Yves Chemla

La question de l'Autre dans le roman haïtien, préface d'Emile Ollivier

Ibis Rouge

Matoury (Guyane), 2003

bibliothèque insulaire

   
Haïti
parutions 2003
5ème édition du Prix du Livre Insulaire (Ouessant 2003)
ouvrage sélectionné
La question de l'Autre dans le roman haïtien / Yves Chemla ; préface d'Emile Ollivier ; postface de Pierre-Michel Simonin. - Matoury (Guyane), 2003. - 270 p. ; 24 cm.
ISBN 2-84450-175-3

EMILE OLLIVIER : […]

Yves Chemla en campant au cœur de sa quête la figure de l'Autre comme lieu du dialogue interculturel, en faisant un détour théorique qui distingue dans cette littérature trois instances productrices de discours — l'écrivain, le lecteur, la société haïtienne — s'est donné les moyens qui lui permettent de mettre en question les interprétations habituelles de l'exception ou, si l'on préfère, de la singularité haïtienne et qui renouvellent l'analyse : « l'économie plantationnaire » et l'héritage colonial, la dualité créole/bossale, les problèmes de la diglossie, du foncé et du clair, de la violence et des massacres à répétition. Il y a donc invitation au voyage certes mais surtout incitation à découvrir une géographie humaine et littéraire.

[…] Yves Chemla pose au point de départ qu'en ces temps de mondialisation, l'on risque de faire fausse route si l'on a comme visée de comprendre et d'assimiler la culture de l'Autre. Il faut mettre en jeu sa propre altérité, recourir au dialogue — qui est l'exact opposé d'un monologue déguisé —, pratiquer une écoute attentive, sans dogmatisme, de la réalité culturelle de l'Autre. Ce faisant l'examen de son corpus romanesque 1 lui permet de se livrer à une opération de décentrement — de se « déprendre » de lui-même comme le recommande justement Michel Foucault et de reformuler, à sa façon, l'antique dialectique du Même et de l'Autre, récusant la pente facile de ramener l'Autre au Même, pour s'exposer à une épreuve qui permet de percevoir soi comme un autre, le comme de l'expression signifie alors un lien plus étroit que la simple comparaison et renvoie au Soi en tant qu'Autre pour employer le langage de Paul Ricœur. Dès lors, loin de voir l'Autre comme différent, comme menace, la rencontre avec l'Autre permet de découvrir la part d'ombre et d'abjection que l'on recèle en soi et dans sa propre culture.

Sur ce chemin pavé d'aventures, d'étonnements et de connaissances, on ne peut que découvrir que l'identité est fragile et qu'elle soit individuelle ou collective, elle est une activité ouverte, permanente et jamais achevée. Car au fond, c'est de cela qu'il est question au terme de cette étude sur le texte fictionnel haïtien, sur les personnages et leurs relations entre eux et avec leur environnement.

Yves Chemla le dit sans détour : « La lecture du roman haïtien provoque un étrange décalage fondé à la fois sur le sentiment d'altérité de cette littérature, et celui d'une reconnaissance de la part la plus inavouée de ce lecteur, constituée de la face ténébreuse des idéologies et des cultures occidentales » (p. 224). Il n'est pas abusif d'affirmer qu'Yves Chemla avance sur des chemins de crête puisqu'il se risque dans une contrée étrangère, convoque des écrivains pour les lire, converser avec eux, les écouter, habiter l'espace qu'ils dessinent par le truchement des lignes qu'ils tracent. En quête de sens, il fraye son chemin.

[…]

Préface
       
1.Jacques Roumain, « Gouverneur de la rosée » ; Jacques Stephen Alexis, « Compère Général Soleil » ; Antony Lespès, « Les semences de la colère » ; Philippe Thoby-Marcelin et Pierre Marcelin, « Canapé vert » ; Jacques Stephen Alexis, « Les arbres musiciens » ; Jacques Stephen Alexis, « L'espace d'un cillement » ; Edris Saint-Amand, « Bon Dieu rit » ; Marie Chauvet, « Amour, Colère et Folie » ; Emile Ollivier, « Mère-Solitude » ; Frankétienne, « Les affres d'un défi ».

PIERRE-MICHEL SIMONIN : Yves Chemla a choisi de traiter la question de l'autre dans la littérature haïtienne : son travail est d'autant plus exemplaire qu'il nous ouvre le terrain pour toutes les autres littératures. Cette question de l'autre, philosophique, morale, nous savions bien qu'elle concernait aussi la littérature : il nous en donne une magistrale et dérangeante démonstration. Le parallèle qu'il dresse ici entre les pratiques coloniales et le génocide est éclairant : l'autre n'est autre que dans le maintien irréductible de sa position d'altérité ; le comprendre, c'est toujours risquer de le réduire ; le concevoir, de le saisir dans une généralité, certes rationnelle, mais tellement empreinte d'occidentalité que c'en est à se demander si d'autre regard est encore possible.

[…]

Parce qu'il est ici question de littérature et non d'histoire ; d'analyse et non de dénonciation ; de compréhension et non de procès, [l'auteur] nous aide à comprendre comment s'est construite la littérature haïtienne : dans l'effort continué de penser sa spécificité avec la langue du maître ; de fonder, sous la glaise d'une identité presque effacée, un avenir humain qui en appelle à l'universel.

L'identité haïtienne telle qu'elle transparaît n'est ainsi jamais un donné, mais l'objet, toujours, d'une question, sans véritable réponse ; d'une question à reposer sempiternellement ; d'un effort sans cesse à construire. Le déploiement douloureux de cette identité, sous le regard de l'autre — occidental — sous le poids du passé aussi, forme le sel de la littérature haïtienne que nous ne pouvons regarder ni lire sans le trouble sentiment d'une altérité si étrangement familière …

[…]

Postface

COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Le roman haïtien : intertextualité, parentés, affinités » éd. par Yves Chemla et Alessandro Costantini, Lecce : Alliance française (Interculturel Francophonies, 12), 2007
site internet d'Yves Chemla

mise-à-jour : 2 juillet 2020
“ Il est urgent d'arracher le nom de Walter Benjamin des mains de l'extrême droite ”,
Le Monde, 1er Juillet 2020

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