Raga, approche
du continent invisible / J.M.G. Le Clézio. -
Paris : Seuil,
2006. - 135 p. : ill. ; 21 cm. - (Peuples de
l'eau).
ISBN
2-02-089909-4
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Invité
par Edouard
Glissant à bord de la Boudeuse,
J.M.G. Le Clézio relate son escale à Raga
— l'un
des noms vernaculaires de l'île Pentecôte au
Vanuatu. Quand
d'autres parleraient d'une
« découverte »,
Le Clézio s'en tient au constat d'une
« approche », soulignant ainsi
dès le
titre la nécessité de prendre en compte
l'écart
irréductible 1
entre l'observateur et la réalité à
laquelle il se
confronte : les lieux, les êtres et leur histoire.
Le livre
s'ouvre sur une brève évocation des
premières
expéditions européennes dans l'océan
Pacifique,
aveuglées par le rêve insensé du
continent austral,
dévoyées par l'espoir de conquêtes
fabuleuses. Puis l'auteur imagine le « voyage sans
retour » des premiers occupants de l'archipel
suivant en
famille, dans leurs longues pirogues, le chemin d'étoiles
qui
indique le cap à suivre
— jusqu'à ce matin
où ils aperçoivent « à
l'horizon, nette et noire contre la lumière du soleil
levant,
une île, puis une autre, les pointes des montagnes qui
semblent
émerger de l'horizon ».
Sur cette trame
aux motifs qui se croisent l'auteur fait entendre sa propre voix, dit
son approche personnelle
empreinte de curiosité et de sympathie, ouverte à
l'amitié 2,
attentive aux cicatrices laissées par les rencontres
douloureuses du passé autant qu'aux fragiles promesses de
l'avenir : «
l'information circule. Des liens se tissent entre îles, entre
archipels. Bien entendu, il s'agit avant tout
d'intérêts
économiques, de possibilités de
marchés. Pourtant
est perceptible un autre type de relations, quelque chose qui est fait
de mémoire, de sentiment. C'est peut-être ce qui
reste de
la vibration ancienne, le bruit des tambours fendus qui
résonnait d'île en
île … ».
Dans
l'avion du retour, Le Clézio s'affranchit des limites de
l'archipel qui s'éloigne inexorablement. « Raga se
referme, s'éloigne »,
les îles ne le quittent pas — lieux
voués à
la rencontre, lieux par essence du métissage : « le
métissage mental, à propos de quoi le
poète
Edouard Glissant dit que les gens des îles ont cent ans
d'avance
sur tous les autres peuples de la terre. Ce
" frottement ", cette aventure naturelle du mélange qui a fait de la
Caraïbe — et … cela
doit être vrai de
tous les archipels — " un des lieux du monde
où la
relation le plus visiblement se donne, une des zones d'éclat
où elle paraît se renforcer " 3 ».
1. |
En publiant leurs « Lettres d'Islande »,
W.H. Auden et Louis MacNeice ne prétendaient pas livrer un
document « sur l'Islande » mais,
au mieux, un
témoignage « sur le voyage vers
l'Islande ». |
2. |
Le livre est dédié
à Charlotte Wèi Matansuè, « ma guide
des hauts de Melsissi ». |
3. |
Edouard Glissant,
« Poétique de la
relation », Paris : Gallimard, 1990. |
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CHRISTIAN
TORTEL :
Parti à la découverte
d’une île à
l’écart du monde, l’île de
Pentecôte
dans l’archipel du Vanuatu (Raga en langue apma), au nord de
la
Nouvelle-Calédonie, Jean-Marie Gustave Le Clézio
en est
revenu avec un essai élogieux pour les
Mélanésiens
et accusateur pour la mondialisation : Raga, Approche du continent
invisible (…).
À la
fois guide touristique, long poème archipélique,
illustration de la poétique de la Relation
d’Edouard
Glissant (qui dirige la collection), cri de colère contre
les
aventuriers, lettre d’amour à un peuple
mystérieux.
(…)
→ lire la suite sur papalagui, le blog de Christian Tortel
consacré aux littératures
ultrapériphériques
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EXTRAIT |
Un village
accroché à la falaise noire, au-dessus de la baie
ouverte.
Sur un
méplat de terre, comme un accident.
La plage
est une étendue de galets gris, schistes plats,
résidus coralliens, fragments de basalte plis par la mer.
La mer est
ouverte, sauf une plate-forme de corail qui affleure la
surface à l'aplomb du village. La rivière
Melsissi
descend de la haute montagne (le sommet le plus
élevé de
l'île Pentecôte, 870 m) en suivant les
fractures. Elle
se jette dans la mer à travers la plage, sans
méandres,
en torrent. Devant l'embouchure, une vague continuelle marque la
rencontre de l'eau douce et de l'eau salée.
On ne peut
pas oublier la montagne, où qu'on se trouve. Le
village est pour ainsi dire agrippé à un mur noir
sur
lequel butent les nuages. Dans la montagne, la
végétation
est inextricable. Le long de la bande côtière, des
plantations de cocotiers à moitié
abandonnées,
envahies d'herbes, alternent avec les prairies où errent des
vaches indiennes.
Impression
de solitude, d'éloignement. D'une vie
arrêtée. Et pourtant, on ne peut oublier non plus
que les
gens d'ici, comme ceux d'Ambrym, d'Efaté, de Malekulo,
d'Ambae,
d'Anatom, sont les fils et les filles de ceux qui jadis ont accompli
l'un des voyages les plus audacieux de l'histoire humaine.
☐ pp. 27-28 |
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- « Raga,
approche du continent invisible », Paris :
Points (P1798), 2007
|
→ « Raga,
approche du continent invisible », note de lecture par Gilles Bounoure : Journal de la Société des Océanistes, 125 | 2007-2 | pp. 336-338 [en ligne] |
- J.M.G. et
Jémia Le Clézio, « Sirandanes »,
Paris : Seghers, 1990
- J.M.G. Le
Clézio, « Eloge des
îles » in Paule Laudon (éd.), Rencontres
Gauguin à Tahiti (actes du
colloque, 20 et 21 juin 1989), Papeete : Aurea, 1992
- J.M.G. Le Clézio, « La quarantaine », Paris : Gallimard, 1995
- J.M.G. Le
Clézio, « Pawana »,
Paris : Gallimard, 2003
- J.M.G. Le
Clézio, « Tempête »,
Paris : Gallimard, 2014
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Association
des lecteurs de JMG Le Clézio |
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mise-à-jour : 17 mai 2021 |
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