Paul Gauguin et Vincent Van
Gogh, 1887-1888 : lettres retrouvées, sources
ignorées / Victor Merlhès. - Taravao
(Tahiti) : Éd. Avant et après, 1989. -
277 p.-[6] p. de fac-sim. :
ill. ; 25 cm.
ISBN 2-907716-02-6
|
NOTE
DE L'ÉDITEUR : L'histoire
à ce jour la mieux documentée et l'analyse la
plus approfondie des relations qui unirent Paul Gauguin et Vincent van
Gogh depuis leur première rencontre à Paris au
cours de l'automne 1887 jusqu'aux circonstances dramatiques de leur
séparation un an plus tard, en Provence. Une foison
d'aperçus originaux, d'informations neuves et de documents
inédits mis en œuvre dans un texte clair,
richement illustré et très accessible,
destiné à un public cultivé autant
qu'aux étudiants et aux spécialistes. La
révélation des sources littéraires
d'œuvres capitales dont la genèse est ici
éclairée : l'Autoportrait dit
« Les Misérables » et
la Vision du Sermon de Paul Gauguin, l'Autoportrait
en bonze de Vincent van Gogh. Une douzaine de
lettres inédites reproduites en fac-similé.
Quinze planches en couleur, nombreuses illustrations en similigravure,
trois double feuillets en phototypie montés sur onglet.
|
Chercheur
au CNRS, Victor Merlhès a entrepris un travail de longue
haleine
pour rendre accessible une transcription rigoureuse de la
correspondance de Paul Gauguin : un premier tome (portant sur
les
années 1873-1888) a été
publié en 1984 par
la Fondation Singer-Polignac ; depuis, Victor
Merlhès
poursuit et approfondit cette quête. Le présent
recueil
enrichit et corrige la premier volume de la Correspondance 1 ;
cette avancée lui permet d'éclairer plusieurs
épisodes fondamentaux du parcours de Paul
Gauguin, en particulier le séjour en Martinique ainsi que le
dialogue avec Vincent van Gogh dont on n'a trop souvent retenu que la
surface anecdotique ; les enjeux de cette rencontre
méritaient plus et mieux, comme le montrent les textes
présentés et l'analyse qui les accompagne.
Après
le terrible séjour à Panama et la
désillusion de
Taboga — petite île où Gauguin,
sur la foi de ses souvenirs de marin, croyait
trouver des conditions de travail favorables —,
l'escale
martiniquaise en compagnie de Charles Laval est l'occasion d'une
première émancipation et d'un essor
décisif ;
hormis sa famille à laquelle il reste attaché et
l'argent
toujours insuffisant, Gauguin trouve ici tout ce à quoi
il aspirait, « un refuge abordable et heureux,
niché
dans la nature, un théâtre pour les yeux,
peuplé de
modèles avenants et enjoués »
(Victor
Merlhés, p. 42). L'escale dure quatre
mois ; un
sévère accès de malaria en brisera
l'élan,
mais la moisson est d'une exceptionnelle
fécondité.
De
retour, Gauguin passe quelques mois à Pont-Aven avant de se
décider à rejoindre van Gogh qui l'attend au
soleil de
Provence avec une impatience où se mêlent pressant
désir de rompre sa solitude et fraternelle
inquiétude
concernant l'ami ; recevant l'autoportrait
« les
misérables », dédié
à
l'ami Vincent,
il s'était alarmé :
« Pas une ombre de
gaieté (…) il ne doit pas continuer comme cela il
doit se
consoler il doit redevenir le Gauguin plus riche des
Négresses » 2 ;
et, franchissant cinq siècles, il esquissait le
rêve d'un
cadre digne d'accueillir son camarade de lutte :
« j'eusse voulu peindre ce jardin de telle
façon que
l'on penserait à la fois au vieux poète d'ici (ou
plutôt d'Avignon) Pétrarque et au nouveau
poète
d'ici — Paul Gauguin » 3.
Quand
Gauguin arrive en Arles le 23 octobre 1888, s'engage entre les deux
« mis de
côté » 4
un échange d'une rare intensité. Les discussions
souvent
vives — « Nous en sortons parfois
la tête
fatiguée comme une batterie électrique
après la
décharge » 5 — portent
sur la religion, la littérature, la peinture —
Giotto, Delacroix, Rembrandt, Courbet (à l'occasion d'une
visite
au musée Fabre à Montpellier) ; on
évalue l'impact
du séjour martiniquais, et surtout s'ébauche et
se
précise l'inévitable départ vers le
soleil. Mais
deux projets s'opposent : « L'un se tourne
vers l'absolu. L'autre
est en lutte avec les hommes » (Victor
Merlhés, p. 123).
Sur cette ligne de crète l'échange se tend
jusqu'au
brutal dénouement de la fin décembre.
De
Martinique en Provence, Victor Merlhès relève les
signes
qui jalonnent un parcours qui, pour Gauguin, s'achèvera
quinze
ans plus tard au cœur du Pacifique, à Hiva Oa
— là celui-ci résumera en
quelques mots
l'exceptionnel héritage de sa rencontre avec
Vincent :
« Sans
que le public s'en doute, deux hommes ont fait là un travail
colossal utile à tous deux. Peut-être à
d'autres- ? Certaines choses portent leurs fruits.
» 6
1. |
L'apport
est constitué de neuf lettres de Paul Gauguin
publiées
ici in extenso quand elles n'apparaissaient que par extraits ou par
mentions dans la Correspondance,
de deux lettres nouvelles de Gauguin
(une à Emile Schuffenecker, une à Vincent van
Gogh),
d'une lettre de Charles Laval à Gauguin, de deux lettres
incomplètes de Laval à Fernand du Puigaudeau, et
du
fac-similé d'une lettre de Vincent van Gogh à
Gauguin. |
2. |
Lettre de Vincent à Théo
(octobre 1888), citée p. 107. |
3. |
Lettre de Vincent à Paul Gauguin (3 octobre 1888), citée p. 110. |
4. |
Vincent
van Gogh, cité p. 123 ; l'expression figure dans
une lettre
à Albert Aurier (février 1890) ; elle y
souligne un
trait de caractère commun au peintre Monticelli et
à
Boccace : « un mélancolique, un
malheureux assez
résigné, voyant passer la noce du beau monde, les
amoureux de son temps, les peignant, les analysant, lui
— le
mis de côté ». |
5. |
Lettre
de Vincent à Théo (décembre 1888),
citée p. 230. |
6. |
Paul
Gauguin, Avant et Après,
cité p. 234. |
|
EXTRAIT |
En
ses meilleurs instants [la douzaine de toiles rapportées par
Gauguin de la Martinique] respire la
sérénité, la
« fantaisie », l'aisance, une
réjouissante
liberté de perception et d'exécution qui
s'éveille
et tend à s'accomplir, préfigurant ainsi le pas
définitif. Par-dessus tout, c'est la lumière qui
apparaît ; la couleur chauffe la toile, les masses
colorées se dégagent. Au lendemain d'un premier
entretien
avec Gauguin en 1891, Octave Mirbeau pourra écrire des
œuvres martiniquaises qu'elles constituent « une
suite d'éblouissantes et sévères
toiles, où
il a conquis, enfin, toute sa personnalité, et qui marquent
un
progrès énorme, un acheminement rapide vers l'art
espéré. Les formes ne s'y montrent plus seulement
dans
leur extérieure apparence ; elles
révèlent
l'état d'esprit de celui qui les a comprises et
exprimées
ainsi. Il y a, dans ces sous-bois, aux
végétations, aux
flores monstrueuses, aux formidables coulées de soleil, un
mystère presque religieux, une abondance sacrée
d'Eden.
Et le dessin s'est assoupli, amplifié : il ne dit
plus que
les choses essentielles, la pensée. Le rêve le
conduit,
dans la majesté des contours, à la
synthèse
spirituelle, à l'expression éloquente et
profonde.
Désormais, M. Gauguin est maître de lui. Sa main
est
devenue l'esclave, l'instrument docile et fidèle de son
cerveau.
Il va pouvoir réaliser l'œuvre tant
cherchée » 1.
Il serait bon, sans doute, de s'établir
ici.
☐ pp. 48-50
1. |
Octave
Mirbeau, « Paul Gauguin », L'Echo de Paris, 16
février 1891 |
|
|
COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
|
- Paul
Gauguin, « A ma fille Aline ce cahier est
dédié - Notes éparses, sans suite
comme les Rêves » éd. par Victor
Merlhès, Bordeaux : William Blake and Co., 1989
- Paul
Gauguin, « Racontars
de rapin » éd. par Victor
Merlhès, Taravao (Tahiti) : Avant et
après, 1994
- « De Bretagne en
Polynésie : Paul Gauguin, pages inédites »
éd. par Victor Merlhès, Taravao
(Tahiti) : Avant et après, 1995
|
|
|
mise-à-jour : 14
août 2012 |
|
|
|