Ady, soleil noir /
Gisèle Pineau. - Paris : Philippe Rey, 2021. -
301 p. : ill. ; 22 cm.
ISBN 978-2-84876-809-0
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Gisèle
Pineau a
participé
(1999-2005) au jury du « Prix du Livre Insulaire »
d'Ouessant ; elle en a présidé la
première édition. |
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J'avais
eu beau décider que je ne m'attacherais plus jamais
à une
femme, j'avais fait la connaissance d'une danseuse, une jeune
mulâtresse originaire de la colonie française de
la
Guadeloupe : Adrienne. Nous étions amoureux l'un de
l'autre, et mes amis du Midi nous accueillirent à bras
ouverts.
☐ Man
Ray, Autoportrait,
cité en
épigraphe p. 7 |
Ady (Adrienne
Fidelin),
qui a vécu pendant quatre ans avec Man Ray, aurait pu
disparaître des mémoires — hidden in plain sight, comme
pourrait
le suggérer une toile pour laquelle elle a vraisemblablement
inspiré Picasso :
“ Femme assise sur
fond jaune et rose ” (1937) 1.
Gisèle
Pineau a enquêté sur Ady et, s'appuyant sur de
rares
témoignages, propose un portrait moins
énigmatique et
plus attachant que l'œuvre du peintre catalan. On y suit Ady
depuis sa naissance à Pointe-à-Pitre
où sa famille
a été très durement
éprouvée par le cyclone
de 1928, ce qui la poussera à gagner la métropole
quelques années plus tard dans l'espoir d'une vie meilleure.
Ady
fait la connaissance de Man Ray (Emmanuel Radnitsky, peintre et
photographe né aux Etats-Unis en 1890) au Bal de la rue
Blomet.
Elle a dix-neuf ans, il en a quarante-quatre ; entre eux se
noue
une histoire d'amour qui durera jusqu'à ce que la guerre
contraigne Man Ray à regagner son pays natal où
elle ne
se résoudra pas à le suivre.
Le
“ roman
vrai ” de Gisèle Pineau
éclaire la vie d'un
milieu où se mêlent poètes et peintres
— Paul Eluard et sa femme Nusch, Picasso et Frida
Kahlo, Dora
Maar, … Les étés
passés dans le
Midi permettent rapprochements et transgressions dans la vie et dans
l'art. Ady participe pleinement à cette effervescence.
Alors
que monte irrésistiblement l'ombre qui va submerger
l'Europe,
Ady soleil noir
rayonne au sein de ce groupe amical où s'improvise la
force de subversion d'une liberté revendiquée
face aux
contraintes artistiques, sociales, raciales et sexuelles du moralisme
bourgeois.
1. |
Cf. Wendy
A. Grossman, “ Unmasking Adrienne Fidelin: Picasso, Man Ray,
and
the (in)visibility of racial difference ”, Modernism/modernity, Vol. 5,
Cycle 1,
April 24, 2020 [en
ligne] |
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EXTRAIT |
[Nusch
Eluard] me prend sous son aile. Elle a un accent. Elle me dit qu'elle
vient de l'est de la France. Elle a grandi là-bas, en
Alsace, au
temps où Mulhouse faisait partie de l'Empire allemand.
L'univers
cosmopolite de Man me donne le vertige. Tous ces gens sont
étranges et semblent étrangers. La plupart
parlent
français avec un accent. Parfois à court de mots
français, ils complètent les phrases avec le
vocabulaire
d'une langue maternelle. Ils malmènent le
français et
s'en fichent. Comprenez ce que vous voulez ! Les
Français
de souche n'ont qu'à s'accommoder. La France a fait savoir
à la terre entière qu'elle est le pays des droits
de
l'homme. Eh bien, ils sont là, accourus de partout. Ils sont
venus goûter à ces mots qui en disent
long …
Liberté. Égalité.
Fraternité.
Moi aussi,
j'ai un accent. Je l'entends se cogner aux autres accents et
ça
me fait tout drôle. Comme ces gens, je navigue entre deux
langues. Je viens d'un coin de cet ailleurs, d'un quelque-part qui
disparaît entre les marges.
Pleins d'espoir, la plupart ont
débarqué ici avec leurs valises de douleurs et de
grandes
espérances. Derrière chacun, il y a des ombres de
pantomime gigantesques qui braillent leurs noms infâmes.
Dictature. Persécution. Misère. Expulsion.
Antisémitisme. Pogrom. Massacre. Nazisme. Purification
ethnique.
Stérilisation. Catastrophe naturelle. Colonisation.
Guerre …
☐ pp. 181-182 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- «
Les mains libres » dessins de
Man Ray illustrés par les poèmes de Paul
Éluard,
Paris : Jeanne Bucher, 1937
- Man
Ray, « Autoportrait » trad. d'Anne
Guérin,
Paris : Seghers, 1964 ; Arles : Actes sud,
1998
- Eileen Agar,
« A look at my life »,
London : Methuen, 1988
- Wendy A.
Grossman, Sala E. Patterson, « Ady
Fidelin » in Le
modèle noir de Géricault à Matisse, Paris :
Musée d'Orsay, Flammarion, 2019
|
- « La grande drive des esprits
», Paris : Le Serpent à plumes, 1993,
1999 ; Philippe
Rey (Fugues), 2017
- « L'exil selon Julia »,
Paris : Stock, 1996 ; Librairie
générale de France (Livre de poche, 14799), 2000 ; HC éditions, 2006
- « L'âme
prêtée aux oiseaux »,
Paris : Stock, 1998 ; Librairie
générale de France (Livre de poche),
2001 ; Philippe Rey (Fugues), 2016
- « Chair piment »,
Paris : Mercure de France, 2002 ; Gallimard (Folio,
4033), 2004
- « Fleur de Barbarie »,
Paris : Mercure de France, 2005 ; Gallimard (Folio, 4569), 2007
- « Mes quatre femmes
», Paris : Philippe Rey, 2007
- « Morne Câpresse »,
Paris : Mercure de France, 2008 ; Gallimard (Folio,
5008), 2010
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- Paola
Ghinelli, « Entretien avec Gisèle
Pineau », in Archipels
littéraires, Montréal :
Mémoire d'encrier, 2005
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Sur le site « île en
île » : dossier Gisèle
Pineau |
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mise-à-jour : 9
février
2021 |
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