ISABELLE LEBLIC :
La société haïtienne présente de grandes
différences socioéconomiques, héritées
du passé colonial et esclavagiste. Chantal Collard nous
présente ses caractéristiques générales,
à savoir une instabilité politique, une concentration
des richesses dans les mains de quelques-uns et un accroissement
massif et continu de la population qui concourent à entretenir
une grande indigence. Aussi Haïti est le cas d'un pays où
les transferts [d'enfants] sont liés à une inégalité
de statuts entre donneurs et receveurs, que ce soit localement
ou internationalement. Ainsi, on ne peut séparer ces transferts
de la reproduction nationale mais aussi internationale dans un
monde globalisé. Une des pratiques répandues en
Haïti est celle du fosterage des restavec :
le placement des enfants comme domestiques, qui n'est pas sans
rappeler les wapambe comoriennes. 70 % des restavec
sont des filles ; 42 % sont placés chez des
parents, parrains ou marraines. Ici encore, on rencontre les
problèmes de l'exploitation des enfants, d'abus sexuels,
etc. et des rumeurs de trafic d'organes ! Cette pratique
d'accueil vertical se fait surtout de la campagne vers la ville.
Mais compte tenu de l'importance des émigrés haïtiens
à l'étranger, les lois régissant l'immigration
dans les pays d'accueil représentent souvent un frein
à la perpétuation des formes traditionnelles de
circulation des enfants. Il est difficile de placer un enfant
chez un parent plus aisé s'il se trouve hors du pays !
Ce système, en décourageant l'immigration et la
circulation d'enfants dans les réseaux de parenté
installés ailleurs, a aussi pour corollaire de générer
des enfants pour l'adoption internationale.
Chantal Collard mentionne également
les différences entre les lois régissant l'adoption
d'un pays à l'autre, entre le pays donneur et le pays
receveur notamment : si l'adoption est plénière 1
au Canada, elle ne l'est pas en Haïti, car il n'y a pas
d'abandon. Ce qui peut provoquer une fois de plus certaines incompréhensions
de la part des donneurs d'enfants. Si le coût d'une adoption
est bas en Haïti, cela ne place pas le pays en tête
des pays donneurs car il existe un handicap certain pour nombre
de parents adoptants : les Haïtiens sont de couleur,
d'où finalement un faible nombre de leurs enfants adoptés
à l'étranger. L'adoption internationale place presque
toujours les pays donneurs et receveurs dans une situation inégale
au sein d'une hiérarchie des nations où les premiers
sont en bas et les seconds en haut. Il ne faut pas négliger
non plus le poids des anciennes relations coloniales : « dans
un tel système de circulation enfantine mondialisée,
il y a forcément conflit d'intérêts entre
familles, entre classes sociales, entre sociétés
et entre États » (p. 264). En fait,
l'adoption ne se fait localement, hormis en cas de chômage
ou de très grandes difficultés économiques,
que pour cause de naissances illégitimes et en cas de
stérilité ; sinon, les enfants ne sont transférés
que dans le cadre des restavec, c'est-à-dire du
fosterage pour placement (domesticité, apprentissage,
etc). Chantal Collard, ethnologue,
est professeur titulaire à l'université Concordia,
Montréal (Québec) ; elle s'intéresse
à la parenté dans des sociétés semi-complexes
et complexes. Actuellement, elle effectue des recherches sur
l'adoption internationale en Haïti et sur l'adoption intrafamiliale
au Québec.
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