Ceux de la soif /
Georges Simenon. - Paris : Gallimard, 1999. - 224 p. ;
18 cm. - (Folio policier, 100).
ISBN 2-07-040822-1
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BERNARD VILLARET : En quelques mots, je résume
[la] sombre histoire qui a servi de thème au roman de
Simenon : Ceux de la Soif. En 1932, la baronne Elise
Bosquet de Wagner-Wehrborn […] débarque [à Floreana]
qu'elle croyait déserte.
[…]
Après avoir adressé,
par l'entremise des yachts de passage, des communiqués
délirants à la presse mondiale, dans lesquels elle
se proclamait « Impératrice de Floreana »,
la baronne, accompagnée de ses deux amants, Philippson
et Lorenz, alla s'installer sur la hauteur […]. Ce fut […]
Lorenz, chargé des travaux les plus durs, qui construisit
cette maison qu'elle baptisa « Paraiso », le Paradis.
[...]
La mésentente augmentait,
sembla-t-il, entre Philippson et Lorenz, lequel se plaignait
d'être sans cesse humilié par les deux autres.
Puis survint le drame : la baronne et Philippson disparurent,
et Lorenz prétendit qu'ils étaient partis sur un
yacht. Soupçonné de meurtre, ce dernier s'enfuit
alors sur un minuscule cotre à voile appartenant
à un Norvégien. Mais il n'alla pas bien
loin, car son cadavre et celui du Norvégien furent retrouvés
cinq mois plus tard sur l'île déserte de Marchena
où ils étaient morts de soif. Quant aux corps de
la baronne et de son « fiancé »,
malgré des recherches poussées à Floreana,
ils ne furent jamais découverts.
☐ « Au vent des îles »,
Paris : Berger-Levrault, 1975 (pp. 272-273)
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En s'emparant d'un fait divers
très largement relaté et commenté par la
presse de l'époque, Simenon n'entendait pas construire
un récit utopique, mais le traitement auquel il soumet
les curieuses péripéties de cette affaire 1
dénote une volonté explicite d'explorer les ressorts
de l'aspiration utopique et d'en éclairer la vanité.A Floreana, deux rêverie
utopisantes s'opposent : celle du professeur Müller
qui a renoncé aux honneurs et au prestige d'une brillante
carrière pour mener une vie simple en harmonie avec la
nature miraculeusement préservée des îles
Galapagos — pour ne pas être tenté de manger
de la viande un jour de disette, n'avait-il pas pris la précaution,
avant de quitter Berlin, de se faire arracher toutes les dents ?
Ce projet idéaliste est brutalement mis à mal
par l'irruption de la comtesse von Kleber qui souhaite édifier
sur l'île la cité idéale dont elle
sera l'impératrice.Témoin apathique, Herrmann
se laisse tour à tour séduire par l'ambition de
chacun des deux visionnaires, mais quand la possibilité
d'un crime (l'éventuel assassinat de la comtesse et de
son amant) s'impose aux rescapés, il exprime à
son tour la vision d'un autre ordre utopique … où
se reflète la nostalgie de la société à
laquelle il a tourné le dos — il avait imaginé
que les choses se passeraient autrement, avec une enquête,
des discussions, une sorte de tribunal réduit.Au cœur du récit, alors
que s'est dramatiquement précisée la probabilité
d'une issue fatale, Simenon décrit un coucher de soleil,
véritable enchantement de lumière et de couleurs :
Jamais l'horizon n'avait paru si lointain. C'était
vraiment dans un autre monde, un monde ignorant de la terre,
que sombrait ce soleil encore incandescent. 1. | Simenon respecte scrupuleusement
les données révélées par la presse
et ne formule aucune hypothèse sur les circonstances et
responsabilités des deux disparitions — la baronne
(comtesse chez Simenon) et son amant — et des deux décès
— le fugitif et le marin norvégien. |
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EXTRAIT |
Pourquoi Müller avait-il
ajouté dans un autre angle de la feuille.
Ceci prouve ce que j'ai toujours
soutenu, à savoir que ce qu'on appelle les îles
enchantées ne sont pas un endroit pour la colonisation,
ni pour quelque entreprise que ce soit. La nature s'y défend
elle-même contre l'orgueil des hommes 1. Hier, j'ai trouvé un taureau
mort contre la palissade du jardin et, ce matin, j'ai partagé
un seau d'eau entre deux ânes qui n'avaient plus la force
de se tenir debout. Si la Providence n'a pas pitié de
ces créatures, elles devront toutes mourir …
Il avait conclu d'une écriture
plus menue encore :
Et sans doute sera-ce très
bien ainsi. ☐ p. 200 | | | 1. | En 1938, année où
il publie « Ceux de la soif », Simenon
fait référence dans « La mauvaise étoile »
aux sources exploitées dans son roman : « Lorsque,
voilà quelques mois, je suis passé aux Galapagos,
j'ai eu entre les mains les papiers du docteur Ritter [Müller
dans le roman], qui est mort là-bas peu après la
disparition de la baronne de Wagner et de Philipson.
" Ce qui prouve, disait-il en conclusion à
ses Mémoires, que les îles enchantées
ne sont pas un séjour pour l'homme et que la nature s'y
défend elle-même contre ses entreprises … "
[…]
Qu'espérait Ritter, qui se croyait un sage ?
Vivre nu dans un jardin, sans rien faire que rêver à
ses idées philosophiques.
Il a raté ! »
☐ « La
mauvaise étoile », Paris : Gallimard (Folio
policier, 213), Paris, (1938) 2001, p. 138 |
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « Ceux de la soif »,
Paris : Gallimard, 1938, 1961, 1978
- « Ceux de la soif », in Œuvres romanesques, vol. 20, Paris : Omnibus, 2003
- « Ceux de la soif », in Romans du monde, vol. 2, Paris : Omnibus, 2010
| - « Le drame mystérieux des îles Galapagos » (Paris-Soir, 1935), Bruxelles : Les Amis de Georges Simenon, 1991 ; in Mes apprentissages, reportages 1931-1946, Paris : Omnibus, 2001
| - « Touriste
de bananes », Paris : Gallimard (Folio, 1236),
1997 ; Paris : Vertige graphic, 1998
- « Le
cercle des Mahé », Paris : Gallimard
(Folio policier, 99), 1999
- « Les obsessions du
voyageur » textes choisis et présentés par
Benoît Denis, Paris : La Quinzaine littéraire -
Louis Vuitton (Voyager avec …), 2008
- « Le passager clandestin » ill. par Loustal, Paris : Omnibus, 2018
| d'autres regards sur les îles Galápagos | - Charles Darwin, « Journal de bord [Diary] du voyage du Beagle (1831-1836) », Paris : Honoré Champion (Classiques : essais), 2012
- Peter R. Grant and B. Rosemary Grant, « 40 years of evolution : Darwin's finches on Daphne Major island », Princeton (New Jersey) : Princeton university press, 2014
- Christophe Grenier, « Conservation contre nature : les îles Galápagos », Paris : IRD Éditions (Latitudes 23), 2000
- Diane de Margerie, « Isola, retour des îles Galapagos », Paris : Pauvert, 2003
- Herman Melville, « Les îles enchantées », Paris : Éd. Mille et une nuits (Mille et une nuits, 148), 1997
- Herman Melville, « Les îles enchantées » suivies de L'archipel des Galápagos de Charles Darwin, Marseille : Le Mot et le reste, 2015
- Kurt Vonnegut, « Galapagos », Paris : Grasset (Les Cahiers rouges, 198), 1994
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mise-à-jour : 29 août 2019 |
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