 101). Le projet suscite des réactions d'une
étonnante vigueur ; celle de Victor Hugo par
exemple : « On combine le climat, l'exil et
la prison : le climat donne sa malignité, l'exil
son accablement, la prison son désespoir ; au lieu
d'un bourreau on en a trois. La peine de mort est
remplacée ? […] Quittez ces
précautions de paroles […] cette
phraséologie hypocrite […] dites avec
nous : la peine de mort est
rétablie » (discours à la
Chambre du 5 avril 1850, cité p. 103). Qu'on y
pense : c'est dans une île du même
archipel qu'un demi siècle plus tard Gauguin fixera son
ultime résidence, imposant durablement à
l'imaginaire occidental l'image d'un Eden accessible !
Des
îles du Salut à la Nouvelle-Calédonie,
de la Corse
à Madagascar, l'enquête d'Eric Fougère
traque et
oppose rêve et réalité,
représentations et
expériences ; il s'en dégage,
au-delà d'une
argumentation solidement étayée sur une riche
profusion
de documents souvent inédits, le sentiment d'une absolue
perversion de la réalité insulaire, d'un
déni
d'existence infligé aux populations autochtones et d'une
radicale inversion des valeurs auxquelles ils sont
attachés ; l'île, lieu de l'ouverture,
est
durablement érigée en symbole de
l'enfermement :
« L'île hésite entre deux
représentations : la césure et la
soudure, comme si,
du mouvement des vagues à l'arrêt des
côtes, un tel
espace était fait pour n'exister en propre
que sous une forme autre » (p.
206).
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ERIC
FOUGÈRE :
Le récit de voyage, un moment ralenti par les guerres
révolutionnaires et impériales,
élargit l'espace en deux directions, coloniales et savantes.
Les voyageurs, en même temps qu'ils rapportent à
leur pays des « possessions »,
ramènent aussi des modèles. Celui de Botany Bay,
colonie britannique en Nouvelles-Galles du Sud, est à
l'origine du tournant qui fait se rencontrer la géographie
coloniale et l'histoire sociale. Les colonies seront
pénitentiaires. La colonisation sera pénale.
Le roman d'île
déserte attire notre attention sur la complicité
d'un espace insulaire et d'une idéologie disciplinaire. Un
naufragé, puni pour ses fautes et prisonnier d'une
île, redonne un sens à sa vie coupable et
solitaire à condition de se repentir et de coloniser.
[…]
L'utopie permet de distinguer
l'espace propre d'une île (ou si l'on veut son objet
géographique) et le propre de son espace (en d'autres termes
un signe idéologique). C'est de l'utopie que se
dégage un imaginaire insulaire. Désir,
idée, mythe en sont les trois composantes. Elles
correspondent à trois types idéaux :
l'île heureuse, l'île expérimentale,
l'île allégorique.
Ce bref aperçu de
l'imaginaire insulaire a l'intérêt, si c'en est
un, de fonder l'analyse à partir d'un objet
constitué par sa définition, mais a
précisément l'inconvénient de
sacrifier le phénomène (en l'occurence insulaire)
à son objet d'étude (exclusivement
littéraire). En posant un modèle, où
l'île est à la fois sa source et son reflet, nous
négligeons de faire une place à ses
possibilités de réalisation dans l'histoire, et
non plus seulement dans le discours. Sous quelles conditions
l'île pensée devient-elle l'île
vécue ? […]
On est obligé de
constater à quel point les représentations de
l'île ayant cours à l'âge classique sont
décalées par rapport à la
réalité coloniale et sociale. Elles jouent sur
une compensation (compensation du cannibalisme océanien, de
la violence européenne, des revers en terres
conquises ...) plutôt, ce qui n'est pas pour
étonner, que sur une reproduction pure et simple. Les
représentations ne sont pas des copies du monde. Elles en
sont la réplique. Sur le terrain,
l'espace insulaire est militaro-carcéral. C'est
l'île forteresse ou prison (château d'If,
Sainte-Marguerite, château du Taureau …)
qui prédomine à l'intérieur d'un
appareil étatique, et non l'île en tant que refuge
imaginaire.
[…]
☐ Introduction, pp. 8-9
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SOMMAIRE
(résumé) |
Introduction
- Galères
et bagnes : la mer
- Forts
et pontons : l'outre-mer
- Question
du lieu : les îles
- Prisons
insulaires : les murs
- Déportation
et transportation : la terre
- Relégation :
la dernière vague
Conclusion
Bibliographie,
Index, Table des illustrations
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Soleils
amers, fragments insulaires »,
Nouméa : Éd. Grain de sable,
1995
- « Les voyages et
l'ancrage : représentation de l'espace insulaire
à l'âge classique et aux Lumières »,
Paris : L'Harmattan, 1995
- « Îles, autres
terres (carnets de route) »,
Nouméa : Éd. Grain de sable,
1997
- « La peine en littérature et
la prison dans son histoire : solitude et servitude »,
Paris : L'Harmattan, 2001
- « Le grand livre du bagne, en Guyane
et Nouvelle-Calédonie »,
Ste Clotilde (La Réunion), Éd. Orphie,
2002
- « Escales en
littérature insulaire, Îles et balises »,
Paris : L'Harmattan, 2004
- « Le
malheur insulaire : une géographie de la
peine », in Îles funestes,
îles bienheureuses, textes
réunis et présentés par Gaële
de La Brosse,
Paris : Transboréal (Chemins d'étoiles, 12), 2004
- « Insularité
politique et politique insulaire : le cas des voyages
imaginaires et des utopies », in L'insularité,
études rassemblées par Mustapha Trabelsi,
Clermont-Ferrand : Presses universitaires Blaise Pascal, 2005
- « Des indésirables
à la Désirade »,
Matoury (Guyane) : Ibis rouge (Espace outre-mer), 2008
- « La
prison coloniale en Guadeloupe (îlet à Cabrit,
1852-1905) », Matoury (Guyane) : Ibis rouge
(Espace
outre-mer),
2010
- « La
littérature au gré du monde : espace et
réalité de Cervantes à Camus »,
Paris : Classiques Garnier (Géographies du monde, 17), 2011
- Eric
Fougère (éd.),
« Île, état du
lieu », Paris :
Téraèdre (Cultures &
sociétés, 40), 2016
- « Les îles malades : léproseries et lazarets de
Nouvelle-Calédonie et Guadeloupe », Paris : Classiques Garnier, 2018
- « L'île des sables », Bordeaux : L'Ire des marges (Majuscules, 46), 2019
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mise-à-jour : 6 juillet 2020 |
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