Gouverneurs de la
rosée / Jacques Roumain. - Port-au-Prince :
Imprimerie de l'état, 1944. - 321 p. :
ill. ; 20 cm. - (Collection Indigène).
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| Jacques
Roumain a écrit un livre qui est peut-être unique dans la littérature mondiale
parce qu'il est sans réserve le livre de l'amour. Toute la vie,
toute la doctrine, toute la passion de Jacques Roumain semblent avoir
pour dimension première l'amour ;
un amour encore plus vaste que celui du sermon sur la montagne parce
que plus inséré dans le contexte de l'action pratique
☐ Jacques-Stephen Alexis, Jacques Roumain vivant (1964), in Jacques Roumain, Œuvres complètes éd. par Léon François Hoffmann, p. 1497 | |
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MAXIMILIEN
LAROCHE
Jeu
et engagement dans Gouverneurs de la rosée
de Jacques Roumain
Tout le monde s'entend pour
dire que Gouverneurs de la rosée est un
roman engagé. L'unanimité est si forte et si
constante qu'on risque de croire que ce roman a
été écrit sous commande. Personne
encore n'a donc souligné que ce roman est aussi un
récit ludique.
Si l'on fait bien attention on
remarquera que la situation centrale de l'action se déroule
au moment où l'officier de police rurale, Hilarius Hilarion,
qui est en train de jouer au trois-sept avec son adjoint, interpelle
Manuel qui vient à passer près d'eux.
Alors se joue, si l'on peut
dire, un double jeu. Pendant qu'Hilarion, en ayant l'air de le laisser
faire, s'applique à piéger son adjoint qui
triche, il entreprend de piéger aussi Manuel en le
provoquant. L'adjoint tombe dans le piège que lui tend son
chef mais Manuel réussit à éviter le
traquenard d'Hilarion. Celui-ci le provoque en espérant
susciter de sa part une réaction outragée qui
justifierait qu'il l'arrête et l'emprisonne. Manuel
déjoue cette manœuvre en laissant dire Hilarion et
en feignant même de ne pas l'entendre.
Cette scène est
symbolique sur le plan de l'engagement politique dont on fait, avec
raison d'ailleurs, un thème capital du roman. En effet
plutôt que de se répandre en professions de foi
marxistes et en propos incendiaires contre les exploiteurs de classe,
Manuel s'efforce le plus souvent d'éviter les confrontations
et même de désamorcer les conflits. À
l'égard du vodoun et à propos des
rivalités de clans de sa communauté, dans sa
rivalité amoureuse avec Gervilen et face à
Hilarion qui incarne pourtant l'arbitraire policier, il adopte une
attitude conciliante et cherche le compromis. Il évite de
mettre le feu aux poudres et se garde de fournir à
l'adversaire un prétexte à renforcer son
agression. “ (C'est un nègre
rusé, pense Larivoire avec admiration. Il a
détourné l'orage.) ”
Cette leçon de jeu
qui vaut pour l'univers du roman est valable aussi en dehors. En
conquérant son indépendance, il y a deux cents
ans, Haïti entrait dans ce qu'il est convenu d'appeler le
concert des nations, un jeu piégé puisque la
position d'Haïti et son rôle y sont
réglés d'avance par les joueurs dominants. Du
point de vue économique, celui-là même
qu'évoque Gouverneurs de la rosée
en décrivant les conditions possibles d'une relance de la
production à Fonds-Rouge, Haïti sortait du jeu
piégé de l'esclavagisme pour tomber dans le jeu
sur-piégé du néo-colonialisme. Elle ne
pouvait et n'a pu jouer jusqu'à présent que de
fausses notes dans le concert des nations.
Jacques Roumain joue avec les
langues française et haïtienne, avec les
thèmes de l'amour et de l'engagement politique, avec le
rêve et la réalité en fin de compte. Gouverneurs
de la rosée est un roman aussi politique
qu'onirique. Face à ses adversaires, Manuel opère
avec succès sa sortie de leur jeu. On ne peut
hélas ! pas en dire autant d'Haïti qui
tarde à sortir du jeu dans lequel elle s'est fait prendre en
se dégageant du piège colonial.
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Maximilien
Laroche,
qui a enseigné à l'Université Laval
pendant une
quarantaine d'années, est
décédé à
Québec le 16 juillet 2017 |
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J.
MICHAEL DASH : Gouverneurs
de la Rosée, paru en 1944, est peut-être
le texte le plus important dans la littérature
haïtienne moderne et signifie le début, dans
l'imaginaire haïtien, de la problématique de
représentation du pays natal. le grand thème de
ce roman, c'est la narration de l'espace insaisissable de la nation par
un voyageur qui, après quinze ans d'absence, revient et
découvre le pays dans toute son
altérité.
[…]
Dans ce récit
problématique de voyage et de découverte, le
héros doit rendre compte de l'altérité
extrême et inquiétante de l'espace devant lui. Il
accomplit la tâche de contrôler cet espace en
essayant de combler le vide qui s'élargit entre lui et son
pays par certains procédés poétiques
et rhétoriques. En se servant des symboles
élémentaires de l'eau, du sang, de la terre et du
soleil, Manuel essaye d'établir une poétique de
l'espace, un lieu commun idéal et utopique qui
réduit l'opacité du monde. Le monde n'est plus
une rencontre délirante de juxtapositions bizarres et
contradictoires mais un espace d'accueil qui établit des
continuités non seulement entre les bêtes, les
hommes et les chrétiens vivants mais entre les mots du
découvreur et l'étrangeté du monde
objectivé. […] Le roman de Roumain est un texte
écrit autour d'un poème, tout au moins un passage
poétique […]. Ce passage, c'est l'hymne
à l'arbre cosmique qui se trouve dans le premier chapitre du
roman qui démontre que sous le désordre de la
surface, il existe un ordre secret, la source d'une
cohérence et la possibilité du recommencement.
« Un arbre, c'est fait pour
vivre en paix dans la couleur du jour et l'amitié du soleil,
du vent, de la pluie. Ses racines s'enfoncent dans la fermentation
grasse de la terre, aspirant les sucs
élémentaires, les jus fortifiants. Il semble
toujours perdu dans un grand rêve
tranquille … »
☐ “ Haïti
imaginaire : L'évolution de la
littérature haïtienne moderne ”,
Notre Librairie,
133, janvier-avril 1998
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Gouverneurs
de la rosée », Paris : La
Bibliothèque française, 1946
- « Gouverneurs
de la rosée », Paris : Le Club
français du livre, 1948
- « Gouverneurs
de la rosée », Fort-de-France :
Desormeaux, 1977
- « Gouverneurs
de la rosée », Paris : Temps
actuels, 1983
- « Gouverneurs
de la rosée », Paris : Messidor,
1986
- «
Gouverneurs de la rosée », Alger : ENAG,
1989
« Gouverneurs
de la rosée », Port-au-Prince : Fardin, 1993
- «
Gouverneurs de la rosée », Coconut Creek
(Florida) : EducaVision, 1999
« Gouverneurs
de la rosée », Pantin : Le Temps des cerises, 2000
- « Gouverneurs
de la rosée », Sarcelles : Le Carbet, 2001
- « Gouverneurs
de la rosée » in Œuvres
complètes de Jacques Roumain
éd. critique sous la dir. de
Léon-François Hoffmann, Madrid,
Nanterre : ALLCA XX, 2003 (pp. 255-396)
- « Gouverneurs
de la rosée »,
Montréal : Mémoire d'encrier, 2004
- « Gouverneurs
de la rosée », Port-au-Prince :
Presses nationales d'Haïti, 2007
- « Gouverneurs
de la rosée », Paris : Zulma,
2013
- « Gouverneurs
de la rosée », Caen : Passage(s), 2015
- « Gouverneurs
de la rosée », Saint-Denis (La Réunion) :
Orphie, 2015
|
- « Masters
of the dew » translated by Langston Hughes and
Mercer Cook,
New York : Reynal & Hitchcock, 1947
- « Herr
über den Tau » aus d. Franz.
übers. von Eva Klemperer, Berlin : Volk u. Welt, 1947
- « Il
giorno sorge sull'acqua » trad. di Egidio
Bianchetti,
Milano : Istituto editoriale italiano, 1948
- « Gobernantes
del
rocío » traducción de Fina
Warschaver, Buenos Aires : Lautaro, 1951
- « Gobernadores
del rocío » prólogo
Nicolás
Guillén, La Habana : Imprenta nacional, 1961
- « Signori
della rugiada » trad. di Alessandro Costantini,
Roma : Lavoro, 1995
|
- « Les Fantoches »,
Port-au-Prince : Imprimerie de l'État, 1931
- « La Montagne
ensorcelée »,
Port-au-Prince : Imprimerie E. Chassaing, 1931 ;
Montréal : Mémoire d'encrier, 2004
- « A propos de la campagne
antisuperstitieuse »,
Port-au-Prince : Imprimerie de l'État, 1942
- «
Œuvres
complètes », éd.
critique sous la dir. de Léon-François Hoffmann,
Madrid, Nanterre : ALLCA XX, 2003
|
- Christiane
Chaulet-Achour, « Gouverneurs
de la rosée de Jacques Roumain : la
pérennité d'un chef
d'œuvre », Paris : L'Harmattan,
2010
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Sur
le site « île
en île » :
dossier Jacques Roumain |
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mise-à-jour : 17
août 2017 |
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