Le
piéton de Venise / Dominique Fernandez ;
photographies de
Ferrante Ferranti. - Paris : Philippe Rey, 2019. -
197 p.-[16] p. de pl. ; 22 cm.
ISBN 978-2-84876-778-9
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Je
voudrais tracer son image avant qu'elle se perde à jamais..
☐ John
Ruskin, cité en épigraphe,
p. 7 |
Parmi
les nombreux guides qui partagent largement leur connaissance de
Venise,
Dominique Fernandez doit être retenu pour sa
maîtrise d'un
labyrinthe qu'il arpente de longue date et pour la passion qui l'anime
quand il s'y perd. On peut ne pas partager ses goûts, trouver
excessive la revue qu'il impose des représentations du
martyre
de Saint Sébastien (jusqu'au dénombrement des
flèches qui le transpercent), on gagne toujours à
le
suivre — qu'il rôde dans les parages
envahis par le
tourisme de masse ou qu'il s'en éloigne au profit
d'une
“ seconde Venise, moins visible, moins
voyante ”.
En musique il ne
dédaigne pas Vivaldi mais écoute Benjamin Britten
ou Luigi Nono : “ Prometeo
(1984), fait appel à la multiplicité des sources
sonores … qui répercutent, en
quelque sorte,
les bruits liquides de la lagune … les chocs
amortis des
accostages aux pontons, le tintement lointain des cloches, les rires
des mouettes … ”
(p. 83).
Il
admire Titien et le Tintoret, mais s'attarde sur les toiles de
Giandomenico Tiepolo — fils de
Giambattista —,
“ les contemporains, agacés par la gloire
du
père … ne leur trouvèrent que
des
défauts ” ; aujourd'hui,
“ c'est
leur fraîcheur … leur
nervosité qui nous
charment ” (p. 117). Passant devant le
palais
Barbarigo, il évoque le peintre d'origine slovène
Zoran Music
(1909-2005) qui y avait son atelier ; rescapé du
camp de
Dachau, Music avait choisi Venise où, plutôt que
de
“ céder à l'appel des
sirènes …, il se boucha les oreilles au
beau
idéal, se consacrant au dessin du corps
émacié,
disharmonieux, pitoyable ” (p. 59).
Au fils de
ses errances, il arrive à Dominique Fernandez de croiser les
pas
d'illustres précédécesseurs. Une
rencontre avec John Ruskin
était inévitable. Il déplore son
“ moralisme
démodé ” s'irrite de
ses “ ronchonnements de puritain
victorien ”.
À l'évidence tout oppose les deux
hommes ; ils se
retrouvent pourtant dans un amour sans limite pour Venise.
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EXTRAIT |
[Lorenzo
Da Ponte composa le livret du Don
Giovanni de Mozart], écrit-il dans ses Mémoires, assisté
d'une jolie fille assise sur une de ses cuisses et d'une bouteille de
tokay posée sur l'autre. Son don Giovanni, fortement
mâtiné de Casanova (lequel aurait
peut-être
même, suppose-t-on, collaboré au livret lors de
son
passage à Vienne) est plus vénitien qu'andalou,
plus don
Giovanni que don Juan. En réponse à son valet
Leporello
qui lui conseille de mettre fin à ses aventures amoureuses,
il
réplique : “
Lasciar le donne ! Pazzo ! ” (“ Laisser
les femmes ! Fou que tu es ! ”),
exclamation
jaillie de sa gorge, cri où c'est la stupeur de Venise tout
entière qu'on entend, la protestation
scandalisée,
éperdue, d'un homme qui leur a voué son
existence.
“ Laisser les femmes ” serait
aussi inimaginable
pour lui que s'astreindre à jeûner devant un
faisan
rôti.
Venise est une ville où nulle instance
morale, nul édit religieux, nul surmoi psychanalytique ne
freine
les pulsions. On se laisse glisser selon son désir comme les
gondoles au fil des canaux. Dérive molle et charmante qui
n'accorde aucun moment à la réflexion, aucun
espace au
repentir. Pas plus que le doge n'a un pouvoir souverain, l'esprit ne
s'oppose à la satisfaction des instincts. Les peintres ont
admirablement rendu ce climat où tout ce dont on a envie est
aussitôt accordé.
Comparons Titien et Michel-Ange,
dont la longévité est semblable, et qui ont
chacun, l'un
à Venise, l'autre à Florence et à
Rome,
dominé leur siècle. Chez Michel-Ange, si libre
qu'il ait
été, on sent toujours l'effort
“ titanesque ”, le combat contre
lui-même,
la souffrance et le déchirement intérieurs, la
beauté arrachée de haute lutte ; chez
Titien,
celle-ci coule de source, elle se répand sans obstacles,
elle
inonde d'une lumière naturelle quelque sujet qu'il touche
☐ p. 46 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Venise »
photographies de Ferrante Ferranti, Paris : Philippe Rey, 2018
- «
Vivre Venise » photographies de Fulvio Roiter,
Paris : Mengès, 1978
|
- Le promeneur
amoureux : de Venise à
Syracuse », Paris : Plon, 1980
|
- « Les
événements de Palerme »,
Paris : Grasset, 1967
- «
Les Siciliens » photographies de Ferdinando Scianna, textes de Leonardo Sciascia et Dominique
Fernandez, Paris : Denoël, 1977
- «
Le radeau de la Gorgone : promenades en
Sicile »
photographies de Ferrante Ferranti, Paris : Grasset,
1988 ;
Paris : Philippe Rey, 2017
- «
Palerme et la Sicile » photographies de Ferrante
Ferranti, Paris : Stock, 1998
- «
Sicile » photographies de Ferrante Ferranti,
Paris : Imprimerie nationale, 2006
- «
Où les eaux se partagent »,
Paris : Philippe Rey, 2018
|
- «
Mer Méditerranée »,
Paris : Grasset, 1965, 2000
|
- «
Jérémie !
Jérémie ! »
Paris : Grasset, 2005
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mise-à-jour : 6
juillet 2020 |
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